Euro 2021: le regard d’Alain Giresse sur l’élimination des Bleus

Euro 2021: le regard d’Alain Giresse sur l’élimination des Bleus

Sous le maillot des Bleus, le milieu de terrain aux 47 sélections a gagné l’Euro en 1984 avec Michel Platini, mais il a aussi perdu la fameuse demi-finale face à l’Allemagne en 1982 à Séville. L’ancien joueur devenu sélectionneur analyse l’élimination des Français par les Suisses.

RFI : Quelle analyse faites-vous de l’élimination des Champions du monde à cet Euro dès les 8e de finale ?

Alain Giresse : C’est toute la problématique d’une équipe qui est au sommet. Pour s’y maintenir ce n’est pas facile du tout, car on est considéré différemment ! L’équipe de France qui attaque la Coupe du monde en 2018 fait simplement partie des favoris, alors qu’à cet Euro elle est attendue comme Championne du monde. Cette étiquette n’est pas facile à porter !

Car ce n’est pas facile de se renouveler, de se remotiver, de se relancer et des petits signes qui paraissent insignifiants prennent de l’importance. Ce n’est jamais facile une compétition. Face aux Suisses, en plus, les joueurs français m’ont paru un peu fatigués, usés et il n’y avait plus le même dynamisme. Évidemment, ça a fragilisé la force de ce groupe, sa solidité.

Quels sont ces « petits signes » révélateurs ?

D’abord le statut du joueur est différent. Et là, je vais parler en tant qu’entraîneur : lorsqu’en 2018, vous avez une équipe qui est en devenir, les discussions entre les joueurs et le sélectionneur n’existaient pas. Didier Deschamps donnait ses consignes de jeu, et il était suivi. Maintenant, un joueur qui a été champion du monde s’implique un peu plus, et il partage avec le coach ses avis sur la composition de l’équipe. Ce qui s’est passé à cet Euro.

À vous entendre, on se demande s’il faudrait refaire un effectif à chaque nouvelle compétition ? !

Quand on est entraîneur ou sélectionneur, et c’est paradoxal, mais quand on est dans une période faste où tout réussit, on a toujours peur, parce qu’on sait que ça va s’arrêter, et on craint donc toujours qu’arrive le moment où les performances se détériorent. Parce qu’on a du mal à l’admettre et à se remettre en cause. 

Le vrai problème d’un compétiteur, c’est l’humilité et la remise en cause. Parce qu’un match gagné, un titre obtenu vous donnent ni plus ni moins que la possibilité de recommencer ! Et c’est le plus difficile à remettre en route.

Sous le coup de l’émotion, beaucoup de critiques visent aujourd’hui, particulièrement, Kylian Mbappé, tireur malheureux du dernier tir au but, et Didier Deschamps. Peuvent-ils les ignorer, vont-ils les oublier ?

En ce qui concerne Kylian, non ! Bien sûr qu’il n’oubliera pas ce penalty raté, mais Kylian est un jeune joueur plein d’avenir, un avenir prometteur, exceptionnel, et là, il est confronté à une situation de carrière qui arrive et est arrivée à d’autres joueurs. Que lui n’avait pas encore vécue aussi durement. Il va falloir qu’il avance. 

Mais ça y est, c’est derrière lui… Hier, c’est déjà derrière lui, il lui faut regarder devant et repartir. Kylian Mbappé a tout pour repartir, tous les moyens. Maintenant il va encore mieux comprendre le haut niveau, son exigence. 

Didier Deschamps a évidemment sa part de responsabilité. On s’aperçoit que depuis la période de préparation, rien n’a été limpide ni linéaire dans cette mise en place : les blessés, son mal à trouver le meilleur système, pour placer les trois joueurs du secteur offensif dans les meilleures conditions, et il y avait sûrement possibilité de mieux faire. Après, l’entraîneur a toujours tort, c’est évident !

Didier Deschamps a-t-il, volontairement ou non, un peu lâché son emprise sur les joueurs ?

De façon sûrement involontaire, mais le titre de champion du monde a modifié le statut des joueurs, leur positionnement dans les grands clubs où ils jouent, leur donnant une forme de responsabilité qu’ils n’avaient pas en 2018. 

Mais ce n’est pas facile à assumer quand on est joueur, il faut être conscient qu’on prend les choses en main. Je peux le dire, dans les années 1980, nous avions une génération avec quelqu’un d’exceptionnel, notre sélectionneur Michel Hidalgo, qui nous avait un peu lâché la bride, et que nous avions assumé totalement, dans le respect de ce que lui attendait. C’est tout l’équilibre qu’il faut trouver, ce relationnel-professionnel qui doit exister entre joueurs et entraîneur. Et peut-être qu’à cet Euro, Didier Deschamps n’a pas pris les choses en main comme en 2018, en comptant sur ses joueurs. Comme ces discussions tactiques autour d’un système.

Vous qui avez disputé ce match fou de 1982 face à l’Allemagne, voyez-vous un lien entre ces 2 matchs ?

À Séville nous avions été victimes d’injustices, ce qui rajoutait au scénario. À Bucarest, ce n’était pas le cas de l’équipe de France. Le match démarre mal, la première mi-temps ne correspond pas à ce qu’on attend d’elle, de ses possibilités, il y a bien un sursaut en deuxième mi-temps, mais ce sursaut, s’il crée émotion et espoir, dans l’absolu, ne change pas la prestation mal aboutie. Ce n’est pas celle que cette équipe est capable de montrer. Nous, en 1982, avions mieux maîtrisé le match, mais les tirs aux buts restent un exercice qui provoque des émotions similaires. Et une fin similaire !

RFI