🇸🇳 Flambée des prix : Au Sénégal, «nous allons vers des mois plus durs»

🇸🇳 Flambée des prix : Au Sénégal, «nous allons vers des mois plus durs»

La conjoncture mondiale risque de s’aggraver dans les jours, les mois à venir. Avec la crise ukrainienne, la dépréciation de l’euro et la nouvelle flambée des cours du pétrole, l’inflation va certainement s’accentuer, surtout dans les pays de la zone CFA.

C’est un glissement irréversible. Du moins si les tendances actuelles persistent. L’accélération de la hausse des prix, sur fond de tensions géopolitiques – crise politique entre la Russie et l’Ukraine – et la flambée des cours du pétrole menacent la croissance économique mondiale et risquent de renforcer la conjoncture actuelle. En Europe comme ailleurs, les conjoncturistes anticipent déjà sur une croissance en baisse au premier trimestre de 2022. En France, l’inflation devrait accélérer au premier semestre pour atteindre de 3 % à 3,5 %, voire plus au mois de juin prochain.

Au Sénégal, l’inflation a débuté l’année 2022 sur des chapeaux de roue avec une forte hausse de 5,5 % en janvier, en glissement annuel, après que l’année 2021 s’est achevée sur un niveau de progression des prix de 2,2 %. Ainsi, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) renseigne que l’Indice harmonisé des prix à la consommation (Ihpc) de janvier 2022 s’est relevé de 0,3 % comparé à celui du mois précédent. Cette évolution résulte de la progression des prix des «produits alimentaires et boissons non alcoolisées (+0,5 %), des services de restaurants et hôtels (+0,4%), des meubles, articles de ménage et entretien courant du foyer (+0,3%), des articles d’habillement et chaussures (+0,2%), ainsi que des biens et services de santé (+0,2%)», explique l’Ansd.

«Si le transport aérien est secoué, presque tous de secteurs seront touchés»
Aujourd’hui, la nouvelle flambée des cours du pétrole ne milite pas pour une baisse de l’inflation. Les prix du pétrole sont repartis à la hausse vendredi dernier, en réaction aux inquiétudes sur l’approvisionnement en énergie en provenance de la Russie à cause des sanctions visant ce géant pétrolier. Le baril du Brent – le Brent ou brut de mer du nord, est une variation de pétrole brut faisant office de référence en Europe, coté sur l’intercontinental exchange (Ice), place boursière spécialisée dans le négoce de l’énergie. Il est devenu le premier standard international pour la fixation des prix du pétrole – de la mer du nord pour livraison en mai a clôturé à 118,11 dollars Us (environ 70 927,74 FCfa), un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis août 2008, galvanisé par l’arrêt, de facto, des exportations russes. Alors qu’à New York, le baril de West Texas intermediate (Wti) – Le West Texas intermediate aussi appelé Texas light sweet, est une variation de pétrole brut faisant office de standard dans la fixation du cours du brut et comme matière première pour les contrats à terme du pétrole auprès du Nvmex (New York Mercantile Exchange), la bourse spécialisée dans l’énergie – avec échéance en avril, a lui fait un bond de 7,43 % vendredi dernier, pour terminer à 115,68 dollars Us (environ 69 468,47 FCfa), une première depuis septembre 2008.

Pour l’expert juridique et sûreté en aviation civile, Massourang Sourang, cette hausse du baril va forcément se répercuter sur les prix du kérosène et par ricochet, sur les coûts du transport aérien. «La situation est inquiétante pour l’aviation civile. On n’est pas encore sorti totalement de la crise sanitaire de Covid-19 et des problèmes de carburant se posent avec la flambée des cours du pétrole. Comme le carburant est un élément fondamental dans le transport aérien, il y aura des augmentations dans les dépenses et ça va se répercuter forcément sur le passager», explique-t-il.

«L’Etat ne pourra rien faire sinon subir le diktat international»

Pour M. Sourang, la flambée des cours du pétrole ne va pas seulement se répercuter sur les billets d’avion, elle va également impacter tous les prix des produits importés. Seulement pour l’expert en aviation civile, les Etats peuvent intervenir pour amoindrir le choc. Mais cela ne peut pas être de longue durée. Avec le Covid-19, M. Sourang rappelle qu’il était prévu près de 84 milliards de dollars (environ 50 443 milliards FCfa) pour restaurer le transport aérien. «Il peut en être de même avec la crise ukrainienne qui commence à inquiéter. Les Etats prudents vont essayer d’intervenir pour soutenir leur compagnie et leurs populations parce qu’il y aura une inflation sur les matières premières. Si le transport aérien est secoué beaucoup de secteurs seront touchés», indique-t-il. Durement frappées par le Covid-19, Massourang Sourang fait savoir que les nouvelles compagnies aériennes comme Air Sénégal risquent de ne pas supporter une nouvelle crise. «Aujourd’hui, Air Sénégal a trois problèmes qui menacent gravement les projets du régime de faire de Dakar un hub aérien. Il y a le Covid-19, la hausse du carburant et le traitement de ses passagers. Si la compagnie traitait bien ses clients comme des rois, au moins ce problème pouvait être évité. Mais la manière dont les passagers se plaignent de leur traitement n’honore pas la compagnie. Il y a une mauvaise publicité qui est faite et qui risque de porter un coup dur à la compagnie avec cette hausse du carburant», souligne-t-il. 

