🇷🇺 Tir de missile antisatellite : la Russie veut prouver qu’elle n’est pas à la traîne technologique

🇷🇺 Tir de missile antisatellite : la Russie veut prouver qu’elle n’est pas à la traîne technologique

En détruisant l’un de ses satellites grâce à un missile, la Russie s’est attirée, lundi, de vives critiques de la communauté internationale. Mais elle a aussi démontré qu’elle restait dans la course dans l’un des domaines les plus cruciaux aux yeux de son armée : l’espace.

C’est un succès qui coûte cher. La Russie a réussi à détruire, lundi 15 novembre, l’un de ses propres satellites en lançant un missile antisatellite. Mais en détruisant l’engin spatial, des dizaines de milliers de débris ont été générés dans une zone située non loin de la Station spatiale internationale (ISS), faisant craindre le pire à son équipage international. Les sept personnes – quatre astronautes américains et un allemand, deux cosmonautes russes – ont dû se préparer à une éventuelle évacuation en urgence, une collision avec l’un de ces morceaux de satellite étant capable d’endommager la station scientifique.

Des missiles « essentiels dans la doctrine militaire russe »

L’ISS a échappé à la catastrophe. Mais Moscou s’est quand même attiré les foudres de Washington. « La Russie s’est conduite de façon irresponsable », a réagi Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain. « Je suis scandalisé », a affirmé, de son côté, Bill Nelson, le patron de la Nasa, avant d’ajouter qu’il était « impensable que la Russie mette en danger non seulement les astronautes américains et des partenaires internationaux dans l’ISS, mais aussi ses propres cosmonautes ».

Ce ne sont pas seulement les sueurs froides des habitants de l’ISS qui ont poussé les responsables américains à réagir aussi vivement. Dorénavant, plus de 15 000 débris orbitaux « menaceront, pour les décennies à venir, les satellites et autres objets spatiaux vitaux pour la sécurité, l’économie et les intérêts scientifiques d’autres nations », a déploré Anthony Blinken, ajoutant que les États-Unis réfléchissaient à une « réponse » à ce test.

Avec ce test, Moscou a donc pris le risque de dégrader encore davantage des relations déjà très tendues avec Washington pour détruire un vieux satellite qui n’est plus opérationnel depuis 1984, résume sur Twitter l’astronome américain Jonathan McDowell. 

De quoi juger que le jeu n’en valait peut-être pas la chandelle ? C’est ignorer à quel point « les missiles antisatellites sont essentiels dans la doctrine militaire russe », souligne Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS), contacté par France 24.

Moscou – tout comme Washington – travaille sur ce type d’armes depuis le début des années 1970, en pleine guerre froide. Les recherches sur ces missiles ont commencé « à peu près à l’époque de la signature du traité sur l’espace et la réglementation des armements (1967), qui a posé le principe de l’interdiction de laisser des armes dans l’espace », rappelle Alexandre Vautravers. Les Américains et les Soviétiques ont rapidement compris que si l’une des deux puissances prenait l’ascendant dans l’espace, le seul moyen de s’y opposer, en cas de conflit ouvert, serait d’utiliser des missiles envoyés depuis la Terre. 

Le contexte géopolitique a beau avoir changé avec la fin de la guerre froide, le constat pour Moscou reste le même : dans l’espace, les États-Unis sont les rois avec leur réseau de satellites militaires et civils de communication et d’espionnage. « Cette suprématie inquiète beaucoup la Russie », reconnaît Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen pour les relations internationales, contacté par France 24.

Mieux protéger Moscou

Les satellites d’espionnage et d’observation sont en effet de précieux « multiplicateurs de force militaire », explique Alexandre Vautravers. Tous les renseignements que ces caméras spatiales de surveillance peuvent fournir procurent des avantages stratégiques (sur la topologie du terrain, la position des troupes, les conditions météorologiques) qui peuvent s’avérer décisifs en cas de conflit.

En même temps, « les militaires russes jugent que ces satellites constituent aussi l’un des talons d’Achille de la puissance militaire américaine », ajoute Gustav Gressel. Pour cause, défendre un tel réseau dans l’espace est bien plus complexe que de protéger un territoire terrestre. 

La Russie veut donc prouver qu’elle est « capable de défier le leadership technologique américain en démontrant que, si nécessaire, il lui est possible de neutraliser cette supériorité informationnelle », résume Alexandre Vautravers. Ce test du missile est l’équivalent, pour l’espace, de la dissuasion nucléaire.

Il constitue aussi un signe envoyé à l’opinion publique russe car ces armes sont la composante centrale de l’un des programmes de défense phares de l’armée russe : le système d’armement « Nudol » – du nom d’une rivière dans la région de Moscou. « C’est un programme en cours de développement. Son but est de concevoir un nouveau système de défense pour protéger en priorité la capitale russe en cas d’attaques par missiles balistiques [nucléaires ou pas] », explique Gustav Gressel.

En d’autres termes, ces missiles antisatellites ne servent pas seulement à détruire des satellites mais « ce sont les mêmes qui seront utilisés pour essayer d’intercepter et détruire des missiles balistiques ennemis qui viseraient Moscou », précise le chercheur du Conseil européen pour les relations internationales.

Le test de lundi représentait ainsi la première démonstration de leur efficacité pour atteindre une cible en mouvement. Alors, certes, un satellite est plus lent et donc plus facile à toucher qu’un missile balistique en pleine course, mais c’est une première étape de franchie. 

La Chine et l’Inde en embuscade

Cette démonstration risque cependant de donner des idées à d’autres puissances. Le monde traverse actuellement une nouvelle « course aux armements », et la capacité de neutraliser les satellites en fait partie. Outre la Russie et les États-Unis, deux autres pays – l’Inde et la Chine – ont développé des missiles antisatellites. Le programme indien en est encore à ses balbutiements, tandis que celui des « Chinois est très secret », note Gustav Gressel.

Pékin s’était déjà fait taper sur les doigts par la communauté internationale après un tir qui a détruit un satellite chinois en 2007, entraînant la création de plus de 40 000 débris spatiaux. Depuis lors, la première puissance asiatique s’est faite discrète en la matière, surtout qu’elle développe en parallèle des méthodes moins destructrices pour neutraliser les satellites « comme les tirs de laser, les cyberattaques ou les rayons à micro-ondes qui peuvent endommager les circuits électriques de ces satellites », poursuit Gustav Gressel.

Mais, pour les Russes, rien ne vaut un missile qui a l’avantage de régler définitivement le sort du satellite. « Avec une cyberattaque ou un tir de laser, on est jamais sûr d’avoir neutralisé définitivement le système ou d’avoir atteint les bons composants », précise le chercheur.

Si d’autres se rangent à l’avis russe, entraînant ainsi une multiplication des tests de tels missiles pour prouver qu’aucune de ces puissances n’est à la traîne, les débris risquent de s’accumuler rendant l’espace de plus en plus dangereux pour autre chose que des démonstrations de force militaire.

France 24