🇺🇲 Le chef de la CIA déplore l’«hubris» de Poutine
Le directeur de la CIA William Burns estime que Vladimir Poutine continue de surestimer ses forces et sa capacité à remporter la guerre en Ukraine. « Poutine est à l’heure actuelle bien trop confiant dans sa capacité à user les défenses ukrainiennes, à les grignoter », a expliqué Burns dimanche dans un long entretien à la chaîne américaine CBS News.
« À un moment ou à un autre, il va devoir faire face à des coûts croissants, à des cercueils qui rentrent dans certaines des régions les plus pauvres de la Russie, d’où sont originaires beaucoup des conscrits qui sont jetés comme chair à canon sur le front… Tout cela va s’accumuler au fil du temps, mais pour l’instant…il continue de faire preuve d’hubris dans sa vision de la guerre ».
Ancien diplomate de carrière, russophone, ex-ambassadeur à Moscou, Burns a été l’un des derniers hauts responsables américains à rencontrer Vladimir Poutine quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine. Sous sa direction, la CIA avait de façon complètement inédite dévoilé publiquement ce qu’elle savait de l’attaque imminente russe. Le renseignement fourni par les Américains a depuis joué un rôle considérable dans le succès de la défense ukrainienne.
Burns a aussi maintenu l’un des rares canaux de communications ouverts avec Moscou. En novembre dernier, il a rencontré à Ankara son homologue russe Sergueï Narychkine. « La conversation que j’ai eue avec » lui « était assez décourageante », a cependant dit le directeur de la CIA. « Il avait une attitude très provocante… on sentait beaucoup d’arrogance et d’orgueil. Je pense qu’il reflétait la propre vision de Poutine de la guerre, sa conviction que le temps joue en faveur de la Russie, qu’ils finiront par écraser les Ukrainiens, que nos alliés européens se lasseront, que la fatigue politique finira par s’installer ».
« Dans mon expérience Poutine estime que nous, Américains, souffrons d’un trouble de l’attention et que nous finirons par passer à un autre sujet. Sa conviction est qu’il ne peut pas gagner pour le moment, mais qu’il ne peut pas se permettre de perdre… Donc, au lieu de chercher des moyens de faire marche arrière ou de trouver une issue, il ne fait que doubler la mise… en dépit du fait que l’opération est en toute objectivité, un échec stratégique pour la Russie ».
Le directeur de la CIA estime que la seule voie possible vers une solution négociée est de d’abord convaincre le dirigeant russe qu’il ne pourra pas remporter de victoire militaire. « L’ancien diplomate que je suis aimerait voir des possibilités de négociations », a dit Burns. « Mais je ne crois pas que les Russes veulent sérieusement négocier pour le moment. Seuls les progrès sur le champ de bataille permettront d’améliorer les perspectives à l’avenir… Comme l’a dit le président (Biden) je crois qu’il est de notre devoir, non seulement en tant que communauté du renseignement, mais aussi en tant que gouvernement, de fournir tout le soutien possible aux Ukrainiens, afin qu’ils puissent renforcer leur position sur le champ de bataille et, finalement, à la table des négociations ».
Le rôle de la Chine
Burns a dit aussi avoir « expliqué clairement » à son homologue russe « les graves conséquences si la Russie décidait un jour d’utiliser une arme nucléaire de quelque type que ce soit. Je pense que Narychkine a compris la gravité de cette question et je pense que le président Poutine l’a également compris »
Burns aussi confirmé que le États-Unis étaient préoccupés par les possibles livraisons d’armes par la Chine à la Russie. « C’est une question que nous suivons de très près…nous sommes convaincus que les dirigeants chinois envisagent de fournir des équipements létaux. Nous ne pensons pas non plus qu’une décision finale ait été prise pour le moment… J’espère vraiment qu’ils ne le feront pas ».
Le directeur de la CIA a enfin estimé que la guerre d’Ukraine avait été suivie de très près par la Chine. « Aucun dirigeant étranger n’a observé plus attentivement l’expérience de Vladimir Poutine en Ukraine et l’évolution de la guerre que Xi Jinping. Et je pense qu’à bien des égards, il a été déstabilisé et rendu circonspect par ce qu’il a vu. Il a été surpris par les très mauvaises performances militaires des Russes. Je pense qu’il a également été surpris par le degré de solidarité et de soutien de l’Occident envers l’Ukraine ».
Mais Burns ne pense pas que cette leçon garantisse que la Chine ait totalement renoncé à l’idée de prendre le contrôle de Taïwan en recourant à la force. « Nous devons prendre très au sérieux les ambitions de Xi Jinping concernant Taïwan », a dit Burns, mais « cela ne signifie toutefois pas qu’un conflit militaire est inévitable…. Je pense que le président Xi et ses dirigeants militaires doutent aujourd’hui de leur capacité à mener une invasion. L’expérience de Poutine en Ukraine a probablement renforcé leurs doutes ». Mais « les risques d’un recours potentiel à la force augmenteront probablement au cours de cette décennie et la suivante. C’est donc quelque chose que nous surveillons très, très attentivement ».
Le Figaro