🌍 Rapport du Giec: pour limiter le réchauffement climatique, «c’est maintenant ou jamais»

🌍 Rapport du Giec: pour limiter le réchauffement climatique, «c’est maintenant ou jamais»

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (Giec) a publié le dernier volet de son 6e rapport. Son but : évaluer les options pour atténuer l’augmentation des températures. Elles sont connues, manque la volonté politique, disent en filigrane les experts. Le pic des émissions, lui, doit être atteint d’ici trois ans pour rester au seuil « vivable » d’1,5°C de réchauffement.

Encore un rapport du Giec?

Si vous en êtes à ce genre d’interrogation, c’est plutôt bon signe, c’est que vous en avez entendu parler. Malgré le transfert de Lionel Messi au PSG, survenu le même jour que la sortie du 1er volet (10 août 2021) ; ou que l’entrée en guerre de la Russie en Ukraine, quatre jours avant la parution du 2e volet (28 février 2022). A chaque fois, le climat s’est trouvé relégué en marge de la focale médiatique.

Sur le plan de la climatologie contemporaine, ce rapport de plusieurs milliers de pages à chaque volet est un peu un livre saint. Il alerte, tous les six à huit ans seulement – le temps que la science avance – sur la progression du changement climatique. Le précédent datait de 2014, avec entre les deux, des rapports spéciaux sur des thèmes précis (en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement à 1,5°C ; en 2019 sur les terres émergées puis sur les océans).

En août, le premier volet de ce 6e rapport dressait un état des lieux du changement climatique et les scénarios de son évolution, du plus catastrophique au moins pire. Le deuxième, le mois dernier, faisait part des effets déjà sur les sociétés et des options pour s’y adapter : le monde est impacté de manière inégale par les sécheresses, les inondations, les montées des eaux et tous les corollaires. Enfin, cette troisième partie aborde la question des solutions pour atténuer sa progression et ses conséquences. Au second semestre 2022, un document de synthèse parachèvera le tout.

Des notes plus optimistes

Ce seul troisième volet a mobilisé 278 scientifiques et des centaines de collaborateurs qui ont étudié et compilé 18 000 études existantes. Si ce travail est l’oeuvre de scientifiques, il est destiné aux décideurs politiques. Ce sont donc les gouvernements des Etats membres du Giec qui le discutent à travers des dizaines de milliers de commentaires (60 000 pour ce seul volet !) et qui l’adoptent en fin de compte. Ce volet a été approuvé à l’unanimité aux forceps dimanche soir alors qu’il était attendu deux jours plus tôt. Un temps de prolongation inédit. Un bon signe, selon un auteur du rapport, car cela signifie que les gouvernements prennent au sérieux la question.

Fait rare, le rapport note plusieurs raisons d’espérer. D’abord, si les émissions ont bien progressé – en 2019, elles sont de 54% supérieures à celles de 1990 et 12% par rapport à 2010, avec un record historique l’année dernière – leur croissance, elle, ralentit : de 2,1% entre 2000 et 2009, elle passe à 1,3%  entre 2010 et 2019.

Le Giec indique également « une expansion des politiques en faveur de l’atténuation » : « cela a permis d’éviter des émissions », « plusieurs gigatonnes d’équivalent CO2 », et a favorisé « l’augmentation des investissements dans des technologies et des infrastructures peu émettrices ».

Le Giec rapporte également que de 2010 à 2019, les coûts unitaires ont diminué de manière soutenue pour l’énergie solaire (85%), l’énergie éolienne (55%) et les batteries lithium-ion (85 %) et leur déploiement a fortement augmenté : la capacité des énergies photovoltaïque de 170% et éolienne de 70% respectivement entre 2015 et 2019, grâce à la baisse des coûts, aux politiques publiques et à la pression sociale. Toutefois, malgré ces hausses spectaculaires, elles ne représentent ensemble que 8% de la production électrique mondiale.

« Je suis encouragé par l’action climatique prise par de nombreux pays », se réjouit le président du Giec, Hoesung Lee. Et d’estimer que si les instruments mis en oeuvre sont déployés à plus grande échelle, « ils pourront soutenir des réductions d’émissions importantes ».

Mais le monde court à sa perte s’il ne réagit pas

Mais ces avancées sont inégales selon les secteurs et les régions, tempère le document. Et ces quelques notes plus positives sont éclipsées par des constats toujours plus alarmistes : nous ne sommes toujours pas sur la bonne voie, au contraire. « Les engagements pris en faveur du climat entraîneront une hausse de 14% des émissions. Et la plupart des plus gros émetteurs ne prennent même pas les décisions pour honorer ne serait-ce que ces promesses mal calibrées », a dénoncé le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres à la sortie du rapport. « Certains gouvernements et responsables d’entreprises disent une chose et en font une autre. Pour le dire simplement, ils mentent », a-t-il tancé, qualifiant « d’accablant » ce nouveau rapport du Giec sur les solutions pour limiter le réchauffement. 

Le Giec prévient donc que sans un renforcement des politiques, les émissions de gaz continueront d’augmenter. Un pic d’émissions est nécessaire avant 2025 et il faut qu’elles diminuent de 43% d’ici 2030 par rapport à 2019 pour garder le cap d’1,5°C. Si elles se poursuivent au-delà, le mercure pourrait atteindre 3,2°C en 2100, un cauchemar. « C’est maintenant ou jamais », prévient Jim Skea, qui a codirigé la rédaction du rapport.

