👨‍⚕️ Des médecins exigent d’être payés en cash avant toute opération, parfois pour des milliers d’euros: “Sinon, je gagne moins qu’un plombier”

👨‍⚕️ Des médecins exigent d’être payés en cash avant toute opération, parfois pour des milliers d’euros: “Sinon, je gagne moins qu’un plombier”

Lorsque Noah a cherché quelqu’un pour opérer son fils en bas âge, il a découvert que de nombreux practiciens demandaient à être payé en liquide avant toute intervention: “Un chirurgien a même demandé 3.000 euros.” Une pratique courante, selon une enquête menée par HLN. De nombreux médecins proposent une réduction, en échange d’une grosse avance en liquide.

L’enquête
Cette enquête a été réalisée suite à des entretiens avec 36 patients et employés d’hopitaux. Tous ont souhaité témoigner de manière anonyme. Les noms des hopitaux ne sont mentionnés que quand des preuves matérielles de ces pratiques ont été consultées. Quand il ne s’agit que de témoignages, Les noms des institutions médicales ne sont pas mentionnés. 

Noah a eu besoin des services d’un chirurgien à deux reprises, une fois pour lui, et l’autre pour son jeune fils. A chaque fois, les soignants contactés lui ont réclamé de l’argent en liquide avant l’intervention. “A chaque fois, ils voulaient une enveloppe de cash”, insite-t-il, tant il en garde un profond sentiment d’injustice.

Tout a commencé il y a deux ans, lorsque Noah a contacté un chirurgien pour opérer son fils d’une mastite, une inflammation du tissu glandulaire aux deux mamelons. Un traitement en grande partie remboursé par la mutualité, mais pour lequel le patient doit encore avancer la différence. Noah a donc fait le tour des chirurgiens, pour comparer les prix. “L’un demandait qu’on avance 600 euros, mais chez un autre, c’était 3.000 euros. J’ai voulu savoir pourquoi on devait fournir autant en liquide, alors que j’avais déjà une assurance maladie. Et il m’a répondu sans vergogne : ‘Monsieur, sinon je gagne moins qu’un plombier’.”

La seconde fois, même constat. Noah avait besoin d’une intervention au dos. “Cette fois-ci, le chirurgien a demandé 500 euros en liquide, alors que l’intervention était remboursée. Ça me dérange encore de devoir, en tant que citoyen respectueux, participer aux magouilles des chirurgiens. Je n’ai jamais vu de reçu pour ces suppléments en cash.”

3.300 euros en liquide pour une opération au laser

Jef a également vécu une expérience similaire en consultation à l’hôpital gantois Maria Middelares, dans l’idée de se faire opérer des yeux au laser pour corriger sa bioptrie. “Le médecin a annoncé que l’opération coûterait 3.300 euros et a insisté à plusieurs reprises que je devais tout apporter en liquide”, raconte-t-il. “L’explication, c’était que le chirurgien devait pouvoir payer le centre laser à temps, car les versements des patients prenaient trop de temps à arriver.”

La lettre envoyée à Jef par ce médecin pu être consultée, et elle mentionne explicitement 3.300 euros en liquide. “J’ai trouvé cela étrange, mais j’ai remarqué que le médecin devenait plus sec quand j’évoquais le sujet du cash, et qu’il ne me proposait pas d’alternative, alors je n’ai pas beaucoup insisté. J’étais surtout content d’être éligible pour l’opération.” Celle-ci devait se dérouler dans un cabinet privé, mais les traitements pré- et post-opératoires pouvaient se faire à l’hôpital.

L’hôpital gantois Maria Middelares, contacté, a répondu: “Nous allons examiner ce cas en profondeur, car nous trouvons cela absolument inacceptable. Les patients doivent payer la facture de l’hôpital par virement bancaire et non en liquide.”

Il n’est pas nommément interdit de payer en liquide dans les hôpitaux, mais les médecins ne peuvent pas obliger les patients à ramener des devises tangibles. De plus, le médecin enfreint ici la loi à deux reprises, note Lien Meurisse, du SPF Economie. “Les soignants peuvent demander aux patients de payer en liquide, à condition que le montant soit inférieur à 3.000 euros, et qu’ils proposent également au moins un moyen de paiement électronique.”