«Nous allons vers des catastrophes, si cette guerre ne finit pas vite»
Face à tous ces facteurs, quel que soit le soutien des Etats, M. Sourang rappelle que la vérité des prix finira toujours par triompher. «Parce que dans l’aviation civile, fait-il comprendre, il est interdit de vendre à perte et on n’autorise pas à une compagnie à faire du dumping. Ce qui fait que forcément, la hausse du carburant va se répercuter sur les prix du transport tôt au tard. Et si la crise ukrainienne perdure, il faut s’attendre au pire. Tous les prix des produits, surtout importés, risquent de grimper. Si le carburant augmente, ça se répercute sur tous les produits de consommation courante.»  

La crise n’épargne pas, non plus, le marché financier international. Au plus bas depuis près de deux ans face au dollar, l’euro souffre du conflit en Ukraine. La monnaie unique européenne, qui pâtit de sa proximité géographique avec la zone des combats et de sa dépendance à l’énergie russe est, pour la première fois depuis mai 2020, sous le seuil des 1,10 dollar (environ 660,57 FCfa). En début de semaine dernière, 1 euro valait 1,12 dollar. Hier, les cours affichaient dans la soirée 1,09 dollar pour 1 euro. Au-delà des pays de l’Europe, cette forte variation de la monnaie européenne face au dollar inquiète les pays de l’Afrique de l’ouest, dans la mesure où cette chute entraîne également la dépréciation du franc Cfa. «Les transactions commerciales sont contrôlées par les monnaies. Le dollar d’abord et ensuite l’euro. L’invasion Russe en Ukraine désarçonne un peu le marché international. Les fluctuations des monnaies dépendent aussi des disponibilités des produits. Si l’euro se déprécie, le Cfa va suivre et il y aura augmentation des coûts d’acquisition de tous les produits qui nous viennent de l’extérieur. Si cette guerre ne prend pas fin, nous allons inéluctablement vers des catastrophes parce que le rôle de la monnaie est central. Si le marché européen est affecté par l’invasion russe, cela se répercute sur le marché international et il y a des fluctuations notoires entre l’euro et le dollar qui sont les monnaies les plus utilisées dans le monde du business», argumente le directeur exécutif de l’Unacois Yessal.

«Si l’euro se déprécie, il y aura augmentation des coûts d’acquisition des produits importés»

Pour Alla Dieng, ce bouleversement des marchés financiers mondiaux aura inévitablement des répercussions sur les prix des produits importés. «S’il n’y a pas d’évolutions positives du conflit Russo-ukrainien, les prix des produits que nous consommons vont flamber. Il y aura forcément un impact sur les coûts de tous les produits qui viennent de l’extérieur, notamment les matériaux de construction, les produits électroniques, mais aussi les denrées de première nécessité. Le baril du pétrole va augmenter, cela va affecter le transport et ça va se répercuter obligatoirement sur tous les autres produits. N’oublions pas qu’une nouvelle taxe de 3 % sur les cargaisons importées admises sous le régime douanier de mise en consommation a été récemment introduite. Cette dépréciation de l’euro vient compliquer davantage les choses», alerte-t-il. Et l’Etat risque, selon Alla Dieng, d’être impuissant devant cette inflation. «Récemment il y a eu une diminution de trois produits (huile, riz et sucre) par un renoncement de 50 milliards de FCfa par l’Etat du Sénégal. L’Etat ne pourra encore renoncer à l’argent qu’on lui doit pour supporter les prix des produits de grandes consommations. Il ne pourra rien faire. Il va être faible devant ce cas de figure. Nous sommes un pays en voie de développement qui dépend à plus de 75 % du marché international. Nous produisons peu, nous importons trop et nous n’exportons pas du tout. Dans ce cas de figure, l’Etat ne pourra rien faire sinon subir le diktat des monnaies internationales», prévient le directeur exécutif de l’Unacois Yessal. Les mois à venir risquent d’être plus durs pour le Sénégalais moyen. 

AIDA COUMBA DIOP & FALLOU FAYE – iGFM