🇨🇩 Pourquoi la guerre reprend au Congo: “Tout le tableau de Mendeleïev se trouve dans le sous-sol de la région”

🇨🇩 Pourquoi la guerre reprend au Congo: “Tout le tableau de Mendeleïev se trouve dans le sous-sol de la région”

Quel est, au sens le plus strict du terme, le pays le plus riche au monde? Vraisemblablement la République Démocratique du Congo, dont le sous-sol abrite l’ensemble du tableau chimique de Mendeleïev, y compris les ressources naturelles nécessaires à l’informatique du monde entier. Alors que Goma, la plus grande ville de l’est du pays, vient de tomber aux mains des rebelles, ce sont des millions de personnes qui sont en danger, mais aussi tout le rôle du pays dans l’économie mondiale.

Le sol congolais regorge de tout ce que le monde entier désire. Et ça n’est pas nouveau: il y a cent ans, c’était le caoutchouc qui attirait les convoitises coloniales. Aujourd’hui, ce sont le cobalt et le cuivre dans le sud, les diamants au centre et l’or, l’étain et le coltan dans l’est du pays. Une région ravagée depuis des années par la guerre entre l’armée gouvernementale et le mouvement rebelle M23 (Mouvement du 23 Mars), qui, selon les Nations unies, est soutenu par le pays voisin, le Rwanda. Dimanche soir, les rebelles ont conquis la ville de Goma, peuplée de plusieurs millions d’habitants. Les combats ont fait au moins 17 morts et 367 blessées, selon les chiffres recueillis par l’agence de presse française AFP dans différents hôpitaux.

“Les causes du conflit, qui remonte à 1996 – voire à plusieurs décennies auparavant – sont très diverses”, détaille Ken Matthysen, du centre de recherche anversois IPIS. “Des problèmes socio-économiques, des conflits fonciers, des frustrations liées aux négociations de paix et des structures locales du pouvoir en sont à l’origine.” Mais il y a une constante, dans cette guerre interminable: le rôle des ressources naturelles.

Certaines sources estiment que plus de 60 % du coltan mondial se trouve au CongoKen Matthysen

“Ces minéraux sont effectivement très importants”, poursuit Ken Matthysen. “Ils financent de nombreux groupes armés et jouent également un rôle dans la corruption au sein de l’armée congolaise.” Le coltan, par exemple, à partir duquel est extrait le métal essentiel qu’est le tantale, est indispensable pour la fabrication de condensateurs capables de stocker des charges électriques. Sous forme de poudre, on le retrouve dans les smartphones, les ordinateurs portables, les tablettes, les consoles de jeux vidéo et les appareils GPS. “Certaines sources estiment que plus de 60% du coltan mondial se trouve au Congo. En 2023, le pays a officiellement produit 40% du tantale mondial, mais en réalité, ce chiffre est probablement plus proche de 60%, car une grande partie de la production rwandaise proviendrait de la contrebande depuis le Congo.” Avec l’étain et le tungstène (appelé wolfram en néerlandais), le tantale fait partie des “minéraux 3T” extraits dans l’est du Congo. Quant à la valeur totale des ressources dans le sous-sol congolais, l’expert reste prudent. “Mais certaines estimations parlent de 24 milliards de dollars”, commente-t-il.

800.000 réfugiés

L’exploitation minière dans la région reste toutefois largement menée à petite échelle. “Nous avons recensé 790 mines artisanales employant environ 73.000 personnes, où l’extraction se fait encore à la force des bras. Il n’existe qu’un seul site industriel d’envergure”, détaille Ken Matthysen. Goma, bien qu’étant une métropole, n’abrite pas de sites miniers, mais c’est un important centre commercial pour la région.

“La population y a été multipliée par cinq en 25 ans”, contextualise le professeur Koen Vlassenroot (UGent), qui s’y rend plusieurs fois par an. “Beaucoup de personnes ont déserté les zones rurales pour s’y réfugier. La ville est huit fois plus petite que la capitale, Kinshasa, mais ses environs accueillent 800.000 déplacés internes, qui n’ont pas un accès suffisant à l’aide humanitaire. C’est une crise majeure, dans une ville qui est elle-même un nœud stratégique et économique de premier plan.”

Selon les Congolais, Apple nourrit ce conflit armé en exportant, blanchis­sant et utilisant illégale­ment ces “minerais du sang”

Depuis avril de l’année dernière, les rebelles du M23 ont pris le contrôle de la mine de Rubaya, le plus grand centre d’extraction de coltan du pays. “De là, environ 120 tonnes de coltan sont exportées chaque mois, ce qui leur rapporte 800.000 dollars par expédition”, décompte le chercheur anversois. D’autres mines sont également exploitées par des groupes armés.

“Un business très complexe”

“Presque tous sont accusés de violations des droits de l’homme”, rappelle le professeur Vlassenroot. “Sur ces sites, les milices imposent de nombreuses taxes illégales, y compris sur le commerce du bois, le charbon de bois et les produits agricoles. Une partie de l’économie locale est militarisée.” Parallèlement, une compétition internationale est en cours entre la Chine, la Turquie et les Émirats arabes unis. “C’est un business très complexe, avec de nombreux trafics opaques. Pourtant, ces mines offrent également du travail à de nombreux jeunes,” ajoute Koen Vlassenroot.

C’est précisément à cause de ces conflits que le coltan et d’autres minerais en provenance du Congo portent depuis des années un surnom très évocateur: “les minerais de sang”.

“Le gouvernement congolais a même poursuivi Apple en justice en Belgique et en France l’année dernière”, rappelle Koen Vlassenroot. “Selon les autorités congolaises, l’entreprise soutient indirectement un conflit armé en exportant illégalement ces ‘minerais de sang’, en les blanchissant et en les intégrant dans ses appareils. Mais Apple dément ces accusations.”

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