Immigration: «L’administration Biden a l’opportunité de défaire le mal du passé»

Immigration: «L’administration Biden a l’opportunité de défaire le mal du passé»

Dès son premier jour à la Maison Blanche, Joe Biden a pris le contre-pied de Donald Trump en matière d’immigration : suspension de la construction du mur à la frontière mexicaine, fin du « muslim ban », moratoire de 100 jours sur les expulsions, promesse de régularisations massives de 11 millions de sans-papiers. Ce mardi 2 février, le nouveau président américain doit annoncer de nouvelles mesures. De nombreuses associations de migrants ont immédiatement applaudi ces décrets tout en restant prudentes. C’est le cas d’Edwin Carmona-Cruz, conseiller légal pour personnes en situation irrégulière en Californie et responsable au sein du « California Collaborative For Immigrant Justice », une coalition d’organisations de défense des migrants.

RFI: Après quatre années d’une politique farouchement anti-immigration de l’administration Trump, le nouveau plan immigration annoncé par Joe Biden sonne-t-il comme un soulagement pour vous ?

Edwin Carmona-Cruz: Je suis soulagé mais je reste très prudent. Car quelle que soit l’administration au pouvoir, républicaine ou démocrate, de nombreuses mesures punitives demeurent. Nous sommes en pleine pandémie et des milliers de personnes sont actuellement détenues dans des centres de rétention partout dans le pays. En Californie, plus de 50 organisations y compris la mienne et l’ACLU [American Civil Liberties Union, la principale ONG de défense des libertés aux États-Unis, NDLR] demandons que tous les détenus soient libérés immédiatement. Ce nouveau plan Biden sur l’immigration et les régularisations administratives qui l’accompagnent ne sont qu’un volet d’un système d’immigration beaucoup plus large aux États-Unis.

Pour autant, la grande bonne nouvelle du plan Biden sur l’immigration c’est son inclusivité avec la promesse de régulariser non seulement les bénéficiaires du DACA [qui protège les jeunes clandestins arrivés sur le sol américain avant 16 ans, NDLR], mais aussi les millions de personnes qui vivent aux États-Unis depuis de nombreuses années en situation