🇺🇸 Présidentielle aux États-Unis: comment Donald Trump tente de conquérir le vote afro-américain

🇺🇸 Présidentielle aux États-Unis: comment Donald Trump tente de conquérir le vote afro-américain

Arguments Ă©conomiques, campagnes publicitaires, dĂ©sinformation sur Joe Biden… Ă€ sept mois de la prĂ©sidentielle, le candidat rĂ©publicain Donald Trump s’efforce de redorer son image auprès des Noirs amĂ©ricains, soutiens traditionnellement fidèles au camp dĂ©mocrate.

« Beaucoup de gens disent que les personnes noires m’aiment bien parce qu’elles ont tellement souffert et Ă©tĂ© discriminĂ©es et qu’elles me voient comme quelqu’un qui a Ă©tĂ© discriminĂ©. » En fĂ©vrier dernier, Ă  la veille des primaires de Caroline du Sud, l’ancien prĂ©sident Donald Trump a soutenu devant la Black Conservative Federation que les Ă©lecteurs noirs Ă©taient plus attirĂ©s par lui après ses multiples batailles juridiques, comparant ainsi ses 91 inculpations pĂ©nales à la discrimination dont ils sont victimes. Pour le candidat rĂ©publicain, deux fois mis en accusation et quatre fois inculpĂ©, ces derniers auraient mĂŞme « adopté » sa dĂ©sormais cĂ©lèbre photo d’identitĂ© judiciaire.

Ces commentaires ont rapidement Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©s comme « racistes » et « insultants » par les dĂ©mocrates qui n’ont pas manquĂ©, comme d’autres, de remarquer la tentative de Donald Trump de redorer son image auprès des Ă©lecteurs afro-amĂ©ricains. « C’est une stratĂ©gie de dĂ©sinformation pour essayer de convaincre les Ă©lecteurs noirs qu’il est comme notre meilleur ami et que nos vies n’ont jamais Ă©tĂ© aussi bonnes que durant sa prĂ©sidence », estime Cliff Albright, cofondateur du collectif Black Votes Matter.

Réforme de la justice pénale, faible taux de chômage…

Des propos nettement moins virulents que ceux profĂ©rĂ©s Ă  l’égard des pays africains, qu’il avait qualifiĂ©s de « pays de merde », ou que lorsqu’il avait menacĂ© d’une rĂ©pression armĂ©e les manifestants antiracistes rassemblĂ©s après le dĂ©cès de George Floyd, un Afro-AmĂ©ricain mort aux mains de la police de Minneapolis en 2020. Au contraire, depuis le dĂ©but de sa campagne, le milliardaire n’a cessĂ© de vanter la situation des Afro-AmĂ©ricains lors de son mandat, s’attribuant systĂ©matiquement le mĂ©rite de l’aide aux universitĂ©s historiquement noires – une initiative du Congrès, et non de l’exĂ©cutif –, l’adoption d’un programme d’incitations fiscales pour les zones dĂ©favorisĂ©es ou encore de la loi First Step Act qui vise, entre autres, Ă  rĂ©duire la surincarcĂ©ration.

Donald Trump s’est aussi félicité du faible taux de chômage des Afro-Américains, qui avait atteint un minimum de 5,3% en août 2019 avant que la pandémie ne frappe. En revanche, le candidat républicain se garde bien de mentionner que cette trajectoire descendante était déjà amorcée pendant la présidence de Barack Obama et qu’elle fut aussi observée sous Joe Biden, avec un taux de chômage descendu à 4,8% en avril 2023, plancher jamais vu depuis 1972.

Le taux de chômage des Noirs américains était faible pendant le mandat de Donald Trump avant que le Covid. En revanche, cette trajectoire descendante était déjà présente lors de la présidence de Barack Obama et le minimum historique a été observé en avril 2023, sous Joe Biden. © Studio graphique FMM

« Il essaie de dire que les Noirs Ă©taient plus susceptibles d’avoir un emploi quand il Ă©tait prĂ©sident en exploitant la façon dont les gens s’en souviennent mais ne contextualisent pas qu’historiquement ce chiffre Ă©tait de plus en plus bas dĂ©jĂ  avant que Trump ne soit prĂ©sident Â», analyse Andra Gillespie, professeure de science politique Ă  l’universitĂ© Emory et spĂ©cialiste de la politique afro-amĂ©ricaine. « L’objectif, c’est d’atteindre le segment des Ă©lecteurs noirs qui pourraient ĂŞtre persuadĂ©s sur la base de questions Ă©conomiques. Â»

