🇷🇺 “Nous avons touché les Russes en plein cœur”: les artilleurs ukrainiens gardent l’espoir d’une victoire dans le Donbass

🇷🇺 “Nous avons touché les Russes en plein cœur”: les artilleurs ukrainiens gardent l’espoir d’une victoire dans le Donbass

“L’humidité et le froid nous mettent à l’épreuve. Mais nous savons pourquoi nous nous battons.” L’armée russe gagne de plus en plus de terrain, et pourtant, les artilleurs ukrainiens de la 3e Brigade d’assaut continuent de se battre chaque jour en première ligne. Le reporter Arnaud De Decker les a suivis, au milieu des explosions et des drones. “La prise de conscience qu’une victoire dans le Donbass est encore possible semble même pour ces hommes presque utopique.” Immersion.

Derich, sur le siège passager, chipote à sa radio.“Chaque mouvement dans cette zone est repéré par des drones,” avertit-il. “Des drones ukrainiens, mais aussi ennemis. Sans notification, nous risquons d’être pris pour cible.”

La route de terre serpente à travers des champs vastes, mais est devenue un marécage impraticable à cause de la boue. Le véhicule glisse de gauche à droite, des branches et des souches d’arbres brûlés griffent les côtés. Après environ une demi-heure de route, nous atteignons la frontière entre les provinces de Kharkiv et de Louhansk, dans l’est de l’Ukraine. Le véhicule est immédiatement camouflé par des soldats à l’aide d’un filet militaire fait maison.

Nous sommes accueillis par des membres de la célèbre 3e Brigade d’assaut, une unité d’élite qui tente, tant bien que mal, d’arrêter l’avancée russe. Les combattants de cette brigade ont acquis un statut héroïque lors de plusieurs grandes batailles, notamment lors du siège russe de l’usine sidérurgique Azovstal à Marioupol en 2022.

À l’extérieur, la température descend en dessous de zéro pour la première fois de la saison et les souris s’agitent dans le bunker, à la recherche de chaleur et de nourriture. © Arnaud De Decker

Un bunker minuscule

Le commandant Luka, un soldat de 33 ans connu uniquement sous son pseudonyme, prend la parole. “Les Russes sont à environ sept kilomètres. Notre tâche est simple: utiliser notre artillerie pour les éliminer.” Son ton est sérieux, son regard sombre.

Nous travail­lons par équipes de quatre jours, après quoi nous nous reposons pendant quatre jours”Commandant Luka

Leur bunker est minuscule, les soldats dorment sur des planches en bois et préparent leur repas en chauffant des rations militaires sur un réchaud à gaz. “C’est très rudimentaire. Nous travaillons en équipes de quatre jours, après quoi nous nous reposons pendant quatre jours à Izium (une ville située à environ 50 kilomètres de là).”

“Continuer à nous battre”

“Nous sommes déterminés à continuer de nous battre. Notre artillerie vient du Royaume-Uni et elle est très précise. Chaque jour, nous éliminons des Russes et cela nous apporte une certaine satisfaction.” Et cette satisfaction est indispensable, car les conditions de vie peuvent rapidement démoraliser. Dans le bunker, des souris courent à la recherche de chaleur et de nourriture. À l’extérieur, la température descend de plus en plus. “L’humidité et le froid nous mettent à l’épreuve. Mais nous savons pourquoi nous nous battons.”

La situation sur l’ensemble du front ukrainien est loin d’être favorable. L’armée russe progresse plus vite que jamais dans la guerre, à l’exception des premiers jours et semaines du conflit. C’est particulièrement le cas dans les provinces orientales de Louhansk et Donetsk, ensemble appelées Donbass, où les combats font rage.

Seul le canon trahit leur position

Le commandant Luka est interrompu par une voix qui résonne dans la radio. Une unité de drones voisine a repéré de nouveaux objectifs. Les coordonnées sont transmises. Soudain, tout va très vite. Les cinq hommes se précipitent à l’extérieur. Bien qu’il soit à peine plus de trois heures de l’après-midi, il fait déjà presque nuit. La nuit tombe tôt en Ukraine de l’Est et, un par un, les hommes allument leurs lampes de poche.

