11-Septembre : « Vingt ans après, l’attaque continue de nourrir le récit complotiste »
Le 11 septembre 2001, les États-Unis étaient frappés par l’attaque la plus meurtrière de leur histoire, orchestrée par Al-Qaïda contre les tours du World Trade Center et le Pentagone. Un événement qui a alors généré de nombreuses thèses conspirationnistes dont l’influence reste encore palpable, vingt ans après les faits, à l’heure où les théories du complot et autres fake news pullulent sur Internet.
Bill Gates à l’origine de la pandémie de Covid-19, des attaques terroristes orchestrées par les services de sécurité ou bien encore Donald Trump évincé de la présidence par l' »État profond »… Ces dernières années, alors que le monde a traversé de graves crises sociales, politiques, sécuritaires et sanitaires, les théories complotistes se sont multipliées sur Internet, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Le scénario est souvent le même : derrière la version officielle se cacherait un complot secret d’une élite pour contrôler les masses, sans preuves concrètes permettant d’étayer de telles affirmations.
Si les thèses conspirationnistes ne datent pas d’hier, un événement au cours des deux dernières décennies a particulièrement attisé ce type de théories, au point d’y rester irrémédiablement associé : le 11-Septembre. L’attaque revendiquée par Al-Qaïda, la plus meurtrière jamais orchestrée sur le sol américain, a généré toutes sortes de théories conspirationnistes qui ont pris de l’ampleur dans les années suivant le drame, suscitant l’adhésion de millions de personnes à travers le monde, toujours convaincues, vingt ans plus tard, de la responsabilité de l’État américain.
Un terreau favorable
Du prétendu complot juif au « nouvel ordre mondial » incarné par les francs-maçons, les théories du complot précèdent de loin l’avènement du 11-Septembre. Aux États-Unis comme ailleurs, plusieurs événements cristallisaient déjà ce type de récits, comme l’affaire Roswell (1947), preuve pour certains d’un complot gouvernemental cachant l’existence d’extraterrestres, le programme Apollo (1961-1972), rebaptisé canular lunaire, ou bien l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy (1963), orchestré au choix par la CIA, le KGB ou bien encore le vice-président de l’époque, Lyndon B. Johnson.
« Ce type de théories arrive par vagues, au gré des événements et ne constitue en rien une nouveauté », explique Emmanuel Kreis, historien et docteur de l’École pratique des hautes études, auteur de « Les Puissances de l’ombre : la théorie du complot dans les textes », contacté par France 24. « Pour autant, il est vrai qu’elles ont connu une forme de revival particulier à la fin du XXe siècle dans la culture populaire ; avec notamment la série ‘X-Files’, les livres du Britannique David Icke sur les reptiliens ou bien encore, quelques années plus tard, le film ‘Benjamin Gates et le Trésor des templiers’. »
Un imaginaire parfois très décalé, qui suscite pourtant déjà à l’époque la forte adhésion d’une partie de la population américaine, selon Mark Fenster, avocat américain spécialisé dans le secret d’État et auteur d’un ouvrage sur les théories conspirationnistes dans la culture américaine : « La présidence de George Bush père et en particulier celle de son successeur, Bill Clinton, ont vu se développer cette croyance d’un gouvernement impliqué dans un nouvel ordre mondial, développé en secret pour manipuler l’opinion. C’est sur ce terreau qu’ont prospéré, quelques années plus tard, les théories complotistes du 11-Septembre. »
Le complot 2.0
Mardi 11 septembre au matin, deux Boeing s’écrasent dans les tours du World Trade Center à New York, un troisième frappe le Pentagone, à Arlington, près de Washington, alors qu’un quatrième avion finit sa course dans un champ au sud-est de Pittsburgh. Les images des Twin Towers, filmées en direct, font immédiatement le tour du monde et suscitent un émoi international mais également une forme d’incrédulité : comment l’organisation terroriste islamiste Al-Qaïda a-t-elle pu mener à bien une opération d’une telle ampleur contre la première puissance mondiale ?
À travers le monde, des récits alternatifs émergent, c’est notamment le cas en France avec « L’Effroyable Imposture » (2002), un livre de Thierry Messan qui attribue la responsabilité des événements à « une faction du complexe militaro-industriel ». Un récit largement contesté qui rencontre pourtant un succès international.
Aux États-Unis, les sceptiques se fédèrent derrière la bannière du « 9/11 Truth Movement » et réinterprètent le déroulé des événements, dénonçant ce qu’ils considèrent être des mensonges et incohérences du gouvernement. Deux théories principales se développent : celle selon laquelle le gouvernement avait connaissance du projet d’attentats et a laissé faire et celle selon laquelle il en est l’instigateur.