En outre, le financement climat pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris « reste lent », constate le rapport. S’il a bien augmenté de 60% entre 2013 et 2020, la croissance elle ralentit depuis 2018. Et les fonds mobilisés sont entre trois et six fois inférieurs à ce qu’ils devraient être pour limiter le réchauffement à 2°C. Les financements publics et privés pour la production d’énergies fossiles restent supérieurs à ceux alloués à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Pourtant, cela coûterait moins cher à terme d’investir dans un futur plus durable que de réparer les dégâts. « Les investissements d’aujourd’hui seront déterminants pour les années à venir », renchérit Franck Lecocq, un des auteurs.

La fin des énergies fossiles

Ce troisième volet se concentrait sur les pistes possibles pour atténuer le changement climatique. L’atténuation, c’est les actions et activités qui à la fois limitent l’entrée des gaz dans l’atmosphère et celles qui réduisent leur présence. Cela passe notamment par un recours moindre aux énergies fossiles et à des techniques, « y compris artificielles », de capture du carbone par des puits, explique le rapport.

Tous les modèles de prévisions pour limiter le réchauffement, que ce soit à 1,5°C ou à 2°C, requièrent des mesures de réductions de gaz à effets de serre « rapides », « profondes » et « immédiates » dans tous les secteurs, avertissent les scientifiques.

Pour maintenir le cap de 1,5°C de réchauffement, l’usage du charbon devrait être totalement stoppé et ceux du pétrole et du gaz réduits de 60% et 70%, respectivement, d’ici 2050 par rapport à 2019. La « quasi-totalité de la production mondiale d’électricité devant provenir de sources zéro ou bas-carbone », insiste le Giec. En outre, cette ambition climatique implique une réduction importante des autres gaz, en particulier de méthane, autrement plus puissant que le CO2 : ils doivent chuter de 45 % d’ici à 2050.

Stockage du carbone, villes plus sobres…

La transition vers un monde neutre en carbone mettra donc tous les secteurs à contribution. Car tous sont émetteurs : en 2019, environ 34% des émissions proviennent de l’approvisionnement en énergie, 24% de l’industrie, 22% de l’agriculture, la sylviculture et l’utilisation des sols, 15% des transports et 6% des bâtiments.

Le secteur de l’énergie, entre autres, devra passer par des « transitions majeures » : la diminution de l’utilisation des énergies fossiles, le déploiement des sources énergétiques moins émettrices et une meilleure conservation et efficacité de l’énergie.

« Les systèmes électriques alimentés de manière prédominante par les énergies renouvelables sont de plus en plus viables », note le rapport, qui rappelle que certaines régions fonctionnent déjà entièrement sur l’électricité renouvelable. Mais coupler tout le système énergétique au renouvelable est un autre « défi ». Pour le relever, le document égrène le « large panel d’options » : stockage de l’électricité, carburants bio, électricité hydrogène, réseau de distribution intelligents, maîtrise de la demande en énergie…

Pour assurer cette transition énergétique bas carbone, le Giec envisage donc – c’est la surprise de ce rapport 2022 – l’utilisation de technologies de capture et de stockage du carbone (CCS), sans pour autant les recommander (les experts martèlent que tel n’est pas le rôle de cette instance). Ces remèdes ne font pas encore l’unanimité car elles n’ont pas encore fait leurs preuves et la balance bénéfice-risque n’est pas encore établie. Parmi eux, l’élimination du dioxyde de carbone (CDR en angais), que le Giec qualifie même d’« inévitable ».

« Si le site géologique de stockage est sélectionné de manière appropriée, on estime que le CO2 peut être isolé de manière permanente de l’atmosphère », assure le Giec. Cela permettrait de surcroit d’« utiliser pendant plus longtemps les énergies fossiles » restantes. Mais, ajoute-t-il, « la mise en oeuvre des CCS fait actuellement face à des obstacles technologiques, économiques, institutionnels, écologiques et socio-culturels ». Il faut donc « créer les conditions de cette mise en oeuvre par le biais de politiques, d’un plus grand soutien public et d’innovations technologiques ».

Le rôle des villes est également mis en avant en tant que « sources d’opportunité pour une plus grande efficacité énergétique », affirme le Giec. En 2019, les gaz émis directement par les bâtiments et indirectement par le ciment et l’acier des constructions étaient de 12 Gt d’équivalent CO2, a mesuré le groupe d’experts, qui affirme que 61% de ces émissions pourraient être « atténuées ». Comment ? Par des constructions moins énergivores, l’électrification des réseaux de transports, le rapprochement des populations avec leur lieux de travail, le verdissement des zones d’habitations, etc.

Un chapitre, pour la première fois, est réservé aux « options de réduction individuelle », comme disent les chercheurs, autrement dit, la sobriété : le vélo, une alimentation plus végétale, moins de gaspillage. « Disposer des politiques publiques, des infrastructures et de la technologie pour rendre possibles les changements dans nos modes de vie et nos comportements (…) offre un important potentiel (de réduction) inexploité », résume dans un communiqué Priyadarshi Shukla, un co-président de ce groupe de travail.

Enfin, « l’objectif de décarbonation majeure et rapide des économies n’est pas incompatible avec le développement des sociétés, prévoient des chercheurs français auteurs du rapport. Mais cela nécessite des politiques », en prenant en compte la question des inégalités entre pays et au sein des pays dans la conception des politiques climatiques. « Et plus on attend, plus ce sera difficile et plus ce sera coûteux ».

« Nous sommes à la croisée des chemins, conclut Hoesung Lee. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent assurer un avenir vivable. Nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement. »

RFI