🇧🇪 Un entrepreneur à succès se retrouve au CPAS: “J’ai perdu 50 millions d’euros en six mois”

🇧🇪 Un entrepreneur à succès se retrouve au CPAS: “J’ai perdu 50 millions d’euros en six mois”

Philip Deutz, 57 ans, vit un cauchemar éveillé. Il y a encore deux ans, il était un entrepreneur prospère, à la tête d’une vingtaine de sociétés en Belgique et à l’étranger. L’homme d’affaires flamand avait bâti un empire commercial d’une valeur estimée à 50 millions d’euros. Aujourd’hui, Philip Deutz a tout perdu. L’homme raconte sa descente aux enfers dans les colonnes de Het Laatste Nieuws. “Un administrateur provisoire se versait 20.000 euros par mois avec mon argent.”

Philip Deutz avait une école de pilotage, des sociétés d’aviation, des sociétés immobilières et, joyau de la couronne, sa société de télécommunications, edpnet. Pourtant, le quinquagénaire, qui s’est construit tout seul, est aujourd’hui sans le sou.

Il a dû assister, impuissant, à la vente d’edpnet à Proximus pour un prix dérisoire. “Si je fais le calcul, j’ai perdu 50 millions d’euros en à peine six mois. Rien n’a été fait pour sauver mes entreprises. Tout ce qui les intéressait, c’était de vendre et de gagner de l’argent. Edpnet a été vendue à Proximus pour 21 millions d’euros. Une vente forcée. Inutile de vous dire combien cela aurait pu me rapporter”, souffle-t-il. Philip Deutz a déposé plainte contre le tribunal de l’entreprise de Termonde.

Tout a commencé dans un garage

Philip Deutz nous fait visiter les anciens bureaux d’edpnet dans une maison à Saint-Nicolas. “Comme de nombreuses entreprises informatiques, tout a commencé dans un garage”, explique-t-il. “C’est ici que j’ai commencé à vendre des ordinateurs en 1995, alors qu’internet en était à ses débuts en Belgique. “Nous avons grandi au fil du temps et une vingtaine de personnes travaillaient ici. En 2001, nous avons déménagé dans un bâtiment plus adapté et mes parents ont continué à vivre dans cette maison”, raconte Philip.

“À l’époque, il y avait une forte demande pour un internet de qualité et abordable. Nous avons connu une croissance de 15 à 20 % par an. Mais ils m’ont enlevé le travail de toute une vie. J’y ai tout investi et je ne me suis presque jamais payé. Ces entreprises étaient ma pension. Et soudain, tout a disparu. En à peine six mois, tout a été démoli et il ne reste plus rien », regrette-t-il amèrement.

Philip Deutz a également perdu sa maison, saisie par les huissiers. Il n’a eu d’autre choix que d’emménager avec ses enfants de 10 et 13 ans chez ses parents. Mais la famille pourrait bien se retrouver à la rue car cette maison a elle aussi été mise en vente publique.

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Philip Deutz. © ID/ Sebastiaan Franco

Un cauchemar débuté en 2022

Le cauchemar de Philip Deutz a commencé en 2022, lorsque la banque KBC a annulé ses prêts de manière inattendue et a demandé à la section de Termonde du tribunal de l’entreprise de Gand de nommer un administrateur provisoire. Selon Philip Deutz, cela faisait suite à l’ouverture d’une enquête bancaire menée à l’encontre du directeur financier d’edpnet pour trafic d’êtres humains et prostitution. Ce dernier a été condamné à 18 mois de prison en janvier 2023.

“Nous avons été surpris par la décision de KBC car il n’y avait aucun arriéré”, explique Philip Deutz. “Nous étions en pourparlers avec une autre banque pour reprendre le financement, mais la nomination d’un administrateur provisoire a fait capoter les négociations. Cet administrateur a déclaré ma société en faillite et le tribunal de l’entreprise l’a suivi dans sa démarche. Moins d’une semaine plus tard, cinq de mes entreprises étaient déclarées en faillite. L’audience a duré une demi-heure. Je n’ai jamais eu l’occasion d’élaborer un plan de restructuration”, confie Philip Deutz.

