🇷🇺 Le risque nucléaire diminue: le temps des négociations est-il venu? La fin de la guerre est-elle proche? Un expert fait le point

🇷🇺 Le risque nucléaire diminue: le temps des négociations est-il venu? La fin de la guerre est-elle proche? Un expert fait le point

Pour le chancelier allemand Olaf Scholz, le risque d’un recours à l’arme nucléaire par Moscou a fortement diminué. Le président russe Vladimir Poutine a quant à lui affirmé qu’il n’était pas fou: il n’utilisera l’arme nucléaire qu’en cas d’attaque ennemie. “Si on nous frappe, on frappe”, a-t-il ainsi déclaré. Les deux chefs d’État se sont également appelés la semaine dernière pour la première fois depuis longtemps. Le bras de fer va-t-il enfin se déplacer vers la table des négociations? “Poutine semble progressivement réaliser qu’une attitude de plus en plus radicale ne mènera qu’à la perte du soutien de ses pairs”, explique le professeur de géopolitique à l’UGent ainsi qu’à l’Institut Egmont, Sven Biscop, à nos confrères de ‘Het Laatste Nieuws’.

Le chancelier allemand a ainsi déclaré dans une interview que le risque d’un recours à l’arme nucléaire a baissé. Est-ce une réalité?

Professeur Sven Biscop: “Depuis le début de la guerre, le risque d’une escalade nucléaire pend au-dessus de nos têtes telle une épée de Damoclès. Il a fortement augmenté suite aux récentes défaites russes et à l’annexion illégale d’un certain nombre de territoires. Jusqu’à aujourd’hui, l’Occident a réagi de manière très réfléchie aux menaces, ne perdant pas son sang-froid. Nous mettons ainsi Poutine au pied du mur, et, dans ce sens, Scholz n’a pas tort lorsqu’il affirme que le risque d’une escalade nucléaire a diminué.”

Poutine tente de semer la discorde entre les différents États occiden­taux, et espère qu’en les menaçant, les pays se plieront à sa volonté et diront: “Obligeons l’Ukraine à passer un accord, cela n’en vaut pas la peine pour nous.”

Professeur de géopolitique, Sven Biscop, UGent et l’Institut Egmont

“Poutine tente de semer la discorde entre les différents États occidentaux, et espère qu’en les menaçant, les pays se plieront à sa volonté et diront: “Obligeons l’Ukraine à passer un accord, cela n’en vaut pas la peine pour nous.” Néanmoins, ses souhaits ne sont pas devenus réalités, ce qui constitue une victoire morale pour l’Occident. Nous devons toutefois rester prudents: le risque d’un recours au nucléaire est encore loin d’être nul.”

Est-ce qu’on ne s’est pas laissé intimider? Le président français, Emmanuel Macron, semblait dire, de façon nébuleuse, que la France ne répondrait pas à une frappe nucléaire russe sur l’Ukraine par du nucléaire.

“Attention: à ce moment-là, Macron parlait de l’Ukraine, et non d’un territoire de l’OTAN. La déclaration était peut-être quelque peu malheureuse, mais l’Occident ne s’est pas laissé intimider. Les États-Unis ont toujours dit haut et fort qu’ils riposteront durement en utilisant des armes conventionnelles si jamais la Russie frappait l’Ukraine avec une arme nucléaire.”

“Les armes nucléaires sont au service de la protection de notre territoire. En cas d’attaque sur un pays membre de l’OTAN, notre réponse sera évidente: réagir de manière équivalente. Le message de Biden a toujours été clair comme de l’eau de roche à ce sujet.”

Scholz et Poutine ont également eu leur première conversation téléphonique depuis la mi-septembre. Le chancelier allemand a plaidé pour une solution diplomatique. Poutine a balayé cette proposition. Était-ce un signe de faiblesse de la part de Scholz?

“Nous, les Occidentaux, ne sommes, à l’heure actuelle, pas en guerre. Entretenir les canaux diplomatiques est important. Ce n’est évidemment pas pour faire des concessions, mais pour tracer une ligne rouge, et rappeler que nous possédons également des armes nucléaires. Mais aussi pour tenter de comprendre la logique russe. En effet, à un moment donné, nous devons nous installer autour de la table. Et, tant que Poutine sera président, il y siégera à nos côtés.”

“Il existe trois scénarios. Le premier: la victoire totale de la Russie, mais cette hypothèse est quelque peu invraisemblable. Le deuxième: l’Ukraine récupère tous ses territoires perdus, mais cela n’arrivera pas tout de suite selon moi. Le troisième, le plus probable: une impasse militaire, qui gèlera le conflit.”