Joe Biden, un « raciste vicieux Â»

Cette tentative de sĂ©duire l’Ă©lectorat afro-amĂ©ricain, qui reprĂ©sente 13% des Ă©lecteurs, s’accompagne d’une campagne visant Ă  discrĂ©diter son adversaire, l’actuel prĂ©sident. « Joe Biden s’est avĂ©rĂ© ĂŞtre un raciste très mĂ©chant et vicieux Â», a dĂ©clarĂ© Donald Trump lors de son discours devant la Black Conservative Federation, qu’il a qualifiĂ© de « pire cauchemar de Joe Biden Â».

En parallèle, plusieurs campagnes publicitaires diffusĂ©es sur des stations de radio ciblant la communautĂ© noire s’en prennent au candidat dĂ©mocrate, l’accusant d’être responsable d’une crise du fentanyl causĂ©e par sa politique frontalière et de considĂ©rer les votes noirs pour acquis. Ces publicitĂ©s, financĂ©es par le comitĂ© d’action politique Maga Inc et diffusĂ©es dans les États clĂ©s de GĂ©orgie, de Pennsylvanie et du Michigan, suggèrent que Donald Trump aurait, Ă  l’inverse, honorĂ© ses engagements envers les Ă©lecteurs afro-amĂ©ricains. « Les rĂ©publicains veulent crĂ©er suffisamment de dĂ©sinformation et d’ambiguĂŻtĂ© pour qu’un grand nombre de Noirs ne votent pas pour le prĂ©sident Biden », affirme Cliff Albright, rappelant que des partisans de Donald Trump ont partagĂ© de fausses images d’électeurs noirs soutenant l’ancien prĂ©sident, gĂ©nĂ©rĂ©es par l’intelligence artificielle.

Si elle se fait de plus en plus agressive, cette stratĂ©gie n’est pas nouvelle. En 2016, Donald Trump encourageait les Ă©lecteurs noirs Ă  voter pour lui en leur demandant Â« Qu’avez-vous Ă  perdre ? Â», tout en accusant Hillary Clinton de vouloir donner du travail aux rĂ©fugiĂ©s plutĂ´t qu’aux Afro-AmĂ©ricains. La chaĂ®ne de tĂ©lĂ©vision publique britannique Channel 4 a Ă©galement rĂ©vĂ©lĂ© que la campagne de Trump avait activement cherchĂ© Ă  dissuader 3,5 millions de Noirs amĂ©ricains dans les États clĂ©s de voter en les ciblant dĂ©libĂ©rĂ©ment avec des publicitĂ©s nĂ©gatives d’Hillary Clinton sur Facebook. Lors de l’élection suivante, en 2020, le milliardaire dĂ©voilait son « plan platine Â» destinĂ© aux Noirs amĂ©ricains, qui proposait, entre autres, de dĂ©signer le Ku Klux Klan comme une organisation terroriste et d’accroĂ®tre les investissements dans les communautĂ©s noires. « SĂ©duire l’électorat noir, c’est une vieille stratĂ©gie de Donald Trump. Ce qui change, c’est qu’elle s’affirme de plus en plus et pointe les faiblesses Ă©conomiques de l’administration Biden qui souffre d’une forte inflation Â», assure Andra Gillespie.

Des soutiens grandissants Ă  Trump

Cette stratĂ©gie pourrait mĂŞme porter ses fruits : plusieurs sondages rĂ©cents indiquent que le candidat rĂ©publicain gagne du terrain parmi les Ă©lecteurs noirs. D’après un sondage Quinnipiac rĂ©alisĂ© en fĂ©vrier, Joe Biden devance Donald Trump avec 79% contre 19%, comparĂ© Ă  87% contre 12% en 2020. Un autre sondage menĂ© par le New York Times et le Siena College en novembre a rĂ©vĂ©lĂ© que 22% des Ă©lecteurs noirs dans six États clĂ©s prĂ©voyaient de voter pour Trump en 2024, une proportion encore jamais obtenue pour un rĂ©publicain dans les sondages de sortie des urnes depuis 1980.

