🇺🇦 La guerre en Ukraine aurait pu être terminée depuis longtemps: les secrets des pourparlers de paix révélés
Les exigences de la Russie: une armée ukrainienne réduite à un maximum de 85.000 soldats et 342 chars. Elle se disait même prête à rendre la Crimée en échange, selon le magazine mensuel Foreign Affairs, qui met en avant “une foule de détails jamais divulgués” sur des pourparlers de paix qui ont eu lieu au cours des premières semaines du conflit. “La guerre aurait pu être terminée à ce moment-là”, peut-on lire. Mais qui a refusé le deal? Et cette affirmation est-elle crédible?
La forêt de Bialowieza, l’un des derniers vestiges de l’immense massif forestier qui recouvrait l’Europe, et lieu de vie des derniers bisons du continent. C’est dans cette zone frontière entre la Pologne et la Biélorussie, dans un pavillon de chasse, que les envoyés russes et ukrainiens se sont rencontrés en mars 2022. À deux pas de l’endroit même où Boris Eltsine avait signé l’accord de dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991.
La guerre n’avait pas deux semaines quand les négociateurs se sont rencontrés à deux reprises, les 3 et 7 mars 2022. La délégation ukrainienne était conduite par Davyd Arakhamia, 44 ans, chef de groupe du parti du président Zelensky au Parlement. Le chef de la délégation russe était Vladimir Medinski, 53 ans, un ancien ministre de la Culture qui fait partie du conseil d’administration du parti du président Vladimir Poutine et a été son conseiller à de nombreuses reprises.
D’abord un faux départ
Les négociateurs s’étaient déjà rencontré le 28 février, au cinquième jour de l’invasion, dans une maison de campagne du président biélorusse Alexandre Loukachenko, près de la frontière ukrainienne. Mais cette réunion s’est vite révélée être un faux départ. Les Russes n’avaient qu’une seule exigence : que l’Ukraine se rende immédiatement et sans condition. Dans la forêt de Bialowieza, ils étaient déjà plus conciliants, et les discussions ont pu aller un peu plus loin.
Les propositions ont été discutées lors d’une série de conférences Zoom: “Cela permet d’économiser beaucoup de temps et d’argent », selon un négociateur russe
C’est bien sûr lié au fait que l’offensive russe se déroulait moins bien que Moscou ne l’avait prévu. Ce qui a donné aux Ukrainiens une marge de manœuvre pour négocier un passage sûr pour les civils hors de la zone de guerre dès le 3 mars, alors que les premières ébauches d’un accord étaient déjà sur papier le 7 mars. Les propositions ont ensuite été discutées lors d’une série de conférences sur Zoom. “Cela permet d’économiser beaucoup de temps et d’argent”, écrivait Medinski sur Telegram le 14 mars.
La Russie prête à des concessions
Les revendications territoriales n’ont pas ou peu été abordées, mais devaient l’être ultérieurement, à un niveau plus avancé des pourparlers. L’objectif principal était de trouver un point de balance entre l’exigence russe que l’Ukraine reste neutre, et des garanties de sécurité pour ce pays. Et des progrès avaient été réalisés, car lorsque les deux délégations se sont rencontrées à nouveau en personne le 29 mars – en Turquie, à Istanbul cette fois – un nombre surprenant de choses se trouvaient sur le papier. Comme l’assurance que tous les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies devaient protéger une Ukraine neutre.
Une garantie plus détaillée que le fameux article 5 qui s’applique entre les membres de l’OTAN. En cas d’agression, les pays protecteurs devaient envoyer des troupes aider l’Ukraine, fournir des armes et faire respecter une zone d’exclusion aérienne. La Russie avait avancé d’autres concessions: alors qu’elle s’opposait à toute entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, elle admettait son adhésion à l’UE. Quant à la Crimée, elle a accepté l’idée de parvenir à un règlement pacifique dans un délai de 10 à 15 ans, reconnaissant une possibilité de rendre la péninsule occupée à l’Ukraine.
Le rôle des occidentaux
C’est avec ces concessions sur le papier à Istanbul que Poutine a soudainement quitté la table des négociations, déclarant que l’Ukraine ne cherchait pas la paix. Il a affirmé que les Russes s’étaient retirés du nord du pays en gage de bonne volonté, mais que l’Ukraine en avait profité pour occuper le terrain. Il a également déclaré que c’était l’Occident qui avait incité Kiev à l’époque à ne pas accepter un accord de paix. Le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, aurait déclaré : “Ne signez rien. Vous pouvez battre la Russie.”
La découverte, en avril, des horreurs commises par les Russes à Boutcha a dû réduire la volonté de leur parler
L’article du “Foreign Affairs” réfute partiellement cette affirmation, rappelant à juste titre que la retraite russe avait été imposée par les armes. Mais il suggère que Kiev se sentait sur une position plus forte, ce qui l’aurait dissuadé de négocier. En outre, les atrocités découvertes à Boutcha en avril auraient aussi réduit la volonté de discuter. Mais tout cela signifie-t-il vraiment que la guerre aurait pu s’arrêter à ce moment-là et que l’Ukraine a gâché cette opportunité? C’est aller trop loin dans l’interprétation.
La barre toujours plus haut
Les négociations se sont poursuivies, jusque tard dans le mois d’avril. Mais Moscou n’a cessé de formuler de nouvelles exigences et de placer la barre toujours plus haut. Par exemple, l’armée ukrainienne devait se limiter à 85.000 soldats, ne pas posséder plus de 342 chars et ne pas disposer de missiles d’une portée supérieure à 40 km. Elle devait également réécrire ses lois, afin d’interdire toute forme de nationalisme ukrainien.
Cerise sur le gâteau: le 15 avril, la Russie a exigé une nouvelle formulation du principe de protection. Les pays censés veiller à la sécurité d’une Ukraine neutre ne pourraient désormais intervenir qu’après une décision à l’unanimité. Comme la Russie, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ferait partie de ces protecteurs, elle disposerait d’un droit de veto lui permettant d’empêcher les autres pays d’intervenir.
Un État vassal indéfendable
De nombreux experts contredisent donc l’hypothèse selon laquelle la paix était à portée de main. “Poutine n’a jamais été intéressé par les négociations”, estime Janis Kluge, de l’Institut allemand pour la politique internationale et de sécurité. “Le Kremlin a rejeté les négociations sur la Crimée dès le lendemain de la conférence d’Istanbul. L’ancien diplomate moldave Vlad Lupan, qui a lui-même négocié avec la Russie, note qu’il est typique pour Moscou de formuler des exigences inacceptables et d’accuser ensuite l’autre partie de ne pas jouer le jeu. Shashank Joshi, spécialiste de la défense pour The Economist, affirme que l’Ukraine serait devenue “un État vassal indéfendable” en accédant aux exigences russes.
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