🇺🇸 États-Unis: pourquoi des démocrates veulent la démission d’une juge de la Cour suprême

🇺🇸 États-Unis: pourquoi des démocrates veulent la démission d’une juge de la Cour suprême

En faisant pression pour le retrait de Sonia Sotomayor, 70 ans, de la plus haute instance judiciaire des États-Unis, les démocrates espèrent voir nommer un autre candidat avant la fin du mandat de Joe Biden. 

C’est une petite musique qui monte depuis la victoire de Donald Trump, comme le rapportent des médias américains : des voix se font entendre dans le camp progressiste pour appeler la juge de la Cour suprême Sonia Sotomayor à se retirer. Nommée en 2009 par Barack Obama, elle est la première magistrate d’origine hispanique à occuper un siège au sein de la plus haute instance judiciaire du pays. « Ce serait probablement le bon jour pour que Mme Sotomayor prenne sa retraite », écrivait ainsi David Dayen, rédacteur en chef de The American Prospect, un magazine libéral.

A-t-elle manqué à ses devoirs à son poste ? A priori non. Mais à 70 ans, elle a le mauvais goût d’être la plus âgée des juges de tendance démocrate, ses collègues Elena Kagan et Ketaji Brown Jackson affichant respectivement 64 et 54 ans. « Le calcul, c’est de se dire que si elle démissionne, on pourrait mettre une juge plus jeune qui sera là pour 30 ans », explique Anne Deysine, professeur des universités, auteur des Juges contre l’Amérique – La capture de la Cour suprême par la droite radicale (Presses universitaires de Nanterre). Car en cas de décès, il revient au président au pouvoir de nommer un nouveau juge. Un choix qui doit être entériné par le Sénat, pour l’heure et encore pour quelques semaines à majorité démocrate. 

Plus haute autorité judiciaire du pays, la Cour suprême a un rôle crucial. Elle est chargée de trancher en faveur ou contre des décisions prises au sein d’un des 50 États ou par l’État fédéral, en interprétant la Constitution. Ses arbitrages ont donc une influence profonde sur la société américaine. Et comme ses juges sont nommés à vie, sa composition peut affecter la politique pendant des décennies. 

Le spectre du cas Ruth Bader Ginsburg 

Lors de son premier mandat, Donald Trump a eu la chance de pouvoir nommer trois juges. Aujourd’hui, la Cour suprême penche côté conservateurs, avec six juges de sensibilité républicaine sur neuf sièges. Mais, la crainte, c’est que ce déséquilibre s’aggrave à 7 à 2. 

En 2022, Stephen Breyer, 83 ans, s’était retiré, permettant à la première Afro-Américaine Ketanji Brown Jackson de prendre sa place. Une démission présentée comme un choix personnel, mais qui n’était pas non plus exempte de pressions politiques. À l’approche des élections de mi-mandat, certains démocrates craignaient de voir leur échapper le contrôle du Sénat et laisser ainsi passer cette occasion de remplacer le juge vieillissant par quelqu’un de plus jeune.

Mais si Sonia Sotomayor souffre d’un diabète de type 1, elle n’a jamais montré de signe de ralentissement. Ce week-end, des proches de la combative magistrate ont pris la parole dans certains médias, laissant entendre qu’elle n’avait aucune intention de prendre sa retraite.

Au printemps, déjà, plusieurs publications sur les réseaux sociaux et des articles d’opinion avaient circulé, comme celui de Josh Baro dans The Atlantic pour appeler la juge à se retirer pour permettre à Joe Biden de nommer quelqu’un d’autre avant les élections. L’ancien présentateur de MSNBC Mehdi Hasan démontrait dans le détail pourquoi, même s’il lui était « douloureux » de l’écrire, il fallait que Sonia Sotomayor démissionne « pour notre bien à tous ». Un article qu’il a d’ailleurs reposté ces derniers jours. 

Car alors que Trump s’apprête à reprendre les rênes du pays, ces voix refont surface. « Il ne s’agit pas simplement d’une lubie d’activistes progressistes en ligne », soulignait le média Politico dans sa newsletter la semaine dernière, citant une source à la chambre haute, « le sujet a été abordé à plusieurs reprises [la semaine dernière] ». Des noms de remplaçants potentiels ont même commencer à émerger. 

Derrière cette agitation, il y a un traumatisme : la crainte de voir se reproduire le scénario RBG, pour Ruth Bader Ginsburg. La célèbre juge libérale a toujours refusé de démissionner en dépit des appels en raison de son âge. Mais sa mort à 87 ans en septembre 2020, dans les derniers mois de la présidence Trump, alors qu’elle souffrait d’un cancer du pancréas, a été une catastrophe pour le camp progressiste. Le président conservateur a pu la remplacer in extremis par Amy Coney Barrett. Et c’est tout l’équilibre de la Cour suprême qui a été bouleversé. On connaît la suite : l’abrogation notamment de l’arrêt Roe v. Wade, en juin 2022, autorisant l’avortement pour toutes les femmes aux États-Unis, renvoyant la décision au niveau de chaque État.   

« C’est logistiquement impossible »

Cette fois, le déséquilibre est déjà là, et le pari semble hautement périlleux. « C’est extrêmement risqué, analyse Anne Deysine, qui ne croit pas au retrait de Sonia Sotomayor, car il reste quelques semaines à peine avant que le Congrès ne s’ajourne pour Noël ». Il faudrait trouver un autre candidat, faire les procédures de vérifications classiques, organiser les auditions à la commission judiciaires du Sénat, puis le vote, souligne la spécialiste du système judiciaire américain. Tout ça avant le 3 janvier, date de l’investiture de la nouvelle chambre haute, dominée par les républicains. C’est « logistiquement impossible », estime-t-il. 

Sans compter qu’il faudrait que Joe Biden s’assure de rallier suffisamment de sénateurs derrière lui pour éviter toute mauvaise surprise. La majorité démocrate est en effet courte, avec 51 sièges (47 démocrates et quatre détenus par des indépendants qui votent avec les démocrates) contre 49. Personne n’est à l’abri d’une tentative d’obstruction de dernière minute. Et le calendrier laisse peu de place au hasard. En 2016, peu avant l’élection présidentielle, les républicains au Sénat avaient empêché Barack Obama de promouvoir la candidature de Merrick Garland à la place d’Antonin Scalia, décédé en 2016. Pire, en cas d’échec, leur stratégie pourrait se retourner contre eux : ils auront alors fait cadeau à Trump d’un nouveau juge. Le sénateur du Vermont Bernie Sanders a déclaré dimanche qu’il ne pensait pas que ce soit une bonne idée.

Quoi qu’il en soit, la Cour suprême risque de pencher durablement à droite. D’autant que Donald Trump pourrait inciter deux juges conservateurs âgés, Clarence Thomas, 76 ans, et Samuel Alito, 74 ans, à partir pour les remplacer par des jeunes, en profitant d’un Sénat à majorité républicaine.

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