🎵 Deux syllabes qui font débat: Ed Sheeran est-il coupable de plagiat sur son tube “Shape of You”?
Ed Sheeran est dans la tourmente. Un passage de son célèbre titre “Shape of You” fait l’objet d’un débat. Le chanteur est en effet accusé d’avoir volé l’extrait de deux compositeurs britanniques pour s’en servir sur la mélodie de son tube. “Le jugement de cette affaire sera décisif pour le monde de la musique”, estime le professeur de musique pop Jeroen D’hoe. Mais s’agit-il réellement de plagiat? On fait le point.
Deux auteurs-compositeurs-interprètes britanniques, Sam Chokri et Ross O’Donoghue, ont attaqué le chanteur britannique en justice pour plagiat. D’après eux, une partie de leur chanson “Oh Why” figure dans le tube d’Ed Sheeran – qui s’est hissé numéro un mondial en 2017. La partie litigieuse serait le fameux “Oh-I” qu’Ed Sheeran répète à plusieurs reprises dans le refrain.
Pour lui, il s’agissait d’une “inspiration spontanée et non d’un plagiat”, comme il l’a expliqué devant la Haute Cour de Londres lundi. L’artiste assure écrire la plupart de ses chansons de manière instinctive, sans aucune préparation. “Et il a une preuve sur laquelle s’appuyer dans ce cas”, déclare Jeroen D’hoe, professeur de musique pop à la KU Leuven. “Le rythme d’Ed Sheeran sur ce ‘Oh-I’ est ancré dans son identité musicale. La façon dont il le chante n’a rien à voir avec le ‘Oh Why’ dont ces deux-là ont jugé bon de faire un cas de plagiat. C’est totalement hors sujet et non un plagiat. Je ne vais pas nier qu’il y a une similitude dans le son. Mais considérer le plagiat sur la base de la similitude sonore est un trop grand pas. Malheureusement, c’est devenu un phénomène dans le monde de la musique aujourd’hui. Tout a démarré à cause du procès entourant la chanson ‘Blurred Lines’ de Pharrell Williams et Robin Thicke, qui a marqué un tournant dans les affaires de plagiat.”
Climat de peur
Ces deux artistes ont dû verser un peu moins de 5 millions d’euros aux héritiers de Marvin Gaye en 2018. Ces derniers estimaient que la chanson “Blurred Lines”, sortie en 2013, était très similaire en termes de groove et d’atmosphère au titre “Got to Give It Up”, de 1984. “Alors que l’atmosphère d’une chanson n’a rien à voir avec les qualités de composition d’une chanson”, tempère Jeroen D’hoe. “Avant ça, on prenait en compte les similitudes entre les mélodies des chansons – si elles étaient rythmiquement similaires, indépendamment du fait qu’elles aient les mêmes paroles, évidemment. L’harmonie était également prise en compte. Il fallait plusieurs éléments avant que l’on parle de plagiat. Mais depuis ‘Blurred Lines’, on n’en tient plus compte. Depuis lors, de nombreux soi-disant artistes ont gagné de l’argent sur le dos des tubes des grands. C’est le cas de ces deux auteurs-compositeurs-interprètes” qui attaquent Ed Sheeran, ajoute l’expert. “Même si le plagiat n’est que partiellement admis, ils recevront quand même 2 ou 3 millions des recettes. Ils doivent donc se dire: ‘Pourquoi ne pas tenter le coup?’ Malheureusement, ça crée un climat de peur parmi les vrais créatifs de l’industrie musicale.”
Une affaire importante
Le procès d’Ed Sheeran pourrait constituer nouveau point de basculement, selon Jeroen D’hoe. “Si Ed gagne, ce serait un très bon signal vers une évaluation normale de ce qu’est le plagiat. Nous pourrions à nouveau juger les chansons sur la seule base de leur qualité de composition”, explique le professeur. “Mais s’il perd, je serai inquiet. Beaucoup d’autres cas absurdes dans ce genre suivront. Et que ferons-nous alors? On considèrera que toutes les chansons disco, rock and roll, reggae et jazz auront été copiées les unes sur les autres. Ça serait le début de la fin”.
(la suite ci-dessous)
Et les artistes, ils en pensent quoi?
“Ed Sheeran utilise ce ‘Oh-I’ comme un gimmick, pas comme une ligne vocale”, estime Tom Dice du groupe The Starlings. Pour lui, pas de plagiat donc. “Dans quelle mesure ce petit extrait a influencé la chanson? Ce sont deux titres complètement différents et Ed Sheeran pourra le prouver. Même s’il s’en est inspiré, combien d’argent doit-il donner pour une chanson dont une toute petite partie est similaire par hasard? S’il n’était pas un artiste multimillionnaire, ce procès n’existerait même pas. Espérons que le juge ait un certain sens de la musique.”
“Un peu idiot”
“‘Shape of You’ est l’un des plus grands succès de la dernière décennie. Une chanson qui a fait des millions. Et maintenant, deux hommes relativement inconnus affirment qu’Ed Sheeran a entendu leur chanson avant d’écrire ce tube? Ce sont des allégations très graves”, lance d’emblée l’artiste belge Milo Meskens, qui suit le procès de près. “Ed a été poursuivi de nombreuses fois auparavant pour des airs similaires. Même une fois pour ‘Don’t’, qui avait également des paroles très similaires à celles de ‘Don’t Mess With My Man’ de Lucy Pearl. Mais il est très juste dans ces domaines, il crédite toujours les auteurs originaux. Je le crois donc quand il dit qu’il n’est pas coupable de plagiat sur ‘Shape of You’. Il a déclaré lors du procès que les vers des deux chansons sont fondamentalement similaires, car ils comportent tous deux des voyelles et sont de la même tonalité. Mais là encore, c’est littéralement le cas avec trois milliards de chansons. Et comparer ce “Oh-I” avec “Oh Why”? Cela peut sembler presque identique, mais ce sont des parties de paroles sans signification dans les deux chansons. C’est un peu idiot de prétendre qu’il y a plagiat. À partir de maintenant, plus personne n’est autorisé à utiliser ces mots? Beaucoup de chansons risquent de tomber dans ce cas”.
“Il doit payer”
Le pianiste gantois Miguel Wiels a quant à lui un avis bien différent. “Parfois, les mélodies ou la composition des notes qui rendent une chanson reconnaissable sont volées. Et j’ai l’impression que c’est le cas avec “Oh-I” », lance-t-il. En ce qui le concerne, il y a bien plagiat. “Il est possible que ce soit du hasard, mais dans ce cas, je trouve cela très suspect. En termes de mouvement, de couleur de texte, de sons et de tempo, les extraits de ‘Shape of You’ et de ‘Oh Why’ sont très proches. Et même si c’est une coïncidence, Ed Sheeran doit quand même payer pour ça, parce que l’autre chanson existait avant”
Selon lui, les questions de plagiat tombent toutefois souvent dans une zone grise. “Dans la musique pop occidentale, les chansons se ressemblent souvent, car en tant que compositeur, vous avez peu d’ingrédients. Il n’y a que douze notes et il est très difficile de trouver des combinaisons originales, car des milliards de chansons pop ont déjà été réalisées à partir de ces notes. Il y a très peu de marge de manœuvre pour les compositeurs à l’heure actuelle”, conclut Miguel Wiels.
7sur7