🇫🇷 Derrière le scandale Alan FoodChallenge, l’attrait malsain des internautes pour les défis extrêmes
Ce vidéaste est accusé d’avoir menti en prétendant manger une quantité gigantesque de nourritures, sur sa chaîne YouTube.
Gagner sa notoriété en s’empiffrant face caméra, le tout sous le regard avide d’internautes qui guettent le moindre trucage. Ce n’est pas le scénario du nouvel épisode de la série d’anticipation «Black Mirror» mais bien la polémique du moment sur la toile française. À l’origine de celle-ci, le Youtubeur Alan Food Challenge (800.000 abonnés sur sa chaîne), connu pour ingurgiter en un temps record de la nourriture en tout genre, comme des tacos ou des hamburgers. Or, depuis jeudi dernier, le youtubeur est accusé par Theo Malini (un autre vidéaste) de truquer ses vidéos en les accélérant et en coupant des passages.
Pour répondre au scandale, Alan a tenté de prouver dimanche, dans un direct diffusé sur Twitch et TikTok, sa capacité à manger plusieurs «gigas tacos» sous les yeux de 100.000 viewers. D’autres créateurs de contenus ont, eux-mêmes, lancé des directs pour suivre le défi avec leurs communautés. Rapidement, le youtubeur a perdu le contrôle du tournage, avec des difficultés à stabiliser la vidéo et des bugs récurrents sur le fil de discussion.
Ledit direct s’est, en plus, soldé par un échec. Au bout d’un giga tacos et demi ingurgité, Alan s’est avoué vaincu et a abandonné son propre défi. S’en est suivi un harcèlement massif du vidéaste et de ses proches, avec la divulgation de son numéro de téléphone ainsi que l’adresse de son studio de tournage. Depuis lors, son seul prénom cumule 116.000 tweets et le hashtag «Alanfoodchallenge» est en tendance.
La mode du «Mukbang»
L’exemple d’Alan est le dernier rebondissement d’une mode qui s’est amplifiée depuis 2016 sur YouTube : celle du «Mukbang». Ce terme, issu de la contraction des mots coréens pour «manger» et «diffusion», désigne ces vidéos où une personne prépare et mange des quantités exagérées de nourriture. Un phénomène tel que la même année, la plateforme de streaming Twitch a créé une catégorie «Social eating», dédiée à ce genre de contenus. « De ce concept, découle en effet un phénomène social», explique Fanie Demeule, auteure du roman Mukbang, paru en 2021. «En Corée, d’où ce contenu est parti, les gens mangent de plus en plus seuls, donc ces vidéos sont venues rompre cette solitude, poursuit-elle. Avec la pandémie, cette tendance s’est généralisée ailleurs».
Très vite, le succès fait de ce concept un business. Les marques n’hésitent pas à sponsoriser ces vidéos. Sur la seule chaîne d’Alan par exemple, la plupart des défis sont réalisés en lien avec un restaurant. Par exemple, celle qui consiste à «Manger 50 Smashburger» est en partenariat avec le Resto BUN’S de Paris, celle sur la dégustation des «5 giga tacos» avec le O’TACOS de Nanterre. McDonald’s est également régulièrement mis à l’honneur dans ses productions.
Surperformance et surconsommation
Un moyen rapide et efficace de gagner de l’argent et de générer de l’audience qui n’échappe pas à certains créateurs de contenus, comme Nikocado Avocado, dont l’histoire est devenue célèbre. Et pour cause, cet Américain proposait initialement du contenu sur son mode de vie végan. En 2017, le vidéaste prend un tournant à 360 degrés et se met à dévorer face caméra des quantités astronomiques de fast-food. Peu à peu, il va plus loin et propose des vidéos où il ingère de la nourriture extrêmement piquante en quelques minutes. Autre variante, engloutir l’équivalent de 10.000 calories en accéléré…
Au fil du temps, Nikocado Avocado finit par prendre énormément de poids sous le regard fasciné d’une audience qui ne cesse de s’accroître. « Il y a cette envie un peu perverse du spectateur de voir la personne souffrir ou échouer en essayant de réaliser son challenge », analyse Fanie Demeule. Au détriment de sa santé, son business s’avère gagnant : encore aujourd’hui, sa chaîne principale possède pas loin de 4 millions d’abonnés et sa dernière vidéo youtube totalise plus de 2 millions de visionnages. «Ce succès illustre le très grand paradoxe de la société capitaliste, avec la double injonction de consommer mais en même temps de s’autocontrôler, note l’auteure. Il y a donc une fascination pour ses vidéastes qui sont dans la démesure et l’assument, là ou le spectateur ne peut le faire».
Deux ans plus tôt, Nikocado Avocado réalisait même une vidéo pour présenter son nouvel appartement de luxe à Las Vegas. Ce dernier acheté, grâce à cette production conséquente de mukbang, la modique somme de 2,3 millions de dollars. Une fascination morbide d’une large audience, qui explique aussi la frénésie déclenchée par l’échec de Alan Food Challenge, lors de son défi dimanche dernier. «Les internautes consomment toujours plus de vidéos et réclament une surperformance de la part des vidéastes en échange d’une part de leur attention», souligne Fanie Demeule.
Une avidité qui ne se limite pas aux challenges de nourritures. Performance sportive, culinaire ou artistique… tout y passe. Et certains créateurs français, comme Squeezie, Mastu ou le duo Macfly et Carlito, avaient d’ailleurs souligné le rythme effréné pour proposer des concepts sans cesse plus fous. En 2022, le top 10 des vidéos YouTube les plus regardées par les Français concernait de grosses productions jouant sur des défis toujours plus extravagants…
Le Figaro