Le pari risqué du Hamas
En prenant les alentours de Jérusalem pour cible pour la première fois depuis 2014, le mouvement islamiste palestinien au pouvoir dans la bande de Gaza joue gros.
De Jérusalem à Gaza, il n’y a parfois qu’un pas. Le Hamas l’a rappelé lundi en s’invitant dans la crise qui agite la ville trois fois sainte depuis plusieurs jours. Le mouvement islamiste a lancé lundi des roquettes en bordure de Jérusalem pour la première fois depuis 2014, alors qu’une révolte palestinienne, durement réprimée, est en cours depuis plusieurs jours dans la partie est de la ville – territoire occupé par Israël – en raison de la menace d’expulsion qui pèse sur plus d’une dizaine de familles du quartier de Cheikh Jarrah au profit de colons juifs. « Le Hamas envoie ici un message aux Israéliens qui est que Jérusalem est une ligne rouge », observe Hamada Jaber, consultant au Palestinian Center for Policy and Survey Research, basé à Ramallah.
Le Hamas indiquait hier avoir lancé 137 roquettes en « cinq minutes » sur la ville israélienne d’Ashkelon, au nord de la bande de Gaza, ainsi que sur la ville voisine d’Ashdod, faisant deux morts, ciblant également la ville de Jérusalem. De son côté, l’armée israélienne multiplie les raids aériens contre l’enclave palestinienne, sous blocus depuis 2007. Au moins vingt-six Palestiniens, dont plusieurs enfants et deux commandants du second groupe islamiste armé de la bande de Gaza, le Jihad islamique, ont trouvé la mort depuis lundi selon le dernier bilan du ministère local de la Santé communiqué hier après-midi, le plus important depuis novembre 2019.
Un jeu dangereux
En s’attaquant directement à Jérusalem, le mouvement islamiste joue un jeu dangereux alors qu’il fait peser le risque de représailles de grande ampleur par Israël. La dernière guerre entre les protagonistes date de 2014, et depuis, malgré des escalades récurrentes, les deux parties tentent d’éviter d’aller trop loin pour ne pas répéter un scénario dont personne ne sortirait gagnant.
Mais le Hamas semble vouloir profiter de l’atmosphère de révolte qui anime la population palestinienne sur tout le territoire pour se positionner comme le principal mouvement de résistance à Israël. « À Jérusalem, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie ou encore dans les territoires palestiniens en Israël, la lutte commune affichée par les Palestiniens est inédite », confie Hamada Jaber.
Les élections législatives palestiniennes de mai, les premières en 15 ans, ont été reportées à une date ultérieure qui n’a pas été fixée par le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, alors que le Hamas comptait sur ce scrutin pour retrouver sa légitimité et obtenir une nouvelle base de soutien en Cisjordanie. La séquence actuelle permet toutefois au parti de renforcer sa popularité en comparaison de celle de l’AP, très critiquée par les manifestants. L’Autorité palestinienne, qui avait prétexté l’impossibilité pour les habitants de Jérusalem-Est de participer au scrutin afin de reporter le vote, craignant d’en sortir affaiblie, paraît plus dépassée que jamais. « Il est intéressant, et non surprenant, de voir qu’il y a eu une répression des manifestations palestiniennes en Cisjordanie par l’Autorité. Celle-ci craint un mouvement populaire de masse contre les Israéliens qui pourrait contester par là même son leadership et le statu quo », observe Yara Hawari, analyste au centre d’analyse politique al-Shabaka. « L’AP est la partie la plus faible au regard des récents événements. La résistance populaire, en particulier en Cisjordanie, n’a aucun avenir avec le leadership actuel car les Palestiniens ne lui font pas confiance », explique Hamada Jaber.
L’Autorité palestinienne ne semble pas cependant la seule en difficulté alors que l’impossibilité de former un gouvernement israélien plonge encore plus le pays dans la crise. Il y a une semaine, le Premier ministre israélien sortant Benjamin Netanyahu a échoué à former un cabinet dans les délais prévus, laissant le champ libre à ses adversaires. Cependant, il pourrait tabler sur les récents événements pour revenir à la charge. « Comme à chaque crise, Benjamin Netanyahu pourrait se présenter comme le seul capable de sortir Israël de cette impasse, ce qui pourrait fonctionner », estime Yara Hawari. Alors que le mois de ramadan se clôt dans le sang, plusieurs observateurs estiment que la situation pourrait s’aggraver dans les jours à venir. « Je pense que les événements ne vont qu’empirer », estime Hamada Jaber.
Source : L’orient du jour