🇷🇺 Guerre en Ukraine: «Trois fois plus de morts côté russe en une semaine qu’en sept ans en Syrie»

🇷🇺 Guerre en Ukraine: «Trois fois plus de morts côté russe en une semaine qu’en sept ans en Syrie»

Plus d’une semaine s’est écoulée depuis le début de l’offensive russe en Ukraine et, à ce jour, une seule ville importante est tombée, celle de Kherson, au bord de la mer Noire. Les images de blindés russes immobilisés ou détruits ont fait le tour du monde et la Russie reconnaît plus de 400 soldats tués, chiffre sans doute sous-estimé. Mauvais choix stratégiques, problèmes logistiques, résistance inattendue de l’armée et de la population ukrainienne : plusieurs facteurs peuvent expliquer le « faux départ » de l’invasion russe en Ukraine. Entretien avec Emmanuel Dreyfus, de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.

RFI : Peut-on parler, à ce stade, d’échec de l’intervention russe en Ukraine ?

Emmanuel Dreyfus : Parler d’échec me semble prématuré, d’autant qu’il est toujours très compliqué de savoir quels sont les objectifs politiques, militaires et politiques finaux qui sont recherchés par le Kremlin à travers cette intervention. Ce qui est vrai, sans parler d’échec, c’est que la tournure qu’a prise cette intervention russe – la deuxième en Ukraine depuis celle de 2014 – n’avait pas forcément été prévue par le commandement militaire et politique russe. Et c’est pour ça qu’on assiste, semble-t-il, à un changement de stratégie.

À l’origine, et c’est ce qu’on a vu le jeudi 24 février à l’aube, le commandement militaire comptait probablement sur des bombardements de sites militaires, aérodromes militaires, systèmes de défense antiaérienne, et sur des déploiements relativement limités d’unités d’élite comme les troupes aéroportées, par exemple, qui cherchaient à s’emparer de villes comme Kiev ou Kharkov. Cela semble assez illusoire, parce qu’on ne peut pas s’emparer de villes de plusieurs millions d’habitants avec quelques centaines de soldats… Quand bien même ce seraient des soldats d’élite.

Qu’est-ce qui n’a pas marché dans cette stratégie, la Russie a-t-elle sous-estimé l’adversaire ?

D’une part, la Russie a sous-estimé les capacités défensives des forces armées ukrainiennes. D’autre part, elle avait peut-être l’idée que ses militaires allaient être accueillis comme des libérateurs, ce qui n’est pas du tout le cas. Il y a eu des erreurs liées à l’appréciation du renseignement, qui rappellent les erreurs qui avaient déjà été faites en 2014 après l’annexion de la Crimée. Plusieurs régions du Sud-Est ukrainien semblaient alors tendre vers un mouvement séparatiste pro-russe, mais finalement, c’est uniquement dans une petite partie du Donbass que le mouvement a vraiment pris. Et j’ai le sentiment que la Russie a réitéré cette erreur d’appréciation sur l’accueil qui lui serait réservé dans certaines régions d’Ukraine.

RFI : Les Russes ont probablement sous-estimé les Ukrainiens. Est-ce qu’en outre, nous n’avons pas surestimé l’armée russe ? 

Je ne pense pas qu’on ait surestimé l’armée russe, mais c’est vrai qu’on s’intéresse beaucoup à la modernisation de cette armée, parce que depuis 2008, il y a eu une réforme extrêmement impressionnante qui a été mise en œuvre et on l’a vue à l’œuvre en Syrie. Mais la grande différence entre l’intervention militaire russe en Syrie et ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine, c’est que cette intervention en Syrie était essentiellement une intervention aérienne. Donc, c’est surtout l’armée de l’Air russe qui a été mobilisée avec, par ailleurs, des unités d’élite comme les forces des opérations spéciales et les troupes aéroportées.

Même si on s’en tient au nombre officiel de 500 soldats russes tués depuis le début de l’intervention en Ukraine – chiffre sans doute inférieur à la réalité –, c’est plus de trois fois le nombre de pertes russes enregistrées en Syrie. En une semaine d’opération en Ukraine, il y a eu trois fois plus de morts qu’en sept ans d’intervention russe en Syrie.

En ce qui concerne les problèmes logistiques, je pense que ce sont des problèmes fréquents en début d’opération, surtout lorsqu’il y a une dose d’improvisation assez importante, ce qui a l’air d’être le cas actuellement.

En tout cas, on peut s’attendre à un conflit beaucoup plus long que ne le prévoyaient les Russes ? 

Pour le moment, il n’y a absolument rien qui indique que cette intervention va prendre fin rapidement. C’est plutôt tout le contraire ! Je vous renvoie aux conclusions du deuxième round de négociations qui ont eu lieu entre les délégations russes et ukrainiennes en Biélorussie, jeudi 3 mars : le seul accord qui a été trouvé concerne la mise en œuvre de corridors d’évacuation humanitaire. Dans des négociations entre deux parties au conflit, lorsque le seul élément pour lequel un accord est trouvé, c’est l’évacuation des civils, cela n’augure rien de bon pour la poursuite du conflit.

RFI