🇺🇦 À la frontière russo–ukrainienne, pour les habitants, «il n’est pas imaginable qu’il y ait une guerre»

🇺🇦 À la frontière russo–ukrainienne, pour les habitants, «il n’est pas imaginable qu’il y ait une guerre»

Désescalade ou nouvelle hausse des tensions ? Cette semaine aura lieu un nouveau rendez-vous important dans le feuilleton des tensions entre la Russie et l’Occident. Vladimir Poutine, seul à décider, doit prendre position sur la réponse américaine à ses demandes. En Russie, l’opinion publique s’intéresse assez peu au sujet. Dans la région de Belgorod, en revanche, dernière grande ville russe avant la frontière et la ville de Kharkiv en Ukraine, les tensions diplomatiques pèsent. Mais personne ne veut croire à un conflit.

Ces plaines enneigées parsemées de bouleaux sont déjà marquées par la mémoire d’autres conflits, la Seconde Guerre mondiale tout particulièrement avec des monuments aux morts dans presque chaque village le long de la frontière. Partout aussi des églises. Ces dernières années, elles ont poussé comme des champignons, et à l’arrivée, à l’aéroport, la première chose que l’on voit est une chapelle. C’est l’œuvre du gouverneur de la région pendant trente ans, un fervent admirateur de Vladimir Poutine.

Des attitudes belliqueuses qui laissent perplexes

Depuis 2014 et le début du conflit avec l’Ukraine, la région s’est aussi militarisée. Voir passer des convois de quinze camions de transports de troupe et de matériel sur ces routes particulièrement bien entretenues ou bien assister dans une gare au passage de convois de chars, ici, c’est banal : il y a aussi davantage de bases militaires. Vassili (NDLR : c’est le nom qu’il a souhaité se donner) est un de ces nouveaux soldats en poste à 150 km de Karkhiv, la première grande ville ukrainienne après la frontière. Assis en uniforme dans le hall d’un hôtel, il affiche sa certitude : son armée n’ira pas envahir l’Ukraine. Pour lui comme pour la majorité des Russes, ce climat « est simplement dû aux attaques politiques de l’Occident, mais ça n’ira pas plus loin que cela ». Vladimir Poutine a beau marteler qu’il veut des engagements écrits de non-élargissement de l’Otan, Vassili, lui, prend la question très sereinement : il assure ne jamais avoir sérieusement envisagé que l’Ukraine puisse entrer dans l’organisation atlantique : « L’Otan, dit-il, n’en a ni l’envie ni le besoin ».

Dans la population de cette région, ce climat de tensions internationales est diversement ressenti. Dans les villages le long de la frontière, ils sont nombreux à assurer que tout est calme, « aucune raison de s’inquiéter », répète-t-on. « Ici, on voit plus souvent des loups que des soldats », a raconté le riverain d’un poste de contrôle aux frontières au journal Kommersant. Autre ambiance décrite par Elena (NDLR : nom d’emprunt) qui habite Belgorod et possède une maison familiale située quasiment sur la frontière, où elle se rend régulièrement : « Bien sûr, il y a de l’anxiété. Dire que tout le monde est détendu et ne s’attend à rien, cela serait faux. Les garde-frontières patrouillent dans notre village, tout le long de la frontière. Il pourrait y avoir des provocations du côté ukrainien. En ce moment, il n’y en a pas, mais théoriquement, c’est possible. Pour être honnête, la plupart du temps nous en rions, car il n’est pas imaginable qu’il y ait une guerre. La Russie ne fera jamais la guerre à l’Ukraine, ce n’est même pas une question. Mais notre rire est aussi mêlé de larmes, car dans notre village, nous recevons les chaînes ukrainiennes. Et nous voyons bien comment la situation internationale actuelle y est présentée : si les gens ont constamment l’esprit à la guerre, si on leur tambourine ça constamment dans le cerveau, forcément ils commencent à y croire. »

Un état d’esprit éloigné des tensions diplomatiques

Les échanges diplomatiques menaçants et inquiétants de ces dernières semaines n’ont échappé à personne dans la région. « Cela ne me met pas en colère, mais cela ne m’amuse franchement pas non plus », dit Oleg Shevtsov. « Je suis probablement habitué, depuis ces huit dernières années, à ce que les actions pas très raisonnables du côté ukrainien comme du côté russe aient un impact nocif sur ma vie personnelle, sur celle de mes amis et de mes parents. Je suis, en fait, fatigué et dans un état d’esprit négatif, je diraisMes deux grands-mères sont ukrainiennes, mes parents éloignés vivent dans la ville voisine de Kharkiv et cette situation est assez typique de notre région », explique ce rédacteur en chef de journaux d’entreprises à Belgorod.

Avant 2014, comme beaucoup d’habitants de la région, il se rendait à Kharkiv pour voir sa famille, des amis, faire des courses ou aller en boîte de nuit. « Environ un habitant sur deux de la région a des parents et des amis ukrainiens », explique-t-il. « Nous percevons le pays voisin comme absolument frère et amical. Pour nous, tout ce qui se passe au niveau politique, diplomatique et même militaire est, en fait, une véritable tragédie. Une tragédie qui nous affecte tous, entre autres parce qu’il est devenu très difficile de traverser la frontière. »

Ailleurs en Russie, le lien n’est pas aussi fort, éloignement géographique oblige, mais les enquêtes d’opinion se suivent et se répètent : les Russes disent majoritairement se sentir proches des Ukrainiens et ont bien du mal à se projeter dans un conflit avec des blessés et des morts de chaque côté.

RFI