🇷🇺 Des experts analysent le regain de confiance de Poutine: “Quelque chose a changé en lui”

🇷🇺 Des experts analysent le regain de confiance de Poutine: “Quelque chose a changé en lui”

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, la mainmise de Vladimir Poutine sur la Russie semble inébranlable. Mais derrière cette façade d’intouchabilité se cache un homme obsédé par l’Histoire. “Il veut que l’on se souvienne de lui comme l’un des grands conquérants russes.” Dans les colonnes de HLN, trois experts analysent le regain de confiance dont fait preuve Vladimir Poutine depuis plusieurs mois.

Vladimir Poutine semble extrêmement confiant ces derniers temps. Cela se remarque d’ailleurs sur son apparence physique: le chef du Kremlin apparaît plus en forme, moins bouffi, moins stressé et moins fatigué que durant la période qui a suivi la crise du coronavirus. L’un des derniers exemples en date: son apparition télévisée avec des ouvriers et des étudiants de la ville industrielle de Chelyabinsk, au moment même où me le monde apprenait avec stupeur la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny. De très bonne humeur, Vladimir Poutine s’est lancé ce jour-là dans une diatribe classique devant les caméras.

Ainsi, du point de vue de Poutine, après des erreurs tactiques désastreuses au début de la guerre, les choses ne vont pas si mal en ce moment: il est d’ores et déjà assuré de gagner les prochaines élections en Russie, les troupes russes ont remporté plusieurs victoires récemment sur le front en Ukraine et le menace d’une rébellion du groupe Wagner, dont le chef Evgueni Prigojine a été tué en août dernier, ne pèse plus sur la Russie. Et surtout: le principal leader de l’opposition russe, Alexeï Navalny, décédé en prison le 16 février dernier, ne représente plus aucun danger pour le chef du Kremlin.

“Quelque chose a vraiment changé en Poutine”, estime l’expert américain Simon Shuster, auteur du livre “The Showman” sur Volodymyr Zelensky. Il affirme que le chef d’État russe “se contente désormais de donner des leçons hautaines” aux gens. “En Russie, Poutine veut qu’on se souvienne de lui comme de Pierre le Grand, comme d’un conquérant. Pendant la crise du coronavirus, il n’est resté en contact qu’avec quelques personnes, dont Yuri Kovalchuk, un oligarque qui gère ses finances l’intermédiaire de la banque Rossiya. Tous deux rêvent à voix haute d’une sorte de restauration du Grand Empire russe. Pour Poutine, cela se manifeste depuis 2020.” Simon Shuster explique que l’invasion de l’Ukraine fait évidemment partie de ce plan. L’expert craint d’ailleurs qu’il soit très difficile de guérir ces “vieillards délirants”.

Propagande et répression

“Je vais conquérir Kiev en quinze jours”, se vantait Poutine au début de l’invasion en Ukraine. Mais la guerre s’éternise. Cela fait déjà plus de deux ans que les troupes russes et ukrainiennes s’affrontent sur le champ de bataille. Les pertes russes sont considérables, bien plus importantes que ce que Poutine aurait pu imaginer au début de la guerre. Selon les estimations les plus prudentes, au moins 100.000 Russes et 70.000 Ukrainiens ont été tués. Les bilans réels sont certainement bien plus élevés.

Évoquer ouvertement les soldats morts au combat est devenu dangereux pour les citoyens russes dans le régime de plus en plus répressif de Vladimir Poutine, observe Mariëlle Wijermars, experte de l’internet russe et professeure à l’université de Maastricht. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les citoyens russes savent qu’ils ne peuvent plus critiquer le pouvoir sur ce point. Ils ont conscience que le simple fait de douter de l’utilité de terroriser un pays voisin est devenu un crime. Certains ont été arrêtés pour avoir simplement brandi une pancarte blanche dans la rue.

Même les soldats de première ligne sont intimidés si leurs épouses ou leurs mères émettent des critiques sur la guerre

Mariëlle Wijermars

La propagande du Kremlin s’adapte à la période de guerre. Même une simple mention “j’aime” sur un article critique peut entraîner une visite intimidante de la police. “Les médecins sont dénoncés par leurs patients, les enseignants par leurs élèves. Et parfois, ce n’est même pas à cause de déclarations très critiques. Quelqu’un qui affirme que l’Ukraine est un État souverain risque déjà une peine de prison”, explique Mariëlle Wijermars. “La Russie de Poutine bascule de plus en plus vers un État très répressif et, à l’heure actuelle, toutes les couches de la population sont touchées. Même les soldats de première ligne sont intimidés si leurs épouses ou leurs mères émettent des critiques sur la guerre.”

Un Poutine “autoritaire, voire tyrannique”

“Poutine s’est sérieusement radicalisé”, reconnaît Bob Deen, expert en Europe de l’Est à l’Institut Clingendael. Selon lui, la guerre a durci les opinions du chef du Kremlin. L’image qu’il se fait de l’ennemi a été renforcée par les soulèvements en Ukraine, en Géorgie et, dans une moindre mesure, au Kirghizstan, explique l’expert. Poutine estime qu’ils ont tous été attisés par l’Occident, qui voudrait reléguer la grande Russie au rang d’acteur régional, tout au plus, aux yeux du monde. “Les défenseurs des droits de l’homme et les organisations qui soutiennent la démocratie sur les flancs de la Russie sont donc automatiquement considérés par le Kremlin comme des partenaires de la CIA et des renseignements britanniques. Ainsi, presque toutes les institutions russes qui défendent les droits démocratiques au niveau national ont été déclarées ‘organisations indésirables’. Il est même désormais punissable pour les Russes d’être en contact avec ces fondations.”

“Plus la répression est forte, moins l’information remonte la pyramide. Mais plus le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul dirigeant, plus la corruption augmente, plus le risque que les choses tournent mal est grand”, met en garde Mariëlle Wijermars. Selon l’experte, même si Poutine peut continuer à diriger le pays de la sorte pendant de longues années, la finalité de tout ça sera forcément tragique pour la Russie. Bob Deen estime que l’obsession de Poutine pour l’Histoire comment à devenir contre-productive pour lui. “Pour Poutine, l’Ukraine est tout simplement la Russie. Il a d’ailleurs écrit un article sur le lien historique entre les deux pays, dont la lecture est obligatoire pour tous les soldats russes.” Le spécialiste conclut: “Les téléspectateurs qui ont regardé son interview avec Tucker Carlson ont vu un Poutine autoritaire, un peu tyrannique. Mais c’est exactement ce qu’il veut montrer. Il veut dire au monde: ‘Je tiendrai plus longtemps que vous’.”

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