Mais cela ne s’est pas arrêté là. “Ils ont ensuite examiné ce que mes entreprises devaient les unes aux autres. Par exemple, edpnet avait un prêt de 10 ans à rembourser à ma société immobilière. Elle pouvait facilement le rembourser mais l’administrateur a décidé de ne plus payer le loyer et a ainsi demandé un prêt à long terme. C’est comme ça qu’une entreprise fait rapidement faillite”, dénonce Philip Deutz.

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Philip Deutz. © ID/ Sebastiaan Franco

Le magistrat controversé Guido De Croock pointé du doigt

Philip Deutz pointe un homme du doigt, et non des moindres: le magistrat controversé Guido De Croock, président du tribunal de l’entreprise de Termonde. Début août, on apprenait que le parquet général de Gand avait ouvert une enquête suite à plusieurs plaintes, dont certaines concernent l’approche de Guido De Croock qui consiste à nommer d’office un administrateur provisoire pour les entreprises en difficulté et puis à les déclarer en faillite dans la foulée. Selon les plaignants, il s’agit d’une réintroduction de la faillite d’office, qui avait été supprimée du droit belge pour laisser plutôt l’initiative aux créanciers et permettre davantage de sauvetages d’entreprises en difficulté. D’autre part, les plaignants auraient dénoncé le favoritisme de M. De Croock. Ainsi, selon eux, le magistrat confierait le traitement des faillites à un nombre limité de curateurs, souvent les mêmes.

Philip Deutz fait partie des plaignants. “Vous voyez vos propres entreprises se faire vider de leur substance et vous ne pouvez rien y faire. L’administrateur provisoire gagnait bien plus que je n’ai jamais gagné dans ma propre entreprise. Chez edpnet, il se payait 20.000 euros par mois”, fustige-t-il.

Edpnet était le dernier grand acteur indépendant du secteur des télécommunications en Flandre, aux côtés des géants Proximus, Telenet et Orange. L’entreprise comptait 46.000 clients internet et 13.500 clients mobiles, principalement dans la région du Pays de Waes.

“Edpnet a été vendue pour 21 millions d’euros”, poursuit Philip Deutz. “Cet argent se trouve sur un compte quelque part. Les vendeurs ont tous gagné de l’argent, mais mes créanciers n’ont pas vu un centime. Moi non plus d’ailleurs”, peste-t-il.

Système pervers

“C’est un système pervers. On vous ponctionne financièrement, vous ne pouvez rien payer, d’autres décident pour vous”, accuse Philip Deutz, qui a dû s’en remettre au CPAS pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses enfants. “Ma fille cadette est diabétique et a besoin de certains médicaments. J’ai demandé aux administrateurs si je pouvais lui acheter ses médicaments, qui représentaient une somme ridicule, et ils me l’ont refusé.”

Philip Deutz raconte ce qui lui est arrivé de pire. “Moi et mon entourage – mes parents, mon ex-femme, ma petite amie, mes collègues – avons été arrêtés et interrogés. Il y a eu des perquisitions et j’ai passé une nuit en cellule. C’était de l’intimidation pure et dure. Ma petite amie, avec qui je suis resté sept ans, n’en pouvait plus. Je suis complètement brisé”, confie-t-il.

En déposant plainte, Philip Deutz veut mettre en lumière la perversité du système. Je suis loin d’être le seul dans cette situation. Des entreprises parfaitement récupérables ont quand même été déclarées en faillite. Des milliards en valeur économique ont été détruits au profit d’une poignée de curateurs cupides. J’espère que l’on protégera mieux les entrepreneurs”, conclut Philip Deutz.

Philip Deutz. © ID/ Sebastiaan Franco

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