Au Liban, 9 mois après l’explosion du port, le patrimoine de Beyrouth en péril

Au Liban, 9 mois après l’explosion du port, le patrimoine de Beyrouth en péril

À Beyrouth, les habitants peinent à reconstruire le patrimoine détruit lors de l’explosion du port, le 4 août 2020. La déflagration a lourdement endommagé des centaines de maisons « beyrouthines », une architecture mêlant les traditions orientales et occidentales. En pleine crise économique et politique, le Liban n’a plus les moyens de restaurer ce qui constitue pourtant l’âme culturelle et historique de sa capitale.

« Ici, c’était la chambre de mes parents. Mon père était assis dans cette pièce lors de l’explosion. Vous pouvez encore voir les traces de son sang sur les murs ». Christelle Chaoul nous fait visiter ce qu’il reste de sa maison familiale. Le 4 août dernier, la déflagration de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans un hangar du port, à quelques centaines de mètres de chez elle, a éventré les murs en vieilles pierres. Les vitraux colorés des fenêtres en ogive ont volé en éclats. Les balcons en marbre se sont effondrés. Les plafonds de cette maison du XIXe siècle ne tiennent plus que grâce à des dizaines de poutres en acier. 

« C’est invivable. Personne du gouvernement ou de l’État n’a pris l’initiative de venir nous voir pour savoir comment nous allions, si nous avions assez d’argent pour aller vivre ailleurs ou si nous pouvions reconstruire notre maison », s’indigne Christelle. Huit mois après le drame qui a ravagé son quartier de Mar Michael, cette jeune mère de famille cherche par tous les moyens à reconstruire un héritage familial transmis depuis quatre générations. « Mon père est né dans cette pièce. Cette maison, c’est tout pour lui, explique-t-elle. Ces murs, ce sont nos racines, notre identité ». 

Restaurer les habitations du quartier grâce à des dons privés

Des vieilles pierres, fragments de l’histoire architecturale libanaise, que la spéculation immobilière et l’absence de normes avaient commencé à mettre en pièces : au cours des dernières décennies, de nombreuses bâtisses traditionnelles ont été rasées et remplacées par des immeubles modernes. L’explosion du 4 août pourrait bien porter le coup de grâce aux maisons rescapées car, avec la crise économique, leurs propriétaires n’ont plus les moyens de les reconstruire. « Notre argent est bloqué à la banque », grince Christelle, dont le chantier de rénovation est estimé à 150 000 dollars. 

Pour réunir cette somme, la jeune femme a pu compter sur la Beirut Heritage Initiativequi restaure les habitations du quartier grâce à des dons privés, notamment de la diaspora. « Avec de très petits moyens, nous faisons le boulot que la municipalité devrait faire », assure Fadlo Dagher, l’un des fondateurs. Depuis le premier jour, cet architecte dont le foyer a également été détruit par l’explosion, met son savoir-faire au service des Beyrouthins. « Nous voulons voir cette ville vivre. Et pour qu’elle vive, il ne faut pas que ses habitants la quittent. Alors, il faut réhabiliter leurs maisons. »

Selon les estimations, il faudrait 300 millions de dollars pour reconstruire les centaines de bâtiments traditionnels endommagés par la déflagration du 4 août dernier. Des fonds qui arrivent au compte-gouttes, dans un Liban en pleine crise financière et politique.

L’architecte Fadlo Dagher, l’un des fondateurs de Beirut Heritage Initiative, à côté de Christelle Chaoul, à Beyrouth. © Thibault Lefébure/RFI

RFI