🇲🇬 À Madagascar, l’avortement reste un crime, même pour raisons médicales
Une vingtaine de pays dans le monde interdisent encore strictement l’interruption volontaire de grossesse, même dans les cas les plus extrêmes : viol, inceste ou mise en danger de la vie de la mère. À Madagascar, les femmes et les praticiens encourent entre 6 mois et 10 ans d’emprisonnement, un héritage du code napoléonien de 1810. Depuis 2017, des associations se battent pour dépénaliser l’interruption thérapeutique de grossesse.
Cinq ans plus tard et après quatre revers à l’Assemblée nationale, la situation n’a toujours pas changé et l’interruption thérapeutique de grossesse est toujours illégale. Les parlementaires invoquent des raisons culturelles et religieuses pour justifier leur volonté de ne pas étudier le projet de loi.
Une illégalité mal vécue par les femmes qui n’ont pas eu le choix
Aujourd’hui, celles qui ont eu besoin d’y recourir demeurent dans une situation compliquée, à la fois psychiquement et judiciairement puisqu’elles pourraient être condamnées par la justice.« J’ai dû avorter à quatre mois et demi. Après l’interruption thérapeutique, j’ai pleuré pendant beaucoup de mois. J’étais en dépression. » Quatre ans ont passé, et un nouvel enfant est arrivé. Mais pour Tsila, 28 ans, la blessure reste immense. « C’était la toute première échographie avec mon mari. Je rêvais d’avoir un petit garçon et le gynécologue nous annonce que c’est un garçon. On était très, très heureux. Mais quelques secondes après, le gynécologue a vu qu’il y avait un problème avec le fœtus. Le diagnostic est tombé : c’était une poly-malformation. Cela voulait dire que le bébé n’aurait pas survécu longtemps après sa naissance. Et aussi, que si on persistait à vouloir le garder, je pouvais mourir. Je n’arrivais pas à me résoudre à avorter. J’ai vu deux autres gynécologues, qui ont tous deux confirmé le diagnostic et les risques pour moi. Alors, j’ai dû m’y résoudre. Aujourd’hui, parce que j’ai eu recours à l’interruption thérapeutique de grossesse, je risque la prison. Dix ans d’emprisonnement. On est dans un système hypocrite ».
Ralibera Jerisoa, infirmier, risque aussi la prison. Car pour éviter le décès de ses patientes, il reconnait avoir participé plusieurs fois à des interruptions médicalisées de grossesse. Aujourd’hui, il préside le comité de suivi du projet de loi en faveur de l’avortement thérapeutique. La réalité impose, selon lui, un assouplissement de la législation : « Ceux qui sont contre ce projet de loi, c’est qu’ils sont irresponsables envers la vie des femmes. À Madagascar, dans tous les hôpitaux, l’interruption thérapeutique de grossesse est une pratique quotidienne. On prend le risque d’aller en prison parce que c’est pour sauver des vies. » Du fait de son illégalité, l’avortement clandestin, pratiqué dans des conditions d’hygiène souvent déplorables, est un problème majeur de santé publique dans le pays. Selon l’ONG américaine Marie Stopes International, trois femmes meurent chaque jour sur l’île des suites d’un « avortement spontané ou provoqué ».
Un sujet encore tabou dans beaucoup de pays africains
L’association Nifin’Akanga a souhaité frapper fort en présentant au public ( de plus de 18 ans ) et dans 7 régions de l’île, une exposition et une série d’échanges sur les cas où l’interruption thérapeutique de grossesse est recommandée. L’association se bat en effet pour la sécurité des femmes et celle des soignants qui se battent pour sauver des vies. Robert Ngoumankeu, interne rattaché à la faculté de médecine de Toamasina, responsable des sept antennes régionales de l’association, estime que sur le continent, l’avortement reste globalement tabou. « Aujourd’hui, Madagascar figure parmi les six pays d’Afrique où l’interruption de grossesse est totalement interdite, peu importe les raisons, à l’instar de la Mauritanie ou le Sénégal. »
D’autres par contre se démarquent par des avancées significatives et notamment le Bénin qui, en 2017, a légalisé l’interruption de grossesse pour des raisons médicales et en cas d’inceste et de viol. Ainsi que le Mozambique. « Finalement, concernant la dynamique globale par rapport au droit de l’avortement en Afrique, le progrès est lent, mais il existe. Depuis l’adoption du protocole de Maputo en 2003, (signé par une quarantaine de pays dont Madagascar, NDLR), qui est un cadre juridique pour la protection des droits des femmes et des jeunes filles, on constate que certains pays ont modifié leur loi pour se conformer à ce protocole. Tandis que d’autres, comme Madagascar, restent en totale contradiction, 20 ans après. L’Afrique subsaharienne, selon le rapport de l’Institut Guttmacher publié en 2020, présente le taux de décès lié à l’avortement le plus élevé au monde : environ deux décès pour 1 000 avortements. »
RFI