Un tas de douilles, témoins silencieux de la férocité des tirs. © Arnaud De Decker

À environ cinquante mètres de là, les membres de la 3e Brigade d’assaut ont camouflé l’arme principale du mieux qu’ils le pouvaient. On aperçoit à peine le mastodonte entre les filets vert olive, les branches et les feuilles qui le dissimulent. Seul le canon trahit leur position.

Une machine bien huilée

Le commandant donne ses ordres, et comme une machine bien huilée, les soldats parviennent en un temps record à rendre l’obusier prêt à tirer. Les obus sont chargés dans le ventre de l’engin, la trajectoire du canon est ajustée selon les coordonnées données. “Prêts? Feu!” résonne la première fois. L’obus est tiré, une mer de feu s’ensuit, et le tir résonne longuement dans la distance. Un deuxième et un troisième obus sont tirés. Le calme et la concentration des soldats est remarquable, ils ne sont clairement pas novices en la matière. Près de l’obusier, une montagne de douilles repose, témoins silencieux du volume impressionnant de tirs effectués.

Nous avons suffisam­ment de munitions pour l’instant. Ce qui nous manque vraiment, ce sont des renforts”Un des artilleurs ukrainiens de la troisième brigade d’assaut

“Nous avons suffisamment de munitions pour l’instant,” dit l’un des hommes en retirant un nouvel obus de son étui. “Ce qui nous manque vraiment, ce sont des renforts pour pouvoir effectuer plus de rotations.” Ce constat devient de plus en plus fréquent le long du front.

Pourtant, pour les Américains, la solution est claire: si l’Ukraine veut tenir bon, il faut abaisser l’âge minimum pour la mobilisation de 25 à 18 ans. Mais c’est une question particulièrement sensible pour Zelensky, qui veut à tout prix éviter d’envoyer des jeunes adultes sur le front. “La population ukrainienne est déjà considérablement réduite. Si nous perdons cette génération, les générations à venir seront sérieusement en difficulté,” déclare Kiev.

Ils constatent que la guerre fait payer un lourd tribut, tant physiquement que mentalement. “Pour nous, il s’agit d’un travail de routine depuis des mois”, disent-ils. © Arnaud De Decker

Objectif atteint

“Tous les objectifs ont été atteints. Il est temps de se mettre à l’abri avant que les drones ne nous repèrent”, lance le commandant Luka. Au loin, des coups de feu résonnent, provenant d’autres unités situées dans le même secteur. L’équipe retourne vers le bunker. Là, les soldats attendent les images des drones qui doivent confirmer si les objectifs visés ont effectivement été frappés.

“Bon travail, nous les avons frappés en plein cœur,” annonce-t-on. Sur l’écran apparaît un paysage gris et désolé. Après quelques secondes, l’écran s’illumine: des explosions impressionnantes endommagent des maisons ukrainiennes en ruine où se cachent des soldats russes.

Un travail de routine

Les cinq hommes, penchés sur l’écran, analysent les images de manière sobre, presque sans émotion. La guerre est extrêmement compliquée, tant sur le plan physique que mental. “Pour nous, cela fait des mois que c’est devenu la routine. À chaque Russe que nous éliminons, nous sommes un peu plus proches de la victoire,” se rassurent-ils. Le fait qu’une véritable victoire dans le Donbass soit encore possible semble même pour eux presque utopique.

Ma femme et ma fille partent bientôt pour l’Italie. C’est mieux pour elles, mais pour moi, cela ne fera que rendre les choses encore plus difficiles”Commandant Luka

“Cela fait des mois que je n’ai pas vu ma famille”, confie Luka. “Ma femme et ma fille vivent à Soumy, près de la frontière russe, où les bombardements sur des cibles civiles ne cessent. Compte tenu des dangers, elles vont bientôt partir pour l’Italie. C’est mieux pour elles, mais pour moi, cela rend les choses encore plus difficiles. Sans leur présence physique dans le pays, il devient de plus en plus compliqué de tenir le coup.”

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