« Les premières années après le 11-Septembre, ces théories restaient très largement minoritaires, au point que les théories conspirationnistes sur l’assassinat de Kennedy progressaient plus rapidement au sein de l’opinion que celles sur 9/11 », analyse Mark Fenster. « Mais cette tendance va graduellement s’inverser à la faveur d’événements politiques comme la guerre en Irak, le scandale des armes de destructions massives ou bien encore la gestion calamiteuse de l’ouragan Katrina qui affectent considérablement la crédibilité du président Bush et suscitent de sérieux doutes sur sa capacité de gouvernance. »
En juin 2003, deux mois après l’intervention américaine en Irak, l’enquête des Nations unies conclut à l’absence de preuves de la présence d’armes chimiques, pourtant avancée par Washington pour envahir le pays. Quelques années plus tard, Internet se démocratise avec l’arrivée des réseaux sociaux et notamment de Youtube, vite investi par les adeptes de théories du complot.
« À cette époque, le développement des réseaux marque un réel tournant dans la pensée complotiste car il permet la mise en commun immédiate de ces théories auparavant très éparpillées et minoritaires », souligne Sylvain Délouvée, maître de conférences en psychologie sociale à l’université Rennes 2 et auteur du livre « Le Complotisme : cognition, culture, société », contacté par France 24.
En 2006, la montée en puissance des thèses conspirationnistes du 11-Septembre atteint un paroxysme avec le documentaire « Loose Change » qui les démocratise à l’échelle internationale. Ce film, produit avec un ordinateur portable qui réinterprète les images des attaques, devient la vidéo la plus vue de Youtube, un an après la création de la plateforme, ce qui lui vaudra d’être qualifié par le magazine Vanity Fair de « premier blockbuster Internet ».
« Un tournant dans la penséeconspirationniste »
D’après l’étude de l’institut Yougov publiée en 2020, un Américain sur cinq croit encore aujourd’hui que son gouvernement a joué un rôle dans les attaques du 11-Septembre. La proportion serait équivalente en France, selon la même étude, alors que l’adhésion à cette thèse bat des records en Turquie (55 %) au Mexique (49 %) ou bien encore en Égypte (42 %).
En parallèle, plusieurs études, dont celles de l’institut Jean Jaurès, alertent ces dernières années sur la prolifération inquiétante de théories conspirationnistes dans le débat public, pointant la responsabilité des réseaux sociaux ainsi que celle de leaders politiques comme Donald Trump, prompt à justifier ses échecs politiques par les manipulations secrète de l’ »État profond”.
« Le 11-Septembre, par son ampleur, a marqué un tournant dans la pensée conspirationniste », estime Sylvain Delouvée. « Nous assistons depuis plusieurs années à la déferlante d’un complotisme de masse, basé certes sur des événements, mais qui relève plus d’une pensée rejetant systématiquement le récit majoritaire au profit d’un complot caché qui devient l’explication à tout. Si l’on prend les attaques terroristes en France, immédiatement après les faits, des images et vidéos sur les réseaux proposaient déjà des récits dénonçant un complot d’État, parfois avant même que le gouvernement n’ait eu le temps de s’exprimer. Il n’y a plus de temps de maturation, comme nous avons pu le constater lors de la pandémie de Covid-19 où, immédiatement, la défiance envers les politiques a glissé sur les institutions scientifiques. »
Mark Fenster considère, lui aussi, que le 11-Septembre a grandement contribué à l’essor de la pensée conspirationniste : « Bien sûr, les thèses alternatives du 11-Septembre ne suscitent plus autant d’intérêt qu’en 2006, mais tout le monde les connaît et elles continuent de nourrir le récit complotiste. C’est le cas aujourd’hui avec la mouvance d’extrême droite pro-Trump QAnon par exemple, qui renvoie au 11-Septembre comme un événement emblématique du contrôle du peuple. »
Si les spécialistes s’accordent sur le fait que la diffusion de théories complotistes a fortement augmenté depuis le 11-Septembre, dans un contexte de méfiance accrue vis-à-vis des politiques et des médias traditionnels, la question de l’adhésion de la population à ces théories reste incertaine. « Autrefois nous pouvions mener des études sur des groupes spécifiques mais aujourd’hui que cette tendance s’est démocratisée, elle est devenue très dure à analyser », reconnaît Sylvain Delouvée. « Certains consultent ou partagent ce genre de contenus parce qu’ils trouvent ça drôle, d’autres cliquent dessus par curiosité ou par erreur… Il est difficile d’affirmer avec certitude que les récits alternatifs suscitent une adhésion plus forte que par le passé. Pour autant, la diffusion grandissante de ces théories n’en est pas moins problématique. Elle représente un danger bien réel de radicalisation, comme nous avons pu le voir avec les attaques terroristes en France ou bien l’assaut du Capitole aux États-Unis, et est devenue, depuis l’époque du 11-Septembre, un sujet hautement politique. »
France 24