🌍 Pourquoi les coups d’État se multiplient-ils en Afrique francophone?

🌍 Pourquoi les coups d’État se multiplient-ils en Afrique francophone?

Ce mercredi matin, au Gabon, un groupe d’une douzaine de militaires a annoncé l’annulation des élections et la dissolution de “toutes les institutions de la République” ainsi que la “fin du régime”. Le président Ali Bongo Ondimba a été placé en résidence surveillée et destitué. Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger, le Gabon bascule à son tour. Pourquoi les coups d’État se succèdent-ils en Afrique francophone ces deux dernières années? Éléments de réponse.

Le 24 mai 2021, l’armée malienne capture le président de transition Bah N’Daw, moins d’un an après le coup d’État d’août 2020. L’armée française quittera définitivement le Mali en août 2022. La rupture est aujourd’hui totale. Le 5 septembre 2021, le président guinéen Alpha Condé est capturé par une unité d’élite de l’armée nationale. Le 30 septembre 2022, le président burkinabé Paul-Henri Sandaogo Damiba est renversé. Le 26 juillet 2023, le président nigérien Mohamed Bazoum est séquestré par une junte militaire qui s’empare du pouvoir. Enfin, ce mercredi 30 août, le président du Gabon depuis 14 ans, Ali Bongo Ondimba, est destitué par un groupe de militaires, juste après l’annonce de sa victoire à la présidentielle, et “toutes les institutions de la république sont dissoutes”. Point commun de ces cinq pays? Ce sont tous d’anciennes colonies françaises et constituaient depuis leur indépendance la “Françafrique”, “l’empire” économique post-colonial français. Le français y conserve d’ailleurs soit le statut de langue officielle ou de langue officieuse privilégiée sur le marché du travail.

Niger – Gabon, même combat?

Ce jeudi, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a insisté sur un point: le coup d’État en cours au Gabon n’est pas de même nature que celui survenu au Niger. “Évidemment, les coups d’État militaires ne sont pas la solution, mais il ne faut pas oublier qu’au Gabon, il y a eu des élections entachées d’irrégularités”, a-t-il commenté, et, “au contraire de la situation au Niger, l’Europe ne prévoit pas d’évacuer ses ressortissants. “La situation est calme, nous ne voyons pas de risque de violences, aucun pays n’a manifesté de préoccupation”.

Comment expliquer ces révoltes?

“Simple épidémie de putschs, un complot russe ou un rejet de la France?”, se demande Pierre Haski sur le podcast Géopolitique de France inter ce jeudi matin. “Sans doute” un peu de tout cela, concède-t-il, mais “il faut creuser un peu loin”, prend-il soin de souligner. “C’est aussi l’échec des États post-coloniaux façonnés sous forte influence française et qui ont connu deux phases: l’une autoritaire et l’autre démocratique ou, pour être juste, pseudo-démocratique”, nuance l’ancien journaliste de l’AFP, de Libération et cofondateur de Rue89. Et dans ce processus, le Gabon a été la “caricature” de cette “façade de souveraineté”, dénonce-t-il. Personnage central de la “Françafrique” sous de Gaulle, puis Pompidou, Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines, avait ainsi “personnellement choisi Omar Bongo” en 1965 pour succéder à Léon Mba au Gabon, dès que ce dernier avait appris qu’il souffrait d’un cancer. La suite? Omar Bongo dirigera le Gabon pendant plus de 41 ans et son fils Ali lui succédera à son décès en 2009 pour 14 années supplémentaires. Alors qu’il venait d’être réélu pour un troisième mandat, l’armée a dit stop à 55 ans d’un “règne sans partage“ de la “dynastie” Bongo.

Vaste patrimoine immobilier en France

Situé en Afrique centrale et riche en pétrole, le Gabon connaît aujourd’hui une corruption endémique. Omar Bongo était l’un des plus proches alliés de la France dans l’ère post-coloniale et son fils Ali un habitué à Paris, où sa famille possède un vaste patrimoine immobilier (21 propriétés à Paris et 7 à Nice, selon Libération) qui fait d’ailleurs l’objet d’une enquête de la part des magistrats anti-corruption.

L’armée, unique espoir de changement?

Au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, l’intervention de l’armée est finalement bien accueillie par la population et perçue comme l’unique solution, par défaut, susceptible d’opérer une transition, un changement, au plus haut sommet du pouvoir. Comme le commente le philosophe et historien camerounais Achille Mbembe dans une tribune publiée sur Le Monde, “l’Afrique est entrée dans un autre cycle historique”:

“La démocratie électorale n’apparaît plus comme un levier efficace des change­ments profonds auxquels aspirent les nouvelles générati­ons. Truquées en permanence, les élections sont devenues la cause de conflits sanglants. Les expérien­ces démocrati­ques récentes n’ont guère permis de juguler la corruption. Au contraire, elles s’en sont nourries et ont légitimé la perpétuati­on au pouvoir d’élites anciennes, responsa­bles des impasses actuelles. Dans ces conditions, les coups d’État apparais­sent comme la seule manière de provoquer le changement, d’assurer une forme d’alternance au sommet de l’État et d’accélérer la transition génération­nel­le.”

Achille Mbembe, Philosophe et historien

Le chef de la Garde républicaine “président de transition”

Ce mercredi, après la proclamation de la victoire d’Ali Bongo à l’élection présidentielle, les militaires putschistes ont annoncé la mise en place d’un régime de “transition”, dont ils n’ont pas précisé la durée. Le nouvel homme fort du pays, le général Brice Oligui Nguema, chef de la Garde républicaine (l’unité d’élite de l’armée du Gabon), a été officiellement nommé “président de la transition”. Les putschistes, qui avaient rétabli l’accès à internet dans la matinée, ont ordonné le rétablissement de la diffusion de RFI, France 24 et TV5 Monde, suspendus par le gouvernement d’Ali Bongo samedi soir. Ils ont toutefois maintenu le couvre-feu en vigueur depuis samedi, désormais effectif de 18H à 6H, au nom de “la nécessité de maintenir le calme et la sérénité”. Les frontières du pays restent fermées.

Le président renversé appelle “ses amis”

Le président renversé Ali Bongo, 64 ans, est apparu décontenancé dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, où il appelle en anglais tous ses “amis dans le monde” à “faire du bruit”. Mais à Libreville ou Port-Gentil, la capitale économique, ce sont des foules joyeuses qui ont célébré “la libération du Gabon”. Dans le quartier populaire Plein Ciel de Libreville, un membre du personnel de l’AFP a vu une centaine de personnes sur un pont crier: “Bongo dehors!”. Au son des klaxons, ils ont salué et applaudi des policiers. Jeudi matin, la vie reprenait son cours normal dans la capitale où les magasins sont ouverts et la circulation habituelle. Peu de militaires étaient visibles sauf dans le quartier où réside Ali Bongo. La Garde républicaine y est en nombre et les deux accès à sa résidence sont barrés par des blindés, a constaté un journaliste de l’AFP.

Le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, au centre, porte-parole du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) © AFP

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