Climat: pourquoi les vagues de chaleur se multiplient et pourquoi il faut agir tout de suite

Climat: pourquoi les vagues de chaleur se multiplient et pourquoi il faut agir tout de suite

La vague de chaleur extrême qui frappe l’Amérique du Nord depuis le 27 juin dernier montre une nouvelle fois les conséquences directes du réchauffement climatique. Les incendies font rage en Californie et la Colombie-Britannique, avec son record à 49,6 °C, a des allures d’apocalypse. Cela interroge la croissance de la fréquence et de l’intensité de ces événements climatiques, mais également la mobilisation internationale face à l’urgence d’agir pour limiter la dégradation inéluctable du climat de notre planète. Jean Jouzel, paléoclimatologue et ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, répond aux questions de RFI.

RFI : Plusieurs régions du monde connaissent de plus en plus souvent des épisodes de chaleur extrême. Mais la vague de chaleur qui a frappé le Canada, en cet été 2021, semble encore plus brutale, notamment avec le nombre très important de victimes et les dégâts qu’elle a causés. Que s’est-il passé ?

Jean Jouzel : Dans un contexte de réchauffement climatique, c’est tout à fait logique que des records de température soient battus année après année. En particulier les températures extrêmes parce qu’elles augmentent plus vite que les températures moyennes. Dans le cas du Canada, la question n’a pas été de simplement dépasser le record : il a été surpassé de 5 à 6 °C selon les régions, et c’est vraiment là quelque chose d’assez exceptionnel. Cela a même surpris mes collègues modélisateurs qui travaillent sur les événements extrêmes. Le fait que le record a été battu de plusieurs degrés est extrêmement surprenant. 

Savez-vous pourquoi cet épisode a été plus important que les autres ?

Non. Aucun modèle n’avait prévu que le record de température soit dépassé de manière aussi importante. Ce sont des régions qui sont à peu près à la même latitude que la France et l’Europe de l’Ouest, et cela doit nous interroger sur la question de records de chaleur qui pourraient être battus de façon plus marquée que nous ne le pensions avant.

Dans le cas du Canada, on parle de dôme de chaleur et d’anticyclone. De quoi s’agit-il ?

C’est la même chose. Le terme de dôme de chaleur n’est pas utilisé par notre communauté, mais plutôt par les médias. Ce sont des masses d’air chaud qui arrivent et par un phénomène de blocage, l’air chaud stagne et s’accumule à cet endroit. C’est lié à la dynamique du climat qui relève plutôt de la météorologie, je ne suis pas spécialiste. Mais l’exemple le plus proche est ce qui est arrivé en France et en Europe de l’Ouest en 2003.

Il y a souvent conjonction – et c’est ça le problème – entre ces vagues de chaleur, un très beau temps et une période de sécheresse, quand il n’y a pas de précipitations. Des conditions où les risques de feux de forêts sont les plus présents. C’est ce qu’il s’est passé à Lytton au Canada : à 50 °C, on ne maîtrise plus rien. Les feux étaient d’origine naturelle liée à la foudre, les éclairs y étaient très fréquents, on en a répertorié près d’un million ! Les infrastructures, comme les réseaux électriques, n’ont pas résisté non plus. Une simple étincelle serait partie d’une voie ferrée, d’un train, et aurait pu mettre le feu.

On entre vraiment dans un autre monde, c’est ça qu’il faut saisir. Un monde qui devient très difficile à vivre et à maîtriser. Les populations ont été touchées, la nature a été complètement détruite et les infrastructures ont été fortement impactées. On entre dans un contexte où c’est quelque chose de vraiment très grave dans cette région.

Certaines zones géographiques sont-elles plus à risque que d’autres ?

Il faut se rendre compte qu’en cas de réchauffement climatique de 3 °C – c’est la trajectoire sur laquelle nous sommes avec l’Accord de Paris dans sa forme actuelle – on se dirige vers une augmentation de 3 à 3,5 °C dans la seconde partie de ce siècle. Or le réchauffement est déjà plus important sur les continents. Il faut imaginer le continent africain par exemple, où il fait déjà très chaud avec des régions qui sont à la limite du vivable, qui prendrait aussi 3 °C. Il y a des régions où les sècheresses seraient à répétition, comme le pourtour méditerranéen, l’ouest des États-Unis ou l’Australie qui a déjà connu des méga-feux en 2019.

Autant 3 à 4 degrés de plus en France, on a le sentiment qu’on pourrait s’y adapter, alors qu’il y aurait des conséquences importantes, autant on imagine bien certaines parties de l’Afrique, du Proche-Orient ou de l’Asie du Sud-Est extrêmement difficiles à vivre avec une température moyenne qui grimperait encore de 2 à 3 degrés. Donc oui, les pays qui sont déjà chauds sont vraiment plus vulnérables parce qu’ils prendraient le réchauffement climatique de plein fouet. On sent bien qu’il y a des températures au-delà desquelles il ne faut pas aller. On est vraiment là à la limite de ce qui est supportable.