« Les sondages ont rarement des Ă©chantillons très importants d’Ă©lecteurs noirs Â», rappelle toutefois Andra Gillespie. Cliff Albright, qui dĂ©nonce l’idĂ©e selon laquelle les Noirs se dĂ©placent vers la droite, affirme quant Ă  lui « ne pas voir ce changement Â» au sein de son collectif.

Si les opinions négatives à l’égard de Donald Trump semblent s’être atténuées depuis 2020, l’ancien président reste très impopulaire parmi les Afro-Américains. Selon un sondage réalisé par le Washington Post et Ipsos en mai 2023, bien que la moitié des Afro-Américains estiment que les politiques du président Joe Biden n’ont rien changé pour eux, 54% d’entre eux seraient « en colère » s’il était élu pour un nouveau mandat présidentiel. Seuls 4% se disent enthousiastes.

Les opinions nĂ©gatives des Noirs amĂ©ricains Ă  l’Ă©gard de Donald Trump se sont attĂ©nuĂ©es depuis 2020. © Studio graphique FMM

Une tentative de « démobiliser » les Noirs démocrates

À l’inverse, bien que les démocrates conservent un avantage considérable sur les républicains parmi les Afro-Américains, le parti bleu s’attire de moins en moins les faveurs de cette minorité. Leur avance actuelle de 47 points – contre 79 en 2008 – est la plus faible jamais enregistrée par Gallup depuis 1999.

Les rĂ©publicains y voient une opportunitĂ© historique : saper l’un des Ă©lectorats dĂ©mocrates les plus fiables. « Si Joe Biden perd Ă  cause des Ă©lecteurs noirs, ce ne sera pas Ă  cause d’une dĂ©fection massive vers le camp rĂ©publicain ou mĂŞme probablement vers le parti tiers, pointe Andra Gillespie. En rĂ©alitĂ©, Donald Trump cherche davantage Ă  les dĂ©mobiliser que de les convaincre de voter pour lui. Ce sont des Ă©lecteurs qui, s’ils se prĂ©sentaient aux urnes, voteraient presque toujours dĂ©mocrate, mais pourraient ne pas le faire cette fois-ci par insatisfaction. »

Selon un sondage de Gallup, si les dĂ©mocrates conservent un avantage sur les rĂ©publicains au sein des adultes noirs amĂ©ricains, leur soutien n’a jamais Ă©tĂ© aussi faible qu’en 2023. © Studio graphique FMM

L’érosion de leur soutien au camp dĂ©mocrate pourrait avoir un effet sismique lors du match entre Joe Biden et Donald Trump, le 5 novembre 2024. Plusieurs États clĂ©s, qui oscillent entre les candidats dĂ©mocrate et rĂ©publicain selon les Ă©lections, comptent d’importantes populations noires comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie. En GĂ©orgie, les Afro-AmĂ©ricains reprĂ©sentent un tiers des Ă©lecteurs Ă©ligibles. « Ce qui est prĂ©occupant, c’est qu’Ă©tant donnĂ© les marges Ă©troites que nous avons historiquement observĂ©es dans ces États, il n’est pas nĂ©cessaire qu’un grand nombre de Noirs restent chez eux pour rĂ©duire les chances de Joe Biden de remporter ces États », avance Andra Gillespie.

En rĂ©ponse, Joe Biden fait tout pour ne pas voir grossir les rangs des partisans du « Blexit Â» –  un mouvement initiĂ© par Candace Owens qui vise Ă  convaincre les Noirs amĂ©ricains de quitter le parti dĂ©mocrate. En aoĂ»t dernier, le prĂ©sident sortant a lancĂ© une campagne publicitaire de 25 millions de dollars diffusĂ©e dans les mĂ©dias historiquement noirs, mettant en avant le faible taux de chĂ´mage, la rĂ©duction de la pauvretĂ© infantile et l’annulation des prĂŞts Ă©tudiants. « Aucune tromperie des mĂ©dias ni aucun racisme libĂ©ral n’influenceront l’esprit des Ă©lecteurs noirs qui voteront en novembre pour des rues plus sĂ»res, un meilleur bien-ĂŞtre financier, une frontière sĂ©curisĂ©e et un rejet total du mandat dĂ©sastreux de Joe Biden Â», a quant Ă  lui dĂ©clarĂ© Diante Johnson, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des conservateurs noirs (BCF).

RFI