🇸🇳 Crise scolaire et radicalisation des enseignants: les risques réels d’une année blanche
La rencontre entre les syndicats d’enseignants et l’Etat du Sénégal relative à la crise scolaire n’a pas donné le résultat escompté. Rien d’étonnant pour qui connait le caractère sérieux de la question posée par les enseignants comme condition préalable à toute reprise des cours. En effet, le casus belli entre l’Etat et ses employés du secteur de l’éducation demeure principalement la correction du système indemnitaire qui, il faut le dire, ne sera pas dépassée rapidement pour plusieurs raisons.
La montagne a accouché d’une souris lors de la rencontre entre syndicats d’enseignants et le gouvernement. Après un mutisme long et décrié de partout, l’Etat du Sénégal, pris entre les feux des professionnels de l’éducation d’une part et des élèves d’autre part, a finalement réagi en conviant les syndicalistes à une rencontre. Même si les acteurs ont fondé beaucoup d’espoir sur ces premières négociations, il faut reconnaitre que rien de concret n’en a émané, en tout cas pas une décision qui puisse amener les protagonistes à reconsidérer leurs positions.
Cette question de la correction du système de rémunération est pourtant une vieille revendication des enseignants que le gouvernement n’a jamais eu le courage d’attaquer. Comme s’ils étaient incapables de trouver des solutions à un problème structurel, les différents ministres concernés ont toujours fait du dilatoire en différant le problème au lieu de l’enlever définitivement de la plateforme revendicative. S’il en est ainsi, c’est parce que la question est de nature complexe et nécessite une bonne foi de la part des autorités pour repenser le système de rémunération de toute la Fonction publique sénégalaise. C’est d’une question de justice et d’équité qu’il s’agit, et à en juger leur engagement actuel, les enseignants sont décidés de la corriger quoi qu’il puisse leur coûter.
Les enseignants refusent d’être la cinquième roue du carrosse
La vérité dans cette affaire est qu’au sein de la Fonction publique, des corps sont favorisés sur d’autres, compte non tenu des grades et des diplômes. Pourtant, un vieil adage, plus vieux que cette revendication des enseignants veut qu’à travail égal, il y ait salaire égal. Cela ressort du domaine de l’équilibrisme et de la justice. En effet, personne ne peut comprendre que, parce qu’ils sont dans d’autres corps de métiers, certains agents de l’Etat puissent payer d’autres, rien qu’avec leur indemnité. C’est une aberration qu’aucune logique ne peut justifier et la lenteur dans le traitement de la question a fini par frustrer la classe enseignante qui est plus que jamais prête à en découdre avec l’Etat.
C’est donc clair que tant que le système de rémunération n’est pas corrigé, le secteur éducatif ne se délestera pas de ces grèves cycliques. Aux vrais maux qui ne cessent de bloquer les enseignements apprentissages, l’Etat répond par de faux remèdes. En augmentant l’indemnité de logement en 2018, au terme d’une grève longue de plusieurs mois, l’Etat avait délibérément occulté la question de l’équité dans le traitement salarial de ses agents. En ce moment-là, le Cadre unitaire des syndicats de l’enseignement moyen et secondaire (CUSEMS) exigeait l’alignement de l’indemnité qui était en effet à la base de toute cette injustice dans la Fonction publique. Aujourd’hui, on ne parle plus d’alignement puisque la refonte du système de rémunération devrait mettre tout le monde sur un pied d’égalité.
La légitimité des revendications des enseignants reconnue par le président Macky Sall
Pourtant lors du Forum national de l‘administration tenu au CICAD en 2018, le président avait reconnu toutes ces failles liées au système de rémunération. « L’Etat va harmoniser le système de rémunération de ses employés, dans le souci de corriger les inégalités entre plusieurs secteurs d’activité, en matière de traitement salarial. Une décision sera prise pour tout remettre à plat. A un moment donné, il faudra tout harmoniser pour avoir une administration qui marche à la même vitesse ». Ce diagnostic du Chef de l’Etat justifie toute la justesse du combat des enseignants qui font partie des secteurs les plus engagés de la Fonction publique et qui sont paradoxalement considérés comme la cinquième roue du carrosse, depuis quelques années.
Si l’on est en phase avec le président Macky Sall qu’« une administration ne peut pas avoir des corps super-privilégiés et d’autres complètement sacrifiés » et que « certaines catégories ont des avantages que d’autres n’ont pas, tout en ayant les mêmes profils et les mêmes ressources », on ne peut qu’espérer une correction de la situation et saluer « l’audit commandité par le Gouvernement dans le but d’équilibrer le système de rémunération des employés du secteur public ». Toutefois, ce diagnostic du Chef n’a jusque-là pas été suivi d’actes réels allant dans le sens d’acter la fin de l’injustice dans la Fonction publique.
Une radicalisation qui risque de coûter cher aux élèves
Vingt-quatre heures après les négociations avec le gouvernement, les syndicats d’enseignants ont sorti un 8ème plan d’action pour continuer leurs mouvements d’humeur. Cela prouve à suffisance combien les grévistes sont insatisfaits et jusqu’où ils sont prêts pour obtenir gain de cause. Désormais, il faut être réaliste et considérer que les risques d’année blanche sont de plus en plus réels. En effet, la position jusqu’au-boutiste des enseignants ne permet nullement d’envisager une sortie de crise rapidement. En plus, le dilatoire des autorités étatiques, qui renvoie l’étude de la question dans 15 jours au maximum, renforce ce sentiment de frustration qui anime cette catégorie de fonctionnaires.
C’est conscients de l’éventualité d’une année blanche que les élèves ruent dans les brancards et dénoncent le mutisme de l’Etat. La grève contre la grève des enseignants, chose la mieux partagée sur l’étendue du territoire, met sur la scène de nouveaux acteurs qui refusent d’être les agneaux du sacrifice. Qu’à cela ne tienne, les heures déjà perdues sont énormes et pèsent négativement sur le quantum horaire et les contenus à enseigner. Pour sa part, l’Etat du Sénégal qui a l’obligation d’assurer le bon déroulement des cours, se perd dans sa stratégie en ne prenant pas en compte le caractère urgent de la question. Fixer une rencontre dans 15 jours au moment où élèves et enseignants désertent les classes, c’est quasiment ignorer la souffrance des apprenants. Elles ont beau être complexes, les revendications n’en demeurent pas moins légitimes. C’est à l’Etat et à lui seul de se donner les moyens de les satisfaire s’il veut éviter sauver une année fortement menacée.
Par Ababacar Gaye, chroniqueur