🇹🇷 Mariage forcé d’une fillette de 6 ans: polémique autour de l’influence des confréries religieuses en Turquie
Le 30 janvier prochain s’ouvrira le procès de Kadir Istekli et de Yusuf Ziya Gümüsel, ainsi que de la femme de ce dernier, respectivement le mari et les parents de H.K.G. La jeune femme accuse ses parents de l’avoir forcée à se marier à un homme plus vieux, alors qu’elle n’avait que six ans, et accuse ce dernier de l’avoir violée à plusieurs reprises et d’actes de pédophilie. Ils risquent jusqu’à 68 ans d’emprisonnement.
Le journaliste d’investigation Timur Soykan a révélé, début décembre, dans les colonnes du quotidien turc de gauche Birgün, une sordide affaire de mariage forcé et d’actes de pédophilie dont a été victime une jeune femme alors qu’elle était âgée de six ans à peine. Cette dernière a porté plainte en 2020 contre son père, Yusuf Ziya Gümüsel, le chef de la fondation Hiranur Vakfi, rattachée à la puissante confrérie religieuse İsmailağa, pour l’avoir mariée de force à l’un de ses disciples âgé de 29 ans.
Kadir Istekli, le mari de la jeune femme connue sous les initiales H.K.G., aurait violé à plusieurs reprises cette dernière. “Kadir a caressé mon corps (…). J’ai pleuré et Kadir a dit que nous étions mariés comme mes parents l’étaient. ‘Tu es ma femme, je suis ton mari. Les gens mariés jouent à de tels jeux, mais ce jeu n’est révélé à personne. Écoute, ton père et ta mère ne le disent à personne’, a-t-il dit. Mon père et ma mère appelaient Kadir ‘mon gendre’”, peut-on lire dans l’un des extraits de l’article du Birgün rapporté par Le Monde.
Premiers soupçons et procès
En 2012, un médecin émet des soupçons sur l’âge qu’avait H.K.G. lors de son mariage, et le parquet ouvre une enquête. Les parents de la jeune femme, aujourd’hui âgée de 24 ans, ont toujours nié les faits qui leur étaient reprochés, mettant en place des stratagèmes tels que faire passer un test osseux à une jeune femme de 21 ans afin de prouver que leur fille est bien majeure, et ainsi étouffer l’affaire. Néanmoins, des photos de la fillette de six ans vêtue d’une robe de mariage ont été diffusées dans la presse, entretenant le doute autour de cette histoire.
Aujourd’hui, la jeune femme est divorcée et vit loin de ses parents et de son ex-mari. Sous la pression de l’opinion publique, Yusuf Ziya Gümüsel et Kadir Istekli ont été emprisonnés le 15 décembre dernier, dans l’attente de leur procès. La première audience aura lieu le 30 janvier 2023. Le mari et les parents de H.K.G encourent respectivement des peines de prison de 68 et de 22 ans.
Les confréries religieuses proches du pouvoir
Bien qu’elles aient été interdites après la fondation de la République de Turquie, en 1923, les confréries religieuses existent encore et reçoivent la clémence des dirigeants turcs, en particulier depuis que l’AKP, le parti islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan, a pris le pouvoir en 2002. L’actuel président turc ne cache d’ailleurs pas ses liens avec les confréries religieuses, particulièrement avec l’İsmailağa, l’une des plus importantes communautés musulmanes du pays. L’opposition accuse le pouvoir en place de ne pas agir pour protéger les mineurs. Pour couper court à toute polémique, le président turc a déclaré, le 12 décembre dernier, devant le ministère de la Justice, que “les négligences du passé feront l’objet d’investigations”.
“L’AKP a créé des relations gagnant-gagnant avec plusieurs confréries. Il leur distribue des marchés publics, ferme les yeux face à certains délits ou crimes, il intègre des membres des confréries au sein du parti, au sein de la bureaucratie. En échange, le parti obtient un soutien politique fort”, dénonce Berk Esen, chargé d’enseignement à l’université Sabanci, à Istanbul. “Ces organisations sont présentées comme des associations de la société civile, mais ce sont en réalité des communautés très fermées au fonctionnement totalement antidémocratique. Le scandale de Hiranur Vakfi n’est que la partie émergée de l’iceberg.”
7sur7