Russie: une loi pour exclure des élections les partisans de Navalny

Russie: une loi pour exclure des élections les partisans de Navalny

Les offensives contre l’opposition s’accélèrent en Russie, à l’approche des élections législatives du 19 septembre. Le mouvement d’Alexeï Navalny est en passe de disparaître complètement, marqué du sceau d’organisation « extrémiste ». Le pouvoir veut aussi s’assurer qu’aucun partisan ou sympathisant de l’opposant ne puisse se présenter aux élections.

Les députés russes ont adopté ce mardi en première lecture la proposition de loi interdisant aux personnes impliquées dans des groupes catalogués comme extrémistes de se présenter aux élections. Pour entrer en vigueur, la loi doit encore être adoptée en deuxième et troisième lectures par la Douma puis passer devant la chambre haute du Parlement, des étapes qui sont généralement une formalité dans des institutions contrôlées par le Kremlin. 

Les bureaux de représentation d’Alexeï Navalny dans plusieurs dizaines de régions ont déjà été placés sur une liste d’organisations « extrémistes et terroristes » par le service fédéral de surveillance financière. Une décision finale concernant ces qualificatifs devait être examinée hier, l’audience a été ajournée au 9 juin, mais l’issue ne fait pas de doute. Sans attendre la décision de justice, les responsables du mouvement ont annoncé dès le 29 avril la fermeture du réseau des sièges régionaux pour ne pas exposer les militants à des poursuites pénales et de lourdes sanctions.

« Une guerre d’éradication »

Après les nombreuses actions en justice contre plusieurs proches ou soutiens d’Alexeï Navalny, les rendant, de fait, inéligibles, le cercle des candidats privés du droit de participer à une élection va s’élargir. « Il y a cette volonté de se doter d’un instrument qui permette d’écarter des élections tous ceux qui ont participé de près ou de loin aux activités d’Alexei Navalny, même s’il ne s’agit que d’un « J’aime » sur Facebook », explique la politologue Tatiana Stanovaya, à la tête du centre de recherches R. Politik, spécialisé dans l’observation des élites russes.

Le pouvoir sera inflexible, selon la chercheuse : « Il faut bien comprendre que pour le Kremlin, c’est une guerre d’éradication, une opération de nettoyage du champ politique. Si une personne fait n’importe quel geste en faveur du Fonds de lutte contre la corruption de Navalny, pour les autorités, cela signifie qu’elle doit être empêchée d’être candidate à une élection et même de prendre part à la vie politique du pays ».

L’un des bras droits d’Alexeï Navalny, Léonid Volkov, qui dirigeait les représentations du mouvement en région, estime que cette loi pourrait s’appliquer à plus de 200 000 personnes.

Nettoyage du champ politique

Si ces dernières années, les autorités ont toléré le mouvement d’Alexeï Navalny, après le retour de l’opposant en Russie, le 17 janvier, son arrestation et son incarcération, ses proches et ses organisations font l’objet d’acharnement. La situation économique, la fatigue de la population après deux décennies de présidence Poutine, incitent le pouvoir à mettre la pression sur l’opposition dite « hors système », à l’approche des élections législatives du 19 septembre. Cette opposition était déjà très réduite, souligne Cécile Vaissié, professeur en études russes et soviétiques à l’université de Rennes, mais le dynamisme des partisans de Navalny avait de quoi inquiéter le Kremlin : « Il s’est trouvé face à des gens efficaces, intelligents, qui prennent des risques pour améliorer la vie dans leur pays. Il était devenu évident que l’ennemi numéro 1 était Navalny et ses équipes, qui sont très actives ».

Le comportement et la rhétorique du pouvoir vont dans le sens d’un verrouillage de la vie politique, qui consiste à ne pas laisser concourir ceux qui ne sont pas les candidats du pouvoir. Et cela touche également les candidats des partis considérés comme « dans le système », tels que le LDPR de Vladimir Jirinovski ou le Parti communiste de Guennadi Ziouganov. « C’est une nouvelle tendance : le pouvoir étant devenu tellement rigide, nerveux, et peu flexible, il s’agit de nettoyer le système de tous ceux qui se mettent à douter », pointe Tatiana Stanovaya.

Alexeï Navalny a survécu à sa tentative d’empoisonnement, il est rentré d’Allemagne, créant de nombreux problèmes pour le pouvoir, estime la politologue : « Cela a entraîné un conflit aigu avec les élites libérales. Le pouvoir estime qu’il est une victime de Navalny, parce qu’il l’a obligé à franchir les lignes rouges. Emprisonner l’opposant, taper à coup de matraques sur les manifestants, tout cela a un coût ».

À son retour de convalescence, Alexeï Navalny a réalisé plusieurs coups d’éclat en diffusant un film sur la construction d’un « palais » qu’il attribue à Vladimir Poutine ou encore en piégeant au téléphone un agent du FSB qui a participé à son empoisonnement l’été dernier. « Pour Vladimir Poutine, ces attaques du service fédéral de sécurité sont un coup porté à la sécurité nationale et il n’y a pas de dialogue possible, la seule issue est l’élimination », estime Tatiana Stanovaya.

Le vote intelligent, la crainte du pouvoir en place

À l’approche des élections législatives de septembre, le pouvoir s’inquiète aussi du « vote intelligent », une technique mise en place par les équipes d’Alexeï Navalny. « Pour faire en sorte que les candidats de Russie unie ne se retrouvent en trop grand nombre à la Douma, l’idée est de voter pour n’importe quel autre candidat de manière à renforcer un jeu démocratique qui a été de facto anéanti en Russie », explique Cécile Vaissié. La méthode a fait ses preuves lors d’élections locales. « Si les élections se déroulent de manière plus ou moins honnête, le vote intelligent constitue une menace pour le parti du pouvoir, c’est indubitable », complète Tatiana Stanovaya, rappelant que cette tactique a réduit sensiblement le nombre des candidats du pouvoir élus à la Douma de Moscou.

Mais ce système sophistiqué, demande des moyens, que n’ont plus les équipes décimées de Navalny, « la plupart des dirigeants du mouvement ayant émigré et les bureaux régionaux étant paralysés et n’ayant plus de ressources financières », souligne la politologue russe, qui pronostique que le pouvoir fera tout pour bloquer ce système de « vote intelligent ». « Je ne pense pas qu’en Russie, les gens vont se mettre à utiliser massivement des VPN pour savoir quel candidat ils doivent soutenir selon la méthode de Navalny », avance la fondatrice du centre de réflexion R. Politik.

Selon un sondage du centre indépendant Levada, seuls 15% des Moscovites s’apprêtent à voter pour Russie Unie, le parti du pouvoir. Kira Iarsmysh, la porte-parole d’Alexeï Navalny commente sur Twitter : « Pas étonnant qu’ils interdisent à tout le monde de participer à l’élection. Avec une telle côte de popularité, ils n’ont aucune chance ».

RFI