🇷🇺 Nous dirigeons-nous vraiment vers une 3e Guerre mondiale? “L’Occident ne lancera pas les hostilités, mais la Russie…”
Le risque d’une Troisième Guerre mondiale “est grave, il est réel”: voilà les paroles de Serguei Lavrov au lendemain de la visite de ministres américains à Kiev. Tout en ajoutant aussitôt qu’il espère ne pas arriver à de telles extrémités. Faut-il donc craindre une nouvelle guerre mondiale? Deux spécialistes de l’université de Gand, Sven Biscop, expert en Défense, ainsi que le politologue Hendrik Vos, donnent un avis éclairé sur la question: “Nos livraisons d’armes sont une vraie zone grise”, expliquent-ils.
Que le risque de Troisième Guerre mondiale est réel, c’est une évidence de longue date pour Sven Biscop. “Depuis le tout début de l’invasion russe en Ukraine, le risque d’escalade existe. Et cela signifie: un guerre directe entre l’UE et l’Otan d’une part, et la Russie d’autre part. Mais la question est de connaître l’ampleur de ce risque. Selon moi, il n’est pas plus important aujourd’hui qu’il y a un mois. J’évalue le danger à un risque peu élevé”.
Mais qu’est-ce qui pourrait nous faire basculer dans une véritable guerre mondiale? “Il y aurait une dangereuse escalade si l’Occident devait décider d’envoyer des troupes en Ukraine pour se battre contre les forces russes”, résume l’expert en Défense. “Mais c’est une chose que nous nous refusons de faire depuis le départ. Nous nous en tenons volontairement à certaines limites évidentes. Les Russes n’entreprennent d’ailleurs eux aussi que des actions hybrides et ciblées contre nous, comme des cyberattaques, mais pas des manœuvres militaires. Heureusement, car une nouvelle Guerre mondiale serait probablement une guerre nucléaire. Et ça, c’est ce que tout le monde veut à tout prix éviter”.
Arsenal nucléaire
Mais les livraisons d’armes à l’Ukraine pourraient conduire à une escalade du conflit armé, avertit le professeur gantois. “Ces livraisons occidentales sont dans une vraie zone grise. Tant qu’il n’en va que d’armes légères qui aident l’Ukraine à défendre son territoire, je ne vois pas de réel problème. Mais si les pays occidentaux commencent à envoyer l’artillerie lourde, des armes avec lesquelles l’Ukraine serait en mesure d’attaquer la Russie sur son sol, là, il pourrait y avoir une dangereuse escalade”. Or, la semaine dernière, certains pays comme les États-Unis et les Pays-Bas ont annoncé fournir des armes plus lourdes à l’Ukraine. La Russie a donc anticipé en attaquant aussitôt les voies ferrées et les gares ukrainiennes, essentielles dans l’acheminement d’une grande part des livraisons”.
Mais si cette guerre mondiale devait démarrer, le politologue Hendrik Vos estime que ce serait la Russie qui en serait l’instigatrice. “L’Occident ne lancera en tout cas jamais les hostilités. Du moins pas tant que la Russie ne devient pas active sur le territoire de l’Otan, en bombardant par exemple ses stocks d’armes. Une autre possibilité de départ de conflit ouvert serait que la Russie utilise des armes nucléaires. Mais c’est une option tellement dévastatrice que je ne peux pas m’imaginer qu’ils en arrivent là. Mais s’ils étaient vraiment acculés… on ne peut pas considérer ce risque comme totalement nul”, concède-t-il.
Frustration
Heureusement, dans un discours empreint de contradictions, Serguei Lavrov a spontanément ajouté qu’une Guerre mondiale n’est malgré tout pas dans les plans de la Russie. Que cette hypothèse est même intolérable pour son pays. Naturellement, c’est aussi une manière de rejeter sur l’Occident la faute d’une possible future escalade menant à un conflit mondial. “Cela rentre parfaitement dans la logique russe: se sentir encerclé et menacé par l’Occident”, résume Sven Biscop. Et Lavrov d’affirmer que son pays veut limiter le risque nucléaire. “Typiquement le discours à double sens de la Russie. Parce que les seuls qui ont menacé d’enclencher l’arsenal nucléaire jusqu’ici, ce sont bien eux. Ces propos visent aussi à donner l’impression que la faute est du côté occidental”.
Le ministre ukrainien des Affaires étrangères a lui aussi réagi aux paroles menaçantes de Lavrov. “Ses propos démontrent que Moscou pressent sa défaite en Ukraine”, a commenté sur Twitter Dmytro Kouleba. Selon lui, évoquer une Troisième Guerre mondiale est pour la Russie une tentative de rappeler à l’UE et aux États-Unis de s’en tenir aux règles tacites, à savoir l’interdiction de livrer à l’Ukraine des armes lourdes pour la contrer. “La Russie ne parvient pas à empêcher les pays tiers de soutenir l’Ukraine dans ce conflit”, affirme le Ministre. “C’est précisément pourquoi le monde doit maintenant intensifier son soutien à l’Ukraine, pour que nous vainquions et que la sécurité en Europe et dans le monde soit garantie”. Sven Biscop interprète lui les mots de Lavrov non pas comme un aveu de faiblesse, mais plutôt de frustration: “Rien ne se passe vraiment comme la Russie l’avait prévu”, résume-t-il.
Impasse
Une nouvelle guerre mondiale ne semble donc heureusement pas pour demain. Mais vers quoi le conflit actuel évolue-t-il désormais? Lavrov a glissé lundi, au cours de la même interview, qu’un accord avec l’Ukraine devrait survenir d’une manière ou d’une autre. Mais Sven Biscop n’y croit pas un instant. “Vœux pieux. Les chances d’un accord négocié sont réduites à peau de chagrin depuis que la Russie s’est emparée de davantage de terres dans le Donbass et sur la côte. Ils ont par exemple tellement lutté pour obtenir Marioupol qu’ils ne vont évidemment plus jamais accepter de renoncer à cette mainmise lors de négociations”.
L’Ukraine, de son côté, est de plus en plus sous pression pour accepter des concessions, mais plus la guerre dure, plus le bilan humain est élevé. Alors à quoi le pays assiégé pourrait-il finalement consentir? “Zelensky a déjà clamé qu’il était prêt à déclarer la neutralité de son pays. La Crimée aussi, qu’ils ne récupèreront selon moi jamais et à laquelle ils peuvent donc décider de renoncer officiellement. Pour le Donbass, un statut particulier est une option”, explique Biscop. Mais la question est de savoir si la Russie estimera que tout cela est suffisant. Tant qu’aucun accord n’intervient, Sven Biscop craint que l’on reste dans l’impasse, et ce pendant des années. “Tant que c’est le cas, le risque d’une escalade demeurera”.
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