🇺🇦 Guerre en Ukraine: l’armée russe tente par tous les moyens de recruter de nouveaux soldats

🇺🇦 Guerre en Ukraine: l’armée russe tente par tous les moyens de recruter de nouveaux soldats

Campagnes publicitaires, messages à la télévision, annonces sur les sites d’emploi avec des salaires intéressants à la clé et recrutement dans les prisons : les autorités tentent d’attirer de nouvelles forces dans les rangs des militaires. Vladimir Poutine se refusant, pour l’instant, à ordonner la mobilisation générale, il faut trouver d’autres moyens pour alimenter en hommes les troupes en Ukraine.

Le site Superjob.ru, la plus grande plateforme de recherche d’emploi en Russie affiche 20 060 offres dans le secteur militaire. Si, la plupart du temps, les salaires correspondent à ceux proposé en temps de paix, certaines annonces proposent des rémunérations jusqu’à 200 000 roubles par mois (plus de 3 200 euros) pour un simple poste de soldat, avec de nombreux avantages sociaux.

Le portail interactif de la commission du travail et de l’emploi de la région de Khabarovsk affiche lui 356 postes vacants de militaires pour l’unité n°51460. Cette unité abrite la 64e brigade de fusiliers motorisés, soupçonnée de crimes de guerre à Boutcha, près de Kiev – des accusations que Moscou rejette, évoquant une mise en scène des autorités de Kiev.

Les annonces ne précisent pas si nouvelles recrues seront envoyées en Ukraine. Mais « toutes ces offres d’emploi nous indiquent que l’armée n’a pas assez de monde. Il y a d’une part, les pertes, les morts et les blessés. Il y a aussi les gens qui quittent l’armée. Tout cela crée un problème de recrutement », indique Pavel Luzin, expert militaire, basé à Saint-Pétersbourg.

Reconstituer les forces

Le ministère russe de la Défense n’a pas mis à jour le chiffre des pertes russes depuis le 25 mars :1 351 morts. Se fondant sur des données rendues publiques, le média en ligne russe Mediazona et du service russe de la BBC, établit le nombre de soldats russes tués à 4 760 entre le 24 février au 15 juillet. Cela dépasse les pertes des forces fédérales russes durant les trois années de la deuxième guerre de Tchétchénie entre 1999 et 2002. De son côté, l’état-major évoque 37 000 militaires russes tués, alors que le ministère britannique de la Défense avance le chiffre de 20 000.

Si l’on compte les morts, les disparus, mais aussi les blessés, « l’armée russe a sérieusement besoin de reconstituer ses forces, pour les maintenir au moins au niveau du début de l’invasion, mais aussi pour mener des opérations offensives plus puissantes », note Kirill Mikhailov, analyste à Conflict Intelligence Team, organisation fondée par des enquêteurs indépendants russes, joint en Ukraine.

Ruptures de contrats

En mai, Vladimir Poutine a signé une loi repoussant de 40 à 50 ans la limite d’âge pour s’engager dans l’armée. La solde a aussi été revalorisée à 170 000 roubles mensuels : 2900 euros. L’un des moyens les plus courants d’embaucher de nouveaux soldats est de faire signer un contrat aux conscrits qui viennent de terminer leur service militaire. Mais vu qu’ils sont mieux informés de la situation en Ukraine, ils ne sont pas très enclins à s’engager pour aller combattre, explique Kirill Martynov. Par ailleurs, les cas de personnes qui ne souhaitent pas renouveler leur contrat avec l’armée se multiplient, note l’expert. « Selon nos données, de 20 à 40% des militaires sous contrat qui rentrent d’Ukraine refusent d’y retourner. C’est beaucoup, c’est comparable, voire supérieur aux pertes militaires sur le terrain ».

Récemment, 150 militaires sont rentrés d’Ukraine en Bouriatie après avoir rompu leurs contrats. Cette région de Sibérie orientale, voisine de la Mongolie, a payé un lourd tribut à cette opération militaire russe en Ukraine : 251 soldats issus de cette république ont été tués depuis le début de l’invasion russe, selon un décompte de la fondation Free Buriatya, qui assiste dans leurs démarches, les militaires qui souhaitent rentrer d’Ukraine.

L’ONG reçoit de nombreuses requêtes. « Dès que l’information sur ces 150 soldats a été rendue publique, notre service juridique a croulé sous les demandes, parce qu’à mon sens, personne ne veut se battre et mourir pour le monde russe, alors que nous-mêmes sommes victimes de xénophobie dans notre pays », raconte Victoria Maladeeva. La Bouriatie, qui s’étend entre le lac Baïkal et la Mongolie est une des régions les plus pauvres de Russie.

Les jeunes n’ont souvent pas d’autre perspective que de s’engager dans l’armée. « Le pouvoir sait qu’il a plus de chances d’attirer des jeunes gens de ces régions pauvres, parce qu’il n’y a pas de travail. À la frontière mongole, nous avons une ville qui accueille la 37e brigade motorisée. Cette unité est, en réalité, quasiment le seul employeur de la ville », poursuit Victoria Maladeeva.

Or, ces jeunes inexpérimentés, affectés dans les rangs inférieurs de l’armée russe, sont aussi les plus fragiles. « On a l’exemple de deux volontaires qui ont signé leur contrat en avril et qui ont été tués début mai en Ukraine. Et d’autres se sont engagés en mai et sont morts début juin. Ils n’ont pas tenu un mois », s’indigne la représentante de la fondation Free Buriatya.

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Des soldats russes patrouillent dans une zone du complexe d’Azovstal, à Marioupol, ce lundi 13 juin 2022. AP

Recrutement de prisonniers

Parmi les nouvelles plateformes de recrutement, le ministère britannique de la Défense évoque des cas de « recrutement de personnel dans les prisons russes pour la compagnie militaire privée Wagner », signe, selon lui, « si l’information se confirme, que l’armée russe a des difficultés à remplacer le nombre important de victimes ».

L’ONG Gulagu.net reçoit depuis la fin juin des dizaines de messages faisant état de campagnes de recrutement auprès des détenus de droit commun, menées par la milice privée Wagner dans plusieurs colonies pénitentiaires à Saint-Pétersbourg, Tver, Riazan, Smolensk, Voronezh et Lipetsk. « On parle de 200 prisonniers qui ont déjà été envoyés vers Rostov sur le Don », raconte Vladimir Ossetchkine à la tête de l’ONG, joint en France, où il est réfugié.

« Les situations sont différentes d’une colonie pénitentiaire à l’autre : dans certaines, on dénombre 20-30 volontaires, mais dans l’une des colonies, on nous a communiqué un chiffre qui semble incroyable de 300 détenus qui auraient souhaité partir combattre ». Les détenus qui n’ont pas d’expérience militaire sont invités aller déminer ou reconstruire les régions occupées par l’armée russe. Ceux qui ont déjà servi par le passé, se voient proposer 200 000 roubles (quelque 3 200 euros) et une remise de peine pour aller se battre six mois en Ukraine.

RFI