🇺🇦 “Pas d’effondrement, mais des pertes civiles et militaires”: combien de temps tiendra l’Ukraine sans aide américaine?

L’Ukraine est-elle condamnée, maintenant que l’aide militaire a été unilatéralement suspendue par Donald Trump? Pas forcément, mais beaucoup dépendra de l’implication des pays européens. Et certains équipements demeurent irremplaçables, en particulier les missiles de haute technologie.
Après trois ans de guerre et une grande crise des munitions, la situation militaire ukrainienne a bien changé, par rapport à 2022. Selon des sources officielles occidentales qui se sont confiées au Wall Street Journal, l’Ukraine produit actuellement 55% de son arsenal, tandis que 20% provient des États-Unis, et 25% d’Europe.
Une production d’une valeur de 30 milliards de dollars par an, selon le ministre ukrainien de l’Industrie stratégique. En 2024, pas moins de 1,5 million de drones seraient sortis des arsenaux. Et l’Ukraine cherche à développer sa capacité de frappe, avec 3.000 missiles et 30.000 drones à longue portée prévus cette année.
Des défenses antimissiles capitales
Sans aide américaine, interrompue unilatéralement par Donald Trump ce 3 mars, l’Ukraine n’est donc pas désarmée du jour au lendemain. Mais elle ne sait pas produire de tout, et le matériel du Pentagone s’avérait essentiel pour protéger les infrastructures du pays.
L’armée ukrainienne ne peut reconstituer son stock de missiles d’interception pour les systèmes américains de défense aérienne Patriot, sa meilleure protection contre les missiles russes de type Kinjal. Et sans bulle de protection efficace, Kiev devra prioriser où concentrer ses défenses antimissiles, et les frappes russes prélèveront à nouveau un lourd tribut sur la population.
Ukrainian UAVs struck the Syzran refinery, the Novoshakhtinsk refinery and the Chertkovo oil depot last night. pic.twitter.com/YY84dheiSe
— (((Tendar))) (@Tendar) March 4, 2025
“La perte de l’aide américaine rendrait-elle la situation plus difficile pour les forces ukrainiennes? Oui”, résume auprès du média russe d’opposition Meduza un ancien officier ukrainien qui utilise le pseudonyme Tatarigami. “Cela conduirait-il à un effondrement total en six mois? Non. Cela entraînerait la mort d’un plus grand nombre de soldats et de civils ukrainiens, notamment en raison de l’épuisement des stocks de défense aérienne, mais sur le champ de bataille, il n’y aurait pas d’effondrement soudain.”
Une armée réduite à la défensive
De même, le tarissement de l’aide américaine se fera sentir sur la capacité à frapper. Car si l’industrie de Kiev produit des drones efficaces pour frapper en Russie, l’armée manque de roquettes et de missiles guidés capables de cibler les lignes de ravitaillement de l’armée russe sur ses arrières. Les lanceurs HIMARS et les missiles tactiques ATACMS avaient joué un grand rôle dans la paralysie russe de l’automne 2022, permettant une impressionnante contre-offensive. Sans ce genre d’armes, l’armée ukrainienne est vraisemblablement réduite à la défensive.
Il ne faut pas non plus oublier que les services de renseignement de Washington collaborent activement avec ceux de Kiev, avant même l’invasion. Or, selon The Washington Post, cette aide aussi pourrait se tarir. Un atout essentiel qui disparaît, car les USA disposent du meilleur réseau de satellites d’observation au monde.
L’aide européenne
Avec des États-Unis distants, pour ne pas dire hostiles, les Ukrainiens devront compter davantage sur les Européens. Pour rappel, les pays de l’UE représentent plus de la moitié de l’aide militaire offerte à l’Ukraine, avec 132 milliards d’euros, contre 114 pour les USA. Leur soutien va s’avérer essentiel dans les mois à venir pour consolider les filières de munitions. Les véhicules d’infanterie et les chars européens comme les Leopard II allemands peuvent remplacer le matériel américain, si tant est que la production et les pièces de rechange suivent.
Mais malgré les livraisons de missiles guidés Stom Shadow franco-britanniques, il est peu probable que les Européens puissent compenser la perte des armes les plus technologiques fournies par les États-Unis.
“Les Européens disposent d’autres capacités en matière de défense aérienne et de [systèmes de fusées à lanceurs multiples], mais les nôtres sont les meilleures, sont déjà déployées en grandes quantités et n’ont besoin que du réapprovisionnement en munitions et de la maintenance”, selon les confidences d’un ancien fonctionnaire du gouvernement américain au Washington Post. Sur le plan de l’entretien, les Ukrainiens auraient développé une certaine autonomie, et ne dépendraient plus forcément des techniciens américains, nuance Meduza. Mais la question des munitions demeure centrale.
Il est question de "suspension", pas d'interruption. Mais la mesure est clairement coercitive, cherchant à imposer l'interprétation US de de l'accord de paix.
— Défense & Sécurité Internationale (@DSI_Magazine) March 4, 2025
Est-ce problématique pour l'UKR?
1er constat : plus de 50% de l'aide promise n'a pas encore été livrée. https://t.co/6AhJtEKk3O
Combien de temps?
Selon les sources du Wall Street Journal, les stocks constitués permettraient à l’Ukraine de tenir jusqu’à l’été. D’autres estimations avancent un an, en tenant les positions. Si tout peut changer d’ici là, c’est un délai très court.
D’autant que, malgré son inconstance proverbiale, il est peu probable que Donald Trump change d’avis sur la question. Le président américain n’a pas simplement fait volte face par rapport à la politique de son prédécesseur ; il a de facto bloqué ce que Joe Biden avait déjà validé. Ce sont des stocks d’une valeur de 3,85 milliards de dollars qui devaient encore être acheminés. Et Trump a également gelé à la fois les commandes ukrainiennes directes et sur mesure à l’industrie américaine, ainsi que les achats sur le marché de l’armement rendus possibles grâce à l’aide financière. Or, ces commandes s’échelonnaient encore sur un calendrier courant jusqu’en 2026.
Donald Trump ne semble plus réclamer un nouveau “deal” en échange du soutien américain. Il a véritablement décidé d’affaiblir l’Ukraine, au mépris des décisions actées par l’administration précédente, et pour le plus grand bénéfice de Poutine. “Le gel des subventions fédérales et de l’aide internationale a montré que ce qui était autrefois considéré comme à la limite de l’illégalité est aujourd’hui tout à fait possible”, avait commenté un expert américain anonyme en relations internationales, juste avant la décision.
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