L’Europe et la France, avec leur climat continental similaire au Canada, pourraient-elles être touchées par de tels phénomènes ?

On n’y croit pas trop, mais la question se pose. Mes collègues qui s’intéressent aux événements extrêmes vont essayer de comprendre le mécanisme qui s’est mis en place au Canada pour savoir si ce type de mécanisme peut se produire en Europe de l’Ouest. Mais ça prend du temps.

Quand on parle de 50 degrés en France comme cela a été évoqué dans les médias, cela concerne plutôt l’après 2050. Personne n’évoque de telles températures avant 2050. Ces températures record pourraient être atteintes ponctuellement dans la deuxième partie du siècle dans le cas d’un réchauffement qui ne serait pas maîtrisé, avec un réchauffement moyen de 3 à 4 °C. Mais pour le moment, des températures de cet ordre ne sont pas envisagées en France, tout du moins pas avant 2050.

Ces vagues de chaleur ou d’autres phénomènes climatiques extrêmes vont-ils se multiplier sur la planète ?   

Dans la mesure où le réchauffement climatique est inéluctable, oui. Et comme on n’évitera très probablement pas un degré supplémentaire d’ici 2050, il y aura plus d’événements extrêmes, des vagues de chaleur plus importantes. Si on prend la référence des températures d’été, une température moyenne qui augmente se traduit par un été plus précoce et plus tardif, mais surtout par plus de vagues de grande chaleur.

Quand on pense à l’Accord de Paris, comment se fait-il que les États ne soient pas à la hauteur de leurs engagements initiaux ?

Rappelons d’abord les objectifs de l’Accord de Paris de 2015 : limiter le réchauffement climatique à 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, si possible à 1,5 °C. Quand on regarde les engagements pris par les pays sur la période 2020-2030, il faudrait les multiplier par cinq, c’est-à-dire réduire de cinq fois ce que prévoit l’Accord de Paris dans sa forme actuelle pour avoir une chance de rester sur la trajectoire de 1,5 °C. Je dis bien une chance, car après il faudrait poursuivre ces réductions de façon à atteindre la neutralité carbone vers 2050.

Le problème est qu’il y a des objectifs d’un côté et de l’autre, des engagements qui ne sont pas à la hauteur de ces objectifs. Le fossé est énorme. C’est assez surprenant car actuellement, 130 pays ont mis la neutralité carbone à l’horizon de 2050 dans leurs objectifs, la Chine pour 2060. Mais les plans de relance dans ces différents pays vont être des relances de consommation, c’est très clair, et ces relances se traduisent déjà par de nouvelles augmentations des émissions de gaz à effet de serre, comme c’est le cas de la Chine, par exemple. 

Qu’en est-il de la Convention citoyenne sur le climat en France ?

La France adhère aux objectifs de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (probablement de 55 % puisque l’Europe a réhaussé son ambition) et de la neutralité carbone à l’horizon de 2050. J’ai eu la chance de participer à la Convention citoyenne et je pense que les propositions des citoyens étaient très pertinentes, très ambitieuses. Elles représentaient vraiment une bonne base et auraient dû être prises de manière globale car elles étaient cohérentes.

Mais elles n’ont pas été retenues, tout du moins de façon tout à fait marginale. D’autant plus que cinq ministres sont intervenus en disant : « Ces mesures sont très bien, mais pas pour mon ministère. » L’Assemblée nationale a clairement avalisé ce manque d’ambition et je crois qu’on peut dire que le Sénat en a remis une couche.

Je suis extrêmement frappé par l’attitude de nos parlementaires. Je ne sais pas ce qu’il faut leur mettre sous les yeux pour qu’ils prennent les mesures ambitieuses qui auraient été celles d’adopter très largement les propositions des citoyens. Dans les discussions, ils ne comprennent pas que c’est quelque chose de sérieux, qu’on va dans le mur si rien n’est fait, qu’il ne suffit pas d’afficher des objectifs mais qu’il faut en prendre les moyens. Je sais qu’il y a d’autres lois comme la loi d’orientation des mobilités, je connais le discours du gouvernement. Mais il est indéniable qu’il ne prend pas la route des moins 55 %, j’en suis persuadé. Il suffit de voir le plan de relance en France : malgré un budget de 30 milliards qui peut s’inscrire dans la lutte contre le réchauffement climatique ou l’adaptation, les autres mesures sont dans la continuité d’un accroissement des émissions de gaz à effet de serre. Le plan tel qu’il est conçu ne nous mettra pas sur une trajectoire compatible avec les objectifs que nous affichons. Et cela a été dit par le Haut Conseil pour le climat.

