🇧🇫 Procès de l’assassinat de Sankara : un verdict diversement apprécié
Le verdict du procès des assassins de Thomas Sankara est tombé mercredi 6 avril après 35 années d’attente. L’ancien président burkinabè et 12 de ses collaborateurs ont été tués le 15 octobre 1987. 14 accusés comparaissaient dans cette affaire. Les principaux sont l’ancien président Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, son chef de la sécurité, jugés par contumace, car ils sont en exil en Côte d’Ivoire. Et le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major personnel de Blaise Compaoré. Ils ont été condamnés à une peine prison à vie pour attentat à la sûreté de l’État, complicité d’assassinat et assassinat avec préméditation. Ce verdict historique ne fait pas l’unanimité, il a d’ailleurs suscité des tensions dans la salle d’audience.
« La patrie ou la mort, nous vaincrons », crie-t-on dans la salle d’audience après l’énoncé du verdict. « Général, nous sommes avec vous », entend-on quelques minutes plus tard. Le verdict du procès donne lieu à bien des interprétations.
Les partisans de Thomas Sankara y voient la fin de l’impunité, une justice burkinabè grandie et une image internationale restaurée. « C’est une victoire de juger un tel crime en Afrique de l’Ouest, 35 ans après les faits » se réjouit Fidèle Toé, ancien ministre du Travail de Thomas Sankara, qui estime que le Burkina « sort grandi de ce procès », même s’il regrette l’absence du « commanditaire de l’affaire. »
Pierre Ouedraogo, président du comité du Mémorial Thomas Sankara, salue une « grande victoire pour le peuple burkinabè et la consolidation les valeurs démocratiques », qui, espère-t-il, « vont permettre que de tels événements n’arrivent plus jamais » ni que les « armes soient utilisées pour liquider des espoirs nationaux, africains, mondiaux ». Le secrétaire général du comité, Luc Damiba, se dit également « satisfait ». « Le droit a été dit », juge-t-il, estimant que c’est « important aussi pour l’histoire du pays et de l’Afrique, car désormais on peut juger les coups d’Etat. »
Parmi les familles des victimes, Aida Kiemdé confie avoir accueilli la décision avec « joie et soulagement ». « La sentence est juste et non sévère, estime la fille de Frédéric Kiemdé, l’un des 12 collaborateurs tués aux côtés de Thomas Sankara. Face à des actes ignobles, il fallait une sentence exemplaire et je remercie la justice burkinabè pour avoir été impartiale ». Elle estime que le verdict l’aidera « à faire le deuil » et à « atténuer les souffrances durant ces 35 ans d’attente ».
Le verdict en lui-même, nous pensons qu’il est approprié. C’est la plus lourde sanction qui a été retenue et c’est ce qu’il fallait. Nous pensons que ça ne peut avoir qu’un impact positif et ça donnera des leçons à tous ceux qui ont de telles intentions de ne pas reproduire ce genre de chose dans notre pays.
Pour d’autres, ce verdict est le clou qui vient enfoncer un peu plus le Burkina dans l’insécurité. « Je voudrais voir le général Diendéré libre, s’indigne Mamadou Bamogo, venu assister à l’audience. Un militaire aguerri doit être sur le terrain, pas en prison.» Déçu par un verdict « très lourd », il juge que cela « aggrave les choses plutôt que de les faire avancer ».
L’avocat Blaise Compaoré, Maître Pierre-Olivier Sur, dénonce pour sa part l’organisation du procès dans « un chaos politique et juridique » et un « simulacre de justice ». Il évoque la possibilité de poursuivre la bataille judiciaire. « Aujourd’hui, soit on laisse les choses faire, on ne fait rien, on attend que cette décision de justice se fasse oublier, soit on forme un recours et on se retrouve devant les juridictions internationales qui, à tout coup, annuleront ce simulacre de verdict. »
L’ancien ministre Ablassé Ouédraogo, qui juge cette décision « plutôt sévère », s’interroge : « la question se pose de savoir si un tel verdict ne va pas augmenter les frustrations, les déceptions de nombreux Burkinabè et ainsi approfondir les divisions ». Le président du parti Le Faso autrement considère que cela « pourrait retarder la réalisation de la réconciliation nationale » et appelle les protagonistes à tourner « définitivement le page » et à travailler « ensemble pour la reconstruction de la paix, de la stabilité et de la sécurité ».
Certains voient aussi dans cette décision de justice la préservation du seul acquis de l’insurrection de 2014, qui a mis un terme au régime de Blaise Compaoré. La démocratie qui a suivi ayant été renversée par un coup d’État en janvier. « Il faut poursuivre sur cette voie, explique Germaine Pitroipa, amie de Thomas Sankara. On veut voir maintenant les procès des assassins du journaliste Norbert Zongo et de l’étudiant Dabo Boukari. »
RFI