Nous avons également déjà vu des médecins inscrire sur le reçu un montant différent de celui qu’ils ont reçu en espècesFrancis Adyns, SPF Finances

L’argent liquide ne devient pas nécessairement de l’argent noir, mais on peut se demander ce que le médecin déclare ensuite au fisc, souligne Francis Adyns du service public des Finances : “Le liquide se prête davantage à la non-déclaration de ce qui devrait être déclaré, c’est bien connu. Surtout lorsqu’aucun justificatif valable n’a été fourni au patient, dans ce cas le risque est élevé.” Il n’existe pas de chiffres sur la fraude fiscale dans les professions médicales. “Mais nous avons constaté que des médecins n’inscrivent pas le montant exact sur le reçu après un paiement en liquide”, ajoute Adyns. “Par exemple, ils inscrivent 80 euros alors qu’ils ont en réalité demandé 100 euros.”

Le cabinet privé, refuge fiscal

Ce sont 36 patients et employés d’hôpitaux, répartis sur la Flandre et Bruxelles, qui témoignent de ce genre de pratiques. Tous évoquent des médecins qui insistent pour être payés en espèces.Lors d’opérations de chirurgie esthétique, mais aussi pour des interventions médicalement nécessaires, comme une reconstruction mammaire après un cancer du sein, une réduction mammaire en raison de douleurs dorsales, une abdominoplastie, des anneaux gastriques ou une opération des yeux. Fait notable : les médecins orientent souvent les patients vers leur cabinet privé, où ils peuvent faire ce genre de deamnde sans être dérangés, mais même dans les hôpitaux, petits et grands, des médecins réclament de l’argent liquide.

C’est peut-être idiot, mais si vous êtes certain que le médecin effectuera bien l’opération et peut la planifier pour vous, que fe­riez-vous?Sofia

Sofia a également vécu une situation similaire récemment: “Mon fils a besoin d’une opération des mâchoires pour son prognathisme. Lorsque nous avons planifié l’intervention avec le médecin, il a demandé une enveloppe contenant la totalité du montant, soit environ 1.000 euros, pour que l’opération puisse avoir lieu avant ses examens. ‘Si vous voulez que l’opération ait lieu, je veux que le montant des examens préalables soit payé en espèces’, insistait-il.” Comme elle voulait que son fils soit opéré le plus rapidement possible, elle était prête à payer. “C’est peut-être idiot, mais si vous êtes certain que le médecin effectuera bien l’opération et peut la planifier pour vous, que feriez-vous?”

Sofia n’était pas surprise. Elle est elle-même infirmière indépendante et avait déjà entendu des histoires similaires de la part de ses patients. “Cela se fait beaucoup dans les hôpitaux, surtout dans des services comme la chirurgie plastique.”

Sous couverture

Ce sont souvent les mêmes médecins qui sont mentionnés dans les témoignages. De quoi motiver une enquête sous couverture, auprès de quatre chirurgiens qui revenaient régulièrmeent dans ces histoires. Lors d’une consultation pour une augmentation mammaire esthétique, un chirurgien plastique de l’hôpital Jan Portaels à Vilvorde a expliqué combien l’intervention coûterait avant de préciser comment elle devrait être payée. Il demandait que la moitié de la somme soit versée à l’hôpital, et l’autre à sa propre société. Plus tard, recontacté pour planifier l’opération, le même médecin proposé de réduire le coût de l’intervention: “Je peux vous accorder une réduction si vous payez un tiers du montant en liquide. Vous n’aurez alors pas à payer les 21 % de TVA. Vous économiserez ainsi 173 euros.”

Interrogé, l’hôpital vilvordois a rappelllé que les patients pouvaient effectivement payer en liquide, mais que les médecins ne sont autorisés à percevoir de l’argent que par l’intermédiaire du service central de facturation. Selon l’hôpital, les médecins ne sont pas non plus autorisés à se faire payer via leur propre société.

