👥 TikTok: un réseau social encore plus dangereux que Facebook, Instagram ou Twitter?
Entre crainte pour la sécurité nationale, soupçons d’espionnage de la part de la Chine, et dangers pour la santé mentale des jeunes, TikTok est dans la tempête. Depuis plusieurs mois, le réseau chinois alimente toutes les critiques de l’Occident, avec en figure de proue, les États-Unis. Mais TikTok est-il encore plus néfaste que les géants américains Meta ou Twitter, pourtant déjà peu exemplaires en matière de protection des données ?
La plateforme chinoise TikTok est plus que jamais sur la sellette. Après la Commission européenne, les agences fédérales américaines, le Royaume-Uni ou encore le Canada, c’est au tour de la France d’interdire à ses 2,5 millions de fonctionnaires d’État d’utiliser des « applications récréatives », dont le controversé réseau social chinois TikTok, sur leurs téléphones professionnels.
Une décision qui intervient au lendemain de l’audition musclée de Shou Zi Chew, patron de TikTok, devant le Congrès américain. Pendant plusieurs heures, le PDG de la filiale du groupe chinois ByteDance a tenté de défendre sa plateforme et de rassurer tant bien que mal les inquiétudes des élus américains. Mercredi 22 mars, lors d’une conférence de presse, le représentant démocrate Jamaal Bowman s’interrogeait : « Pourquoi autant d’hystérie autour de TikTok ? », arguant que la plateforme présente les mêmes risques en termes de confidentialité des données ou de désinformation que « Facebook, Instagram, YouTube et Twitter ».
Est-ce réellement le cas ? TikTok est-il vraiment un réseau social à part ? RFI a posé la question à Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux et de la cybersécurité, et enseignant à Sciences Po.
RFI : L’application chinoise TikTok représente-t-elle une menace encore pire que Facebook ou Twitter ?
Fabrice Epelboin : En termes de confidentialité et de protection des données, non. Le risque est similaire. On craint de la part de TikTok de l’espionnage, de la surveillance de masse, de l’influence à des fins politiques ou l’instrumentalisation des données par un tiers. Mais ce sont des choses que nous avons déjà vues par le passé sur les réseaux américains, comme avec le scandale Cambridge Analytica en 2016, les Facebook Files en 2021, ou les Twitter Files en 2022, qui révélaient des opérations d’ingérence dans l’opinion publique étrangère entre Twitter et le Pentagone américain. Donc sur la question de TikTok, l’enjeu est avant tout géopolitique. La seule véritable différence est d’évaluer le danger qu’il y a à confier la protection de la vie privée et de nos données à la Chine, ou aux États-Unis. Et de ce qu’on observe depuis dix ans, l’Europe penche plutôt pour la deuxième option.
Alors pourquoi la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, ont-ils tous choisi de prohiber l’utilisation de cette plateforme à ses agents de l’État ?
D’un point de vue géopolitique, ces pays représentent, à l’exception de la France, les « Fives Eyes », une alliance formée après la Seconde guerre mondiale autour du partage des informations issues des services de renseignement. Et ces pays anglophones savent parfaitement que si les Chinois imitent ce que les services de cybersécurité américains ont fait ces dix dernières années avec les réseaux sociaux, les Américains risquent très gros. Comme l’Agence nationale de sécurité (NSA) a déjà interféré avec des données provenant des réseaux sociaux, Washington est bien consciente de que pourrait faire Pékin avec du data similaire. C’est ça qui leur fait peur. Donc les États-Unis veulent mettre fin à TikTok au plus vite. Le souci est qu’ils ne peuvent pas justifier cette position autrement qu’en admettant implicitement qu’ils ont fait la même chose.
Il s’agit davantage d’une bataille idéologique entre l’Occident et la Chine ?
Non, nous n’en sommes pas encore à une bataille culturelle, mais plutôt au stade de l’attaque, avec d’un côté Facebook et de l’autre TikTok. Pour l’instant, il n’y a pas de soupçons d’affaires particulièrement inquiétantes qui concerne le réseau chinois ou de preuve tangible que TikTok sert d’aspirateur à données pour la Chine. Mais cette guerre idéologique est précisément ce que redoute l’Europe : que Pékin injecte certaines valeurs, Washington d’autres, et que les Européens se retrouvent au milieu.
Il s’agit aussi d’un énorme enjeu économique. Meta a tout intérêt à ne pas se faire dépasser par TikTok, d’ailleurs bien plus performant sur certains aspects, comme sur son algorithme, qui propose un flux d’informations qualitatif même quand vous n’avez encore aucun ami. D’un point de vue purement financier, les Américains ont tout intérêt à écarter les Chinois du marché, ne serait-ce que pour soutenir le cours en bourse de Meta ou Twitter.
Les États-Unis parlent d’enjeu de « sécurité nationale », est-ce une crainte fondée ?
Tout à fait parce qu’avec les données obtenues des utilisateurs de TikTok, la filiale de ByteDance pourrait les transmettre à d’autres entreprises, au gouvernement chinois, aux services de renseignement… qui pourraient ensuite en faire ce qu’ils veulent. Pour l’heure, ce sont des suppositions. Mais ce qui est sûr, c’est qu’avec une mise à jour de l’application, TikTok pourrait avoir accès à des informations qu’une plateforme n’a normalement pas le droit de voir, en s’infiltrant dans des failles de sécurité. C’est un grand classique de l’espionnage. C’est déjà arrivé avec l’affaire Pegasus, qui a utilisé une faille de sécurité sur les téléphones pour aller scruter des discussions Telegram ou WhatsApp. Donc dans l’esprit des décideurs occidentaux, il est possible que les Chinois puissent faire une mise à jour de TikTok pour aller espionner les fonctionnaires étrangers. D’un point de vue de cybersécurité, c’est crédible. Et dans ce milieu, on n’attend pas d’avoir une preuve juridique pour agir. Voir plusieurs pays prendre des précautions en interdisant l’application envoie un signal fort à la société : il y a bien un problème de protection des données et d’ingérence sur les réseaux sociaux. Et ce problème date n’est certainement pas apparu avec TikTok. Le cas du réseau chinois ne fait que le révéler.
Et si TikTok fait aussi peur, c’est aussi à cause de son effet sur les jeunes ?
Exactement. C’est le deuxième enjeu phare autour de TikTok : ses concepteurs ont réussi à connecter tous les cerveaux des adolescents et des enfants. Et les Américains en sont des consommateurs extrêmement privilégiés [près de la moitié des Américains consulte la plateforme chaque mois, selon une analyse de l’entreprise Digimind en 2023, NDLR]. Sauf que cela peut devenir très problématique si Pékin décide d’exporter certaines informations ou propagandes aux jeunes, via le réseau. Sur la santé mentale spécifiquement, je ne pense pas que l’effet de TikTok soit forcément différent de l’effet que peuvent avoir Instagram ou Facebook.
Mais ce qui pose question, ce sont les taux de consommation monumentaux de TikTok, sa vitesse de pénétration sur le marché, le temps passé sur l’application ou encore l’engagement, c’est-à-dire le nombre de fois qu’un utilisateur ouvre le réseau par jour. C’est l’une des applications sociales qui s’est répandue le plus vite dans le monde, et tous les indicateurs montrent que TikTok est encore plus addictive qu’Instagram ou Twitter. C’est cette force que détient la plateforme qui inquiète.
RFI