Poutine semble progressi­ve­ment réaliser qu’une attitude de plus en plus radicale ne mènera qu’à la perte du soutien de ses pairs

Professeur de géopolitique, Sven Biscop, UGent et l’Institut Egmont

“Dans ce dernier cas de figure, une question se pose: que faire? Une solution diplomatique pourrait émerger de ce blocage. C’est pourquoi il est important que Scholz ne ferme pas cette porte. Ce n’est pas un signe de faiblesse. Certainement pas lorsque nous savons que l’Occident continue de soutenir l’Ukraine, tant au niveau militaire que financier.”

Le président Poutine a relevé que “la menace d’une guerre nucléaire grandit” devant son Conseil des droits humains, mais qu’il n’était pas fou: il ne l’utilisera qu’en cas d’attaque ennemie. Un vocabulaire qui diffère fortement des menaces proférées les semaines précédentes. Comme cela se fait-il?

“Suite aux menaces sur le recours au nucléaire, ses partenaires, et notamment la Chine, ont quelque peu exprimé leur désaccord. Le dirigeant chinois Xi Jinping a, lors d’une visite de Scholz, exclu toute escalade sous forme de l’usage nucléaire. C’est un bel accomplissement de la part du chancelier allemand. Poutine semble progressivement réaliser qu’une attitude de plus en plus radicale ne mènera qu’à la perte du soutien de ses pairs. Le fait que l’Occident n’ait pas perdu son sang-froid a également influencé le ton plus modéré de Poutine.”

Y aurait-il ainsi un rapprochement entre Scholz et Xi Jinping?

“La Chine ne laissera pas tomber la Russie, mais, parallèlement, les relations avec l’Occident ne se sont pas trop détériorées. Pourquoi? Grâce à la distance raisonnable maintenue avec la guerre. Le soutien envers Poutine est resté principalement verbal. La Chine semble également faire preuve de davantage de prudence dans ses discours, se détachant quelque peu de la Russie. Mais je n’appellerai cependant pas cela un rapprochement.”

Nous devons rester pragmati­que avec la Chine et travailler ensemble, là où c’est possible, comme sur les dossiers économi­ques ou internatio­naux, et donc la guerre en Ukraine, par exemple

Professeur de géopolitique, Sven Biscop, UGent et l’Institut Egmont

“Le pouvoir de Xi a pris un tournant lors de son récent congrès de parti, après avoir été désigné pour un troisième mandat. Reste à voir comment cela affectera la relation avec l’UE. Je pense que nous devons abandonner l’idée de pouvoir influencer la politique intérieure de la Chine avec nos sanctions. Xi n’arrêtera pas la répression de son peuple simplement parce que nous le voulons. Nous devons rester pragmatique avec la Chine et travailler ensemble, là où c’est possible, comme sur les dossiers économiques ou internationaux, et donc la guerre en Ukraine, par exemple.”

Macron pense qu’il est important de donner des garanties pour sa propre sécurité à la Russie, ce qui a suscité des vives critiques à Kiev. Qu’en pensez-vous?

“La Russie est responsable de son insécurité. Ce sont eux qui ont déclenché cette guerre, alors qu’aucune menace ne figurait à l’horizon. Si la Russie venait à demander des garanties pour sa sécurité, cela serait hypocrite. Avant la guerre, l’exigence russe de ne pas laisser l’Ukraine intégrer l’OTAN pouvait encore faire partie d’un compromis.”

Aujour­d’hui, il en va des garanties de sécurité de l’Ukraine, et non de la Russie. Je pense que tant que l’Ukraine ne fera pas partie de l’UE et de l’OTAN, elle ne pourra pas rester longtemps viable.

Professeur de géopolitique, Sven Biscop, UGent et l’Institut Egmont

“Les cartes ont depuis été redistribuées. Aujourd’hui, il en va des garanties de sécurité de l’Ukraine, et non de la Russie. Je pense que tant que l’Ukraine ne fera pas partie de l’UE et de l’OTAN, elle ne pourra pas rester longtemps viable. La Russie continuera de déstabiliser le pays d’une manière ou d’une autre.”

“Une adhésion aux deux alliances est toujours sur la table, mais cela reste impossible tant que Moscou continuera d’occuper des parties du territoire ukrainien. Le pays doit également faire de nombreux travaux en interne. Par ailleurs, le processus d’adhésion à l’UE peut, sans la guerre, durer des dizaines d’années. Alors: qu’allons-nous faire entretemps?”

“Nous devons continuer de livrer des armes à l’Ukraine. L’Europe doit, à cet égard, faire davantage d’efforts que les États-Unis. Si jamais un accord est trouvé entre Moscou et Kiev, alors la limitation des armes et des troupes, dans les deux camps, sera de nouveau au centre des discussions. Un tel traité a été conclu à la fin de la Guerre froide, limitant ainsi les capacités militaires de l’Occident et du bloc communiste. Pékin s’est retiré du traité en 2007. Nous avons de nouveau besoin d’un tel cadre.”

7sur7