Par ailleurs, un autre chirurgien consulté pour une opération des yeux au laser à l’hôpital d’Ostende a admis que, dans le passé, il demandait régulièrement de l’argent à ses patients, mais qu’il ne le faisait plus en raison d’une trop grande surveillance. L’hôpital d’Ostende est issu de la fusion des hôpitaux Damiaan Serruys. “Dans le passé, j’aurais dit que c’était possible, estimait le practicien, alors que la conversation était enregistrée. “Mais je ne peux plus le faire maintenant, parce qu’il y a trop de surveillance et d’enregistrement des opérations ici.”

Les duex derniers chirurgiens interrogés, l’un de l’hôpital universitaire de Bruxelles, et l’autre du centre hospitalier Sint-Jan à Bruges, la pratique semblait toujours courante.

Parfois, le jour de l’interven­ti­on, les patients venaient nous demander s’ils devaient nous remettre l’argent en espèces, mais nous n’étions au courant de rienAïcha, ancienne employée de l’hôpital

Des milliers d’euros

C’est bien connu, confirme Véronique, qui travaille depuis des années comme infirmière indépendante dans les salles d’opération de divers hôpitaux, y compris à Bruxelles. “Les chirurgiens plastiques et les chirurgiens maxillo-faciaux (CMF) demandent régulièrement à leurs patients d’apporter de l’argent liquide le jour de l’opération. Cela représente parfois des milliers d’euros. Cela se déroule souvent de la même manière. Le patient veut d’abord ‘parler’ au médecin avant qu’il n’entre en salle d’opération pour pouvoir remettre l’enveloppe avec l’argent. Il s’agit soit d’un acompte, soit de la totalité du montant de l’opération.”

Olivia, une ancienne infirmière, confirme que dans l’hôpital où elle travaillait, un chirurgien procédait toujours ainsi. “Environ un quart des montants passaient par la mutualité, le reste était payé ‘sous le manteau’. Si les patients n’avaient pas l’argent lorsque le médecin arrivait, ils devaient rentrer chez eux”, raconte-t-elle, toujours indignée. Mais comment cela pouvait-il durer pendant des années? “C’était un petit hôpital, que la direction contrôlait à peine.” soupire-t-elle.

“Cela se produisait surtout lors de grandes interventions avec plus de complications, comme les réductions mammaires ou les abdominoplasties”, ajoute Olivia. Les patients étaient transférés du service de chirurgie ambulatoire au service de chirurgie, où ils pouvaient récupérer un peu plus longtemps. Mais le médecin insistait qu’ils ne devaient surtout pas passer la nuit sur place. Sinon, les compagnies d’assurance seraient impliquées et procèderaient à des contrôles, ce qu’il ne voulait absolument pas. “Une fois, nous avons dû renvoyer chez elle une patiente à qui nous avions retiré la perfusion juste avant qu’elle ne monte dans la voiture, afin qu’elle puisse encore absorber le plus de liquide possible.”

Aïcha, une ancienne employée d’hôpital, parle enfin des opérations de la cataracte : « Parfois, le jour de l’intervention, des patients nous demandaient s’ils devaient nous remettre l’argent en liquide, mais nous n’étions au courant de rien. Il s’agissait de sommes de quelques centaines d’euros. »

Passer entre les mailles des filets

Mais comment les médecins peuvent-ils s’en sortir si facilement? Pour Véronique, c’est très simple: “C’est presque impossible à contrôler. Pour un hôpital, proposer les services de chirurgiens plastiques, cela permet d’augmenter considérablement les revenus.” Sofia confirme : “Surtout pour les opérations qui ne sont pas ou seulement partiellement remboursées par l’INAMI, ce sont des revenus supplémentaires pour les chirurgiens.” Et pourquoi les employés qui voient cela ne réagissent-ils pas ? “Nous, les infirmières, sommes dos au mur. Un médecin est hiérarchiquement au-dessus de vous, donc si vous lui faites des reproches… Vous pouvez être sûr que vous serez mise à la porte”, explique Véronique.