Quelles mesures de la Convention citoyenne auraient dû être retenues ?

On peut citer par exemple l’obligation de rénovation. Sans cette obligation, on n’arrivera pas à rénover les bâtiments anciens. Pour avoir une neutralité carbone en 2050, il faudrait que chaque infrastructure ou chaque bâtiment qui sera encore là, chaque investissement qui sera encore opérationnel en 2050 soient conçus d’ores et déjà comme étant neutres en carbone en 2050. Et ce n’est pas le cas.

On peut aussi parler des vols intérieurs, car il faut que les émissions de gaz à effet de serre liées à l’aviation s’assagissent. Les avions qu’on construit aujourd’hui seront encore là en 2050. Le numérique pose aussi des questions : est-ce que la 5G est utile pour tout le monde ? Ce n’est pas compatible. On ne peut pas à la fois dire : « il faut développer la 5G, reprendre le tourisme et les liaisons internationales sans limites, il faut accélérer les échanges au niveau mondial » et puis dire d’un autre côté : « on va lutter contre le réchauffement climatique ». On ne peut pas dire tout et son contraire. Repartir comme avant [la pandémie de Covid] et croire que les émissions vont diminuer comme par miracle, ce n’est pas vrai. Il ne suffit pas d’afficher des objectifs pour les atteindre. Et là c’est très clair, là encore, il y a vraiment un fossé entre les mesures prises et les objectifs affichés.

C’est énorme ce qu’on a à faire. Au niveau planétaire, il faudrait réduire de 7 % chaque année les émissions d’ici 2030. On s’y prend trop tard, cela fait trente ans qu’on dit la même chose.

Que se passera-t-il si on ne fait rien de plus ?

J’espère que les émissions vont se stabiliser d’ici 2030. Le minimum, c’est que les engagements pris dans cadre de l’Accord de Paris soient tenus par les différents pays, et si possible d’augmenter leurs ambitions. C’est en tout cas ce qu’on attend de la conférence de Glasgow. Mais ce n’est pas gagné. De façon très claire, l’existant ne sera pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. S’il n’y a pas un changement profond aujourd’hui, on aura une trajectoire de 3 °C – 3,5 °C dans la deuxième partie de ce siècle et les jeunes d’aujourd’hui auront vraiment du mal à y faire face.

En France, les records d’été pourraient flirter avec les 50 °C dès 2050. L’accès à l’eau serait plus difficile parce que globalement, il n’y aura pas moins de précipitations – il y en aurait même un peu plus en hiver – mais il aura plus d’évaporations qui diminueront le débit des fleuves et des rivières de façon notable. Y compris dans des régions comme le nord de la France où les précipitations auront plutôt tendance en moyenne à augmenter. Évidemment, le phénomène sera encore plus marqué dans le sud de la France où les précipitations risquent a priori de diminuer. Il y a aussi des conséquences sur les régions montagneuses : avec moins d’un mois d’enneigement, des glaciers fondent, des parois rocheuses se délitent parce qu’elles ne sont plus tenues par le gel. Et puis il a les aspects liés à l’élévation du niveau de la mer… La France n’est pas le pays le plus vulnérable de la planète, mais elle n’est pas exempte. Il ne faut pas penser qu’on passera entre les mailles du filet.

La mobilisation de la société civile, et en particulier de la jeunesse, peut-elle faire avancer les choses ?

Oui, et elle est très importante. La convention citoyenne en était justement une émanation, mais ses recommandations n’ont pas été prises au sérieux. Par rapport aux jeunes d’aujourd’hui, je suis bien conscient que beaucoup s’engagent : ceux que je côtoie sont très motivés. Mais ma crainte est que ça ne soit pas la majorité d’entre eux. J’ai été très marqué par une enquête qui montre que moins de 20 % des jeunes en France s’intéressent vraiment aux problèmes environnementaux. Les gens avec lesquels j’interagis dans les écoles, dans les entreprises ou les associations, sont des personnes qui sont conscientes du risque climatique et qui sont motivées, très volontaristes. Et à chaque fois, la question vaut pour une génération, une classe d’âge. Mais comment irrigue-t-on toute l’école, ou toute l’entreprise, la société ? Tout le problème est là.

► Jean Jouzel est un paléoclimatologue français, ancien vice-président du groupe scientifique du Giec et membre de l’Académie des sciences. Dans son dernier ouvrage Climat, parlons vrai, co-écrit avec Baptiste Denis et publié aux éditions François Bourin, il répond aux questions du jeune journaliste sur le rôle à jouer des jeunes générations et des citoyens en général, les leviers d’action possibles et l’urgence de passer à l’action.

RFI