🇺🇸 Elon Musk prépare-t-il un coup d’État aux États-Unis? “Il s’est bien mieux préparé que nous le pensions”

Selon le célèbre historien de Yale Timothy Snyder, tout indique que ce qu’Elon Musk prépare pour les États-Unis tient du coup d’État. “Il se voit comme quelqu’un qui sauvera l’humanité grâce à ses innovations, tout le reste est secondaire”: dans les colonnes du Morgen, trois experts reviennent sur ce qui semble prendre le cap d’un démantèlement radical des institutions étatiques américaines.

Kenneth Manusama: “On peut bel et bien parler de coup d’État”

“Nous savions tous que Musk jouerait un rôle important dans la nouvelle administration Trump. Mais quand on voit comment, dès le premier jour, il a forcé les portes de toutes les institutions gouvernementales avec une armée de spécialistes IT, parfois très jeunes, puis licencié des centaines de fonctionnaires et obtenu un accès à toutes les données de paiement, on doit reconnaître qu’il s’est bien mieux préparé que nous ne le pensions.”

Selon l’historien américain Timothy Snyder, la milice de fidèles que Musk s’est constituée est en train de mener un coup d’État sous nos yeux. Pas en prenant d’assaut des bâtiments, mais en s’appropriant illégalement le contrôle de l’appareil d’État et des données de millions d’Américains. Sauf que tout cela se fait avec l’approbation du président en place, ce qui défie la notion même de “coup d’État”.

“Mais au final, cela revient à dire qu’un entrepreneur non élu est en train de démanteler l’ensemble de l’appareil d’État”, paraphrase Manusama. “Son ministère de l’efficacité gouvernementale (DOGE) est un parfait exemple de novlangue digne de 1984. Car en réalité, c’est un ministère du démantèlement de l’État, sans en avoir l’autorité. Et dans ce contexte, on peut bel et bien parler de coup d’État.”

Ce mardi, Trump a signé un décret obligeant les agences gouvernementales à collaborer étroitement avec le DOGE, renforçant encore l’emprise d’Elon Musk. Et personne ne semble s’en indigner. “On dirait que la population américaine s’y est déjà résignée. Les démocrates ne savent pas comment réagir, et le Congrès est de toute façon aux mains des républicains.”

Selon Manusama, les tribunaux deviendront le principal champ de bataille. “Plus de cinquante procès ont déjà été intentés. Le vrai test sera de voir comment Musk et Trump réagiront aux décisions de justice. S’ils les ignorent, alors nous ferons face à une crise démocratique sans précédent.”

Hans van der Loo: “Il considère les fonctionnaires comme médiocres et sans ambition”

“Il agit aujourd’hui au sein du gouvernement exactement de la même manière que lorsqu’il était PDG”, contextualise Hans van der Loo, l’auteur du livre Musk Mania sorti en 2016. Chez Tesla et SpaceX, l’entrepreneur a souvent procédé à des licenciements massifs. Mais cela rappelle surtout la méthode break it to fix it (“casser pour réparer”) qu’il a appliquée lors de son rachat de Twitter, devenu depuis X.

“Le fait qu’il soit entré dans les bureaux de Twitter avec un évier à la main (avec le message ‘Let that sink in’, NDLR) en dit long. Il privilégie toujours le choc. Il pense de manière purement fonctionnelle et se moque des personnes qui travaillent pour lui.”

C’est une chose d’agir ainsi dans une start-up ou une entreprise technologique, mais c’en est une autre lorsqu’il s’agit d’agences gouvernementales responsables de l’énergie, de la cybersécurité et de la sécurité alimentaire de millions d’Américains. “Musk n’a aucun respect pour l’État”, estime Van der Loo. “Il considère les fonctionnaires comme des gens médiocres et dénués d’ambition, qui ne font que mettre des bâtons dans les roues des génies comme lui. Et selon lui, la solution n’est pas de réformer en douceur, mais d’y aller à la tronçonneuse.”

Lors d’une conférence de presse improvisée à la Maison-Blanche, Musk a répondu aux critiques selon lesquelles il sapait la démocratie américaine. En exposant le gaspillage des fonds publics et en brisant le pouvoir des fonctionnaires, il estime au contraire lui rendre service.

“Mais il n’a pas pour objectif de sauver la démocratie”, assure Van der Loo. “Si vous vous promenez aujourd’hui dans la Silicon Valley, les entrepreneurs vous demanderont : ‘Qu’a produit l’Europe ces dernières années en matière d’innovation technologique, avec toutes vos valeurs démocratiques ?’ C’est exactement la philosophie dont Musk est aujourd’hui le fer de lance. Il se voit comme quelqu’un qui sauvera l’humanité avec ses innovations. Tout le reste est secondaire.”

Mariken van der Velden : “Musk et Trump évoluent vers un pouvoir autoritaire où la contestation devient impossible”

“Je ne pense pas que coup d’État soit le terme adéquat ici”, estime pour sa part Mariken van der Velden, professeure en communication politique et experte des États-Unis à l’Université libre d’Amsterdam. “Musk ne cherche pas à évincer le président. Au contraire, il a conclu un pacte monstrueux avec lui.”

Néanmoins, cette évolution doit nous inquiéter. “Avec Trump, Musk obtient le pouvoir de contrôler entièrement le discours aux États-Unis. Mais ce qui est surtout préoccupant, c’est qu’un des entrepreneurs les plus influents se retrouve ainsi au cœur du pouvoir.”

Les conflits d’intérêts deviennent de plus en plus évidents: selon une enquête du New York Times, onze des agences gouvernementales ciblées par Musk et vidées de leurs moyens menaient l’enquête sur au moins l’une de ses propres entreprises. “Prenez les plans de Trump pour annexer le Groenland. Ce projet sert parfaitement les intérêts de Musk, qui y trouverait des minéraux essentiels pour ses voitures électriques et le développement de l’intelligence artificielle. Musk peut constamment agir en étant informé avant tout le monde. C’est tout simplement de la corruption.”

Pour Marika Van der Velden, Musk et Trump sapent la démocratie de l’intérieur. “Ils évoluent vers un pouvoir autoritaire où la contestation devient presque impossible. Et ils en ont les moyens, puisque le Sénat et le Congrès sont de leur côté. Lorsque le président dispose de la majorité dans les deux chambres, ces institutions deviennent extrêmement faibles.”

Si quelque chose peut encore provoquer une résistance, c’est l’économie, selon elle. “Si la hausse des taxes commerciales et le démantèlement de l’État provoquent une flambée de l’inflation, alors la population pourrait descendre dans la rue. Mais ce n’est pas un scénario rassurant. Certains comparent déjà la polarisation actuelle aux États-Unis à celle qui précédait la guerre de Sécession.”

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