Le bureau du médiateur nous a informés qu’il n’y avait rien à faire et que les médecins étaient autorisés à demander cet argentEls

Les hôpitaux ne sont pas toujours innocents dans ce genre d’affaires. Els raconte son expérience dans un hôpital universitaire il y a quelques années: “Mon ex-petit ami voulait faire enlever une excroissance cutanée sur son crâne. Le chirurgien voulait bien enlever le lipome, mais il exigeait d’abord 50 euros en liquide. C’était soi-disant pour des examens supplémentaires. Mon ex a refusé de payer en espèces, car il avait sa propre assurance maladie. Il s’est adressé au service de médiation, qui a informé la direction de l’hôpital, mais il n’y a eu aucune suite. On nous a également dit que nous ne pouvions rien y faire et que les médecins étaient autorisés à demander cet argent liquide. Finalement, nous avons fait faire l’intervention ailleurs, et on ne ous a rien réclamé de plus.”

Noah a eu une expérience similaire et a contacté plusieurs fois le service de médiation de l’hôpital: “À chaque fois, c’était comme s’ils n’avaient jamais entendu parler de cela. La dernière fois, j’ai enfin eu quelqu’un au téléphone qui a reconnu le problème et m’a dit que je devais pouvoir fournir la preuve que j’avais payé en liquide. Mais je n’en avais pas.”

D’autres (ex-)employés de différents hôpitaux soupçonnent également que la direction préfère fermer les yeux, car ces médecins apportent des revenus indispensables et, en cas de sanction , pourraient partir ailleurs en emmenant leurs patients avec eux. D’autant plus lorsqu’il s’agit de chirurgiens réputés, pour lesquels des patients viennent parfois de l’étranger.

Que faire si ça vous arrive? 
Si un médecin insiste pour être payé en liquide, vous pouvoez d’abord vous adresser au service de médiation de l’hôpital. Vous pouvez ensuite  vous adresser au service de défense des affiliés de votre caisse d’assurance maladie ou au SPF Économie. Auprès de ce dernier, vous pouvez porter plainte auprès de l’Inspection économique, qui peut ouvrir une enquête et envoyer un avertissement à l’hôpital pour que les pratiques cessent. 

L’Ordre des médecins émet un avis national après ces révélations

L’ordre des médecins rappellle à tous les practiciens du pays a législation et les procédures de paiement: “Un médecin qui demande du liquide, c’est un signal d’alarme évident” estime le porte-parole Michel Deneyer, de la VUB. 

Le professeur Deneyer n’est pas surpris: “J’ai également vu de tels exemples. Un papier où un médecin demande explicitement un paiement en espèces, cela n’existe pas. C’est toujours suspect lorsqu’il exige du liquide avant une opération. Les médecins sont aussi des entrepreneurs, donc ils sont toujours obligés de proposer un mode de paiement électronique.” 

Deneyer trouve ces pratiques inacceptables. “Les hôpitaux doivent eux-mêmes enquêter sur ceux qui enfreignent cette règle. Mais nous allons envoyer un avis national de l’Ordre des Médecins. Dans cet avis, nous rappellerons aux médecins la législation et les procédures de paiement correctes. L’Ordre veille à ce que tous les médecins travaillent honnêtement, afin que la relation de confiance avec le patientne soit pas compromise.”

Le patient porte également une part de responsabilité estime toutefois Deneyer: “Ils sont souvent trop dociles. Ils posent beaucoup trop peu de questions au médecin.” Il conseille donc de faire preuve de prudence. “Demandez toujours à l’avance combien une opération coûtera et comment vous pouvez payer. Un médecin qui dit que cela ne peut se faire qu’en liquide, c’est un signal d’alarme évident. Le patient peut comparer auprès d’un autre practicien. Je recommande aux patients confrontés à ce genre de situation de déposer une plainte.” Cela peut être fait auprès de l’Inspection économique du SPF Economie, ou via votre assurance.

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