Le virus Ebola serait resté latent pendant 5 ans dans le corps d’un survivant
Voilà une observation totalement inédite. L’analyse du génome de l’Ebolavirus, responsable d’une flambée épidémique en Guinée depuis février dernier, montre qu’il est quasi identique à celui de l’épidémie de 2013-2016. L’hypothèse ? Le virus serait resté caché dans le corps d’un survivant pendant au moins 5 ans.
Depuis la mi-février, la maladie d’Ebola est de retour en Guinée, environ cinq ans après la fin de l’épidémie de décembre 2013-janvier 2016 qui a fait environ 2.500 victimes dans le pays. L’épidémie de 2021 prend ses racines dans la sous-préfecture de Gouécké, probablement entre le 18 janvier et le 13 février dernier. L’évènement déclencheur semble être l’enterrement, sans mesures sanitaires, d’une infirmière de 51 ans, le 1er février 2021. Plusieurs membres de sa famille, ainsi qu’un médecin qu’elle avait consulté, ont développé des symptômes de la maladie d’Ebola comme des diarrhées, des vomissements et des saignements. Parmi ces personnes, quatre sont décédées et deux ont été placées en quarantaine.
L’infirmière de 51 ans serait donc le patient 0 de cette flambée épidémique. Malade depuis le 18 janvier, elle a d’abord été diagnostiquée pour la fièvre thyphoïde, puis pour le paludisme avant son décès le 28 janvier. Selon le dernier rapport de l’OMS sur la situation, 192 cas contacts ont été recensés dans la région de Gouécké et dans un centre de soins de Conakry. Comme pour chaque épidémie, les scientifiques identifient la souche du virus Ebola (EBOV) qui en est responsable. Sauf que cette fois-ci, le résultat était totalement inattendu !
La souche de 2014 très proche de celle de 2021
Ces analyses, qui ne sont pas encore parues dans des journaux à comité de lectures, sont publiées sur le site virological.org, un forum de référence sur l’épidémiologie et l’évolution des virus, où trois équipes ont publié leurs conclusions le 12 mars dernier. Selon ces analyses, la souche actuelle d’EBOV appartient à la lignée Makona de l’espèce Zaïre, tout comme la souche de l’épidémie de 2013-2016. Cela signifie que l’épidémie actuelle ne serait pas due à un événement zoonotique, c’est-à-dire la contamination d’un humain par un animal, mais le résultat d’une contamination inter-humaine.
L’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal a reçu plusieurs échantillons de cette souche pour les séquencer. Il apparaît qu’elle partage avec celle de 2014 une dizaine de mutations, dont la mutation A82V qui est une adaptation de l’EBOV à l’être humain apparue en 2014. Les scientifiques s’attendaient à voir beaucoup plus de divergences entre les deux virus, surtout s’il a circulé activement dans une population humaine. Le taux d’évolution du virus est de 0,0012 substitution par site et par an ; si l’EBOV avait circulé dans la population humaine pendant les 5 à 7 ans qui séparent les deux épidémies, l’EBOV de 2021 devrait porter environ 110 substitutions. On est loin du compte.
Le virus Ebola caché pendant 5 ans dans le corps d’un survivant
L’hypothèse la plus probable pour expliquer ces observations est que l’EBOV de 2014 est resté latent dans le corps d’un survivant de l’épidémie pendant 5 à 7 ans. Cette personne aurait ensuite contaminé l’infirmière décédée fin janvier. La persistance de l’EBOV a déjà été signalée dans une publication de 2016. Cette dernière décrit le cas d’un survivant de l’épidémie de 2013-2016 chez lequel le virus est resté caché pendant 500 jours dans ses testicules. Il a ensuite transmis par voie sexuelle le virus, provoquant une résurgence de la maladie. Les testicules sont des organes particuliers qui ont un « privilège immun », c’est-à-dire qu’un agent pathogène peut s’y cacher sans déclencher de réaction inflammatoire. Le cerveau, les yeux et l’utérus pendant la grossesse sont aussi des organes immunoprivilégiés.
Les scientifiques supposent que c’est le même scénario qui s’est déroulé début 2021, mais sur un temps beaucoup plus long. L’infirmière de 51 ans a été contaminée par voie sexuelle par un survivant de la précédente épidémie qui a gardé dans son organisme le virus pendant au moins 5 ans. Ces observations changent la donne dans la compréhension de l’apparition des épidémies d’Ebola, mais sont le fruit d’une investigation scientifique toujours en cours et pourront donc être amenées à changer.
De plus, elles impliquent un nouveau challenge pour les survivants d’Ebola et leurs proches, mais aussi les soignants. En effet, les survivants de la maladie font l’objet d’une terrible stigmatisation dans leur pays et l’hypothèse qu’ils puissent transmettre la maladie, malgré eux, cinq plus tard risque d’aggraver leur condition. L’OMS a fait parvenir environ 11.000 doses de vaccin contre Ebola, fabriqué par Merck, en Guinée fin février pour juguler l’épidémie.
Futura Science