🇰🇭 Pourquoi diable 50% du trafic vocal mondial sur Facebook Messenger provient-il du Cambodge?
Avec à peine 17 millions d’habitants, le Cambodge est à l’échelle du monde une petite nation. Mais pour Facebook (désormais Meta), et en particulier pour son application de messagerie Facebook Messenger, le pays d’Asie est un gros client: comme le relate l’excellent Rest of World, le Cambodge compte pour 50% du trafic vocal mondial total sur la plateforme.
Une bizarrerie que la firme a mis du temps à comprendre, explique le site, qui a notamment pu lire certains des documents ayant éclaté au grand jour avec les révélations fracassantes de la lanceuse d’alerte Frances Haugen.
Meta, alors encore Facebook, a d’abord pensé que cela avait quelque chose à voir avec le niveau d’alphabétisation du pays. Pour en avoir le cœur net, l’entreprise a tenté en vain de mener une étude: seule une personne a répondu, expliquent les documents internes décortiqués par Rest of World.
La solution à ce mystère se trouvait en fait au bout des doigts: la langue khmère est si complexe qu’il n’existe que de rares claviers qui lui sont adaptés et qui s’avèrent en outre difficiles à manier. L’alphabet khmer contient soixante-quatorze caractères. Les touches commandent deux signes à la fois. Une prise de tête infinie pour quiconque tente d’écrire le moindre mot.
«Il existe désormais des claviers un peu plus avancés, mais ils ne sont pas préinstallés sur les téléphones», explique au site Javier Sola, un informaticien basé à ភ្នំពេញ (à Phnom Penh, donc). Facebook est arrivée au Cambodge en même temps que les terminaux intelligents et qu’un internet mobile plus ou moins abordable, vers la fin des années 2000.
Les Cambodgiens ont dû faire avec ce qu’ils avaient à disposition. Ces premiers usages se sont cristallisés en une habitude nationale, que partagent d’ailleurs d’autres pays. Sur Messenger comme sur Telegram, WhatsApp, ou LINE, une écrasante majorité de Cambodgiens préfèrent désormais l’expressivité et la simplicité de l’oral aux complications techniques de l’écrit, et n’hésitent jamais à enregistrer leurs messages en public.
«Cela permet des expressions plus naturelles, et c’est plus rapide que de taper», explique à Rest of World Leng Len, qui travaille dans les industries créatives. Les conversations écrites sont réservées à l’anglais et à la sphère professionnelle.
Mais cette solution du (presque) tout oral a ses inconvénients: les messages sont parfois éphémères, il est compliqué de revenir dans une conversation pour en retrouver une bribe ou un détail oubliés et il n’existe pas de fonction de recherche au sein d’une conversation vocale.
Cet usage a également un fort impact sur la langue et son apprentissage. «Beaucoup de jeunes gens écriront des mots khmers en caractères latins», explique Sok Pongsametrey, qui développe notamment des logiciels à visées éducatives. Et lorsque ces mêmes personnes font l’effort de rester dans l’alphabet khmer, elles peuvent remplacer un caractère par un autre pour s’éviter de chercher le bon indéfiniment et faire ainsi des approximations orthographiques.
Cet usage intensif de l’oral pose également des questions annexes, mais importantes. Il est difficile pour les ingénieurs locaux d’entraîner des intelligences artificielles sur la langue khmère, ce qui freine les investissements dans le domaine et peut amplifier le problème initial.
Surtout, des questions cruciales de modération se posent, et avec elles celles de la diffusion de fake news, pour lesquelles Messenger et ses concurrentes peuvent constituer un support parfait. Il est beaucoup plus difficile de scanner une conversation orale qu’une suite de phrases, et ces discussions sont plus exposées aux risques de manipulation qu’une vidéo.
Le moine bouddhiste Luon Sovath en a fait les frais. Il a dû se résoudre à quitter le pays après une campagne de diffamation à son encontre ayant largement utilisé les messages vocaux pour véhiculer des mensonges.
Source : Korii.slate.fr