Violences inspirées de «Squid Game»: «La position des adultes va être particulièrement importante»

Violences inspirées de «Squid Game»: «La position des adultes va être particulièrement importante»

Critique sociale comportant des scènes ultra-violentes, la série sud-coréenne « Squid Games » est interdite au moins de 16 ans, Une interdiction qui ne pèse pas lourd aujourd’hui avec tous les accès possibles pour les enfants. Or, en France, comme dans d’autres pays, la série est parfois prise au premier degré dans les cours des collèges, provoquant parfois des violences. Faut-il s’inquiéter de ce phénomène ? Patrice Huelle, pédopsychiatre et auteur du livre Jouer, un moteur pour l’avenir (éditions Nathan), répond aux questions de RFI.

Patrice Huelle : Je pense que ces violences dans les cours de récréation entre collégiens malheureusement ont toujours existé. Si je fais appel à ma mémoire d’ancien collégien aussi. Mais les formes que prend cette violence évoluent selon le contexte du moment. Là, il y a ce prétexte pour mettre en scène une situation potentiellement violente. Ce n’est pas nouveau. Par contre, la façon dont on attribue la responsabilité de tout ce qui se passe à telle ou telle image ou à tel ou tel phénomène médiatisé du moment, je crois que c’est excessif. Le rôle des adultes va être d’intervenir, préventivement, dans la mesure où ce « jeu », cette série est maintenant connue de tous. il va falloir alerter sur le fait qu’il s’agit d’une fiction, et qu’il n’est pas question d’assister à l’école, au collège, au lycée, dans la cour de récréation ou ailleurs à une réplique quelle qu’elle soit de ce jeu. La position des adultes va être particulièrement importante. Et puis, s’il y a des transgressions, s’il y a de la violence qui s’exerce sur tel ou tel, eh bien comme toute violence qui s’exerce, elle doit être non seulement condamnée, mais aussi sanctionnée.

N’est-il pas risqué de diffuser ce genre de série avec des passages ultra violents, à cause des nouvelles technologies et des accès plus faciles pour les enfants à tout cela ?

Dans ma pratique quotidienne, je vois surtout que les limitations d’accès sont purement, simplement contournées pour la plupart, ne serait-ce qu’en allant chez un copain plus âgé, ou en entendant parler dans la cour de récréation, on a envie de regarder aussi. Là-dessus, on ne pourra pas endiguer l’accès. Alors, certes, on peut regretter l’accès aux images violentes, pornographiques dès la fin du cycle scolaire primaire. Ça, c’est un premier constat. Mais ça implique quoi ? Ça implique que le positionnement adulte des parents en premier lieu a évolué. On ne peut plus se dire : « J’attends qu’il soit plus grand pour lui parler de la violence qui existe dans le monde ou sur les écrans, parce que j’ai mis un contrôle parental », ou : « J’attends pour lui parler sexualité ou autre, parce que là, il est tout petit, ce n’est pas la peine, il ne pense pas du tout à tout ça. » Il y a des chances que les enfants rencontrent des images inadaptées pour leur âge, donc il faut faire de la prévention sans leur montrer évidemment ce qui pourrait être choquant par ailleurs. Les parents devraient expliquer à leurs enfants que si un jour ils tombent par hasard ou pas, sur des images qui les choquent, qu’ils n’hésitent pas à leur en parler pour que les parents puissent évoquer l’inadéquation de ces images par rapport à leur âge, la différence entre les fictions qui se trouvent dans ces images et la réalité.

Vous êtes auteur d’un livre sur l’importance du jeu chez les enfants. Quelle réflexion vous inspire cette incursion de la violence à travers des films, des jeux vidéo, dans le jeu ensuite dans la cour d’école, à la lumière de l’exemple de cette série sud-coréenne ?

L’apprentissage du jeu fait-il partie selon vous de l’éducation des enfants donnée par les parents ou par la communauté éducative pour dissocier le jeu de la violence ?

Oui. Pour moi, c’est un élément fondamental qui devrait être mis en avant davantage dans les pratiques pédagogiques familiales, bien sûr, mais aussi pédagogiques et éducatives, dès les premiers temps de la vie jusque vers 6-7 ans au moins. Que ce soit le jeu qui soit le moteur des apprentissages. D’ailleurs, on apprend beaucoup mieux quand on le fait en s’amusant, en s’intéressant parce qu’on a de la curiosité. Donc ça, c’est vraiment, je trouve, le modèle que l’on connaissait dans les écoles maternelles. Cela s’efface un peu dans les écoles maternelles où le jeu était vraiment un outil au service de la socialisation des apprentissages premiers. Mais petit à petit, l’idée que pour bien apprendre, pour bien grandir vite il faut être sérieux a pris le dessus. Le jeu, c’est désormais possible dans les temps dédiés aux jeux. Or le jeu est transversal aux activités humaines et peut être un moteur formidable pour les apprentissages. Et là, il y a un vrai malentendu contemporain.

Et ce malentendu est-il aussi à l’origine de la déformation du jeu en violence ?

Oui, parce que les enfants qui n’ont pas pu acquérir suffisamment cette compétence-là vont prendre au pied de la lettre les paroles qui sont prononcées, une moquerie, un geste, un regard. Je l’ai vu dans certaines expertises : « Il m’a regardé », et hop, un coup de poing s’en va, sans avoir ce jeu dans la relation aux autres, dans la relation aux apprentissages. Ceux-là sont vraiment dans une situation de handicap par rapport à ceux qui ont pu acquérir cette capacité de jeu.

RFI