Attentat à l’aéroport de Kaboul: Joe Biden est devant un «premier échec très difficile»
Alors que le bilan de l’attentat suicide à l’aéroport de Kaboul de jeudi 26 août ne cesse de grimper, la présidence de Joe Biden se retrouve dans sa plus grave crise. « Un coup dur » pour la Maison blanche, critiquée par alliés et adversaires pour l’effondrement de Kaboul et pour ce drame, selon Simon Grivet, spécialiste des États-Unis, maître de conférences à l’université de Lille. Joe Biden « va devoir échanger avec les talibans », soit « une situation particulière ».
RFI : L’attentat à l’aéroport de Kabul est un tournant pour la jeune présidence de Joe Biden. Pourquoi ?
Simon Grivet : Il me semble que c’est un premier échec vraiment difficile, parce que les six premiers mois avaient été plutôt réussis. Il y avait eu de bonnes nouvelles un peu sur tous les terrains, sur le plan social, économique, une certaine amélioration de la situation du Covid-19 et quelques succès législatifs au Congrès sur la loi sur les infrastructures, notamment. Ces dernières semaines, on voit une reprise de la pandémie de Covid-19, chez les non vaccinés principalement.
Cet effondrement de l’Afghanistan très rapide, ce qui a conduit à l’organisation, un petit peu au dernier moment, de cette évacuation. En sachant que sécuriser l’aéroport, placer environ 5 000 soldats à l’aéroport de Kaboul, allait exposer ses troupes au danger. C’est ce qui s’est passé : il y a un côté vraiment tragique dans cet épisode flagrant.
Et c’est une épreuve compliquée à surmonter dites-vous dans un de vos tweet : comment être efficace dans l’action sans paraître faible tout en évitant de nouvelles pertes…
Cette histoire à Kaboul et en Afghanistan plus généralement, a donné comme objectif à long terme l’évacuation des Américains encore sur place, et des Afghans qui pourraient être menacés. En même temps, toutes les informations que l’on a, qui nous proviennent de Kaboul nous indiquent que le délai imposé par l’accord entre [l’ex-président américain Donald] Trump et les talibans, à savoir qu’il n’y ait plus de soldats américains après le 31 août, va être trop court.
Là aussi, on a une dimension extraordinairement tragique et difficile. Des milliers de personnes qui auraient besoin de partir vont probablement rester sur place.
Le président Biden aurait aimé rester plus longtemps, mais il ne peut pas, sinon il risque l’épreuve de force, non seulement avec les terroristes, mais aussi avec les talibans.
De toute façon, s’il restait sur place plus longtemps, il contredirait sa promesse, c’est-à-dire une évacuation rapide entre « propre et efficace ». Il n’a que des mauvaises solutions, et cette situation extrêmement désagréable et difficile est aggravée par la tragédie de ce double attentat.
Joe Biden se trouve sous les feux des critiques des républicains, certains demandant sa démission : est-ce que ces critiques peuvent l’atteindre, politiquement ?
C’est assez difficile à évaluer. Évidemment, les républicains et toute la méga sphère autour de Fox News en profitent, puisque c’est la première grosse difficulté de la présidence Biden depuis six mois. Donc ils sont dans l’outrance, bien sûr : on réclame sa démission, sa destitution. Il y a des critiques très dures. Mais il est difficile de dire ce que seront les conséquences à long terme de cette affaire.
Je réfléchissais ce matin encore à un épisode qu’on a complètement oublié, pourtant extraordinairement difficile à la fois pour les États-Unis et pour la France : c’était le double attentat au camion piégé de Beyrouth en octobre 1983, qui avait tué plus de 200 personnes, 50 soldats français, 200 marines américains. Je regardais le discours de [l’ancien président républicain Ronald] Reagan à l’époque, qui avait fait un discours assez fort là-dessus. Et finalement, le deuil, la douleur, la tristesse n’avaient pas eu de conséquences politiques majeures pour Reagan qui avait été réélu triomphalement à peu près un an après, en 1984.
Il faut vraiment se garder de tirer des conclusions hâtives. Évidemment, c’est un coup dur, c’est un moment très difficile de cette jeune présidence et les républicains vont essayer de faire vivre ce désastre le plus longtemps possible en organisant des enquêtes. Notamment au Congrès, pour pointer ce qu’ils considèrent être comme de l’incompétence de l’administration Biden.
Mais de son côté, l’administration Biden et les démocrates vont tout faire pour mettre à distance cet événement extrêmement difficile, puisqu’il y a la perte de 12 soldats : ce n’était pas arrivé depuis très longtemps, notamment sur le théâtre afghan.
Il est donc trop tôt pour dire que le président sortirait fragilisé de cette crise ?
Il est clairement face à la première difficulté de sa présidence. Mais, je resterai prudent sur les conséquences. Je pense qu’il n’est pas évident, l’exemple de Reagan en 1983-1984 le montre, que ça lui soit fatal. Cela peut jouer en sa défaveur en augmentant cette idée qu’il est un président indécis, faible… Ou au contraire, cela peut renforcer cette idée qu’il est capable de prendre des décisions très difficiles, quelles qu’en soient les conséquences qu’il assume, et qu’il est capable de montrer une empathie. Ce que par exemple, Trump n’avait pas du tout. Il avait un discours de force, des rodomontades, mais paradoxalement, il n’avait jamais été confronté à ce genre de crise.
Une empathie qu’on a vue hier, le président était très ému, bouleversé par l’attentat. Il a promis de pourchasser les auteurs de cet attentat, une rhétorique assez musclée, assez guerrière. Il n’a pas encore dit comment il comptait faire, mais une chose semble évidente : les Américains devront travailler avec les talibans. En tout cas, c’est qu’a laissé entendre le général McKenzie. N’est-ce pas une certaine humiliation ?
Les États-Unis se retrouvent dans une situation particulière, puisque les talibans sont les nouveaux maîtres de l’Afghanistan, et ceux qui étaient les résistants pour les uns, les terroristes pour les autres, sont désormais aux affaires. Les États-Unis, comme les autres pays vont devoir collaborer ou en tout cas, échanger avec eux, ce qui est extrêmement difficile.
Après, sur l’idée de châtier les coupables, c’est typique de cette nouvelle guerre contre le terrorisme qui existe depuis 2001. Si on regarde ce qu’il s’est passé en 1983-84, le président Reagan, après l’attentat de Beyrouth, n’en parle pas.
Mais, c’est la nouvelle forme de cette guerre à la terreur, la guerre au terrorisme qui a commencé après le 11 septembre dont on commémore cette année les 20 ans. Tous les présidents depuis Bush ont fait ça. Ils cherchent ceux qui sont suspectés de terrorisme, ils cherchent ceux qui veulent s’en prendre à l’Amérique, et souvent cela se règle par des frappes ciblées de drones, avec malheureusement aussi parfois de nombreuses victimes collatérales. Le retrait américain risque de se faire dans quelques jours, mais la guerre est loin d’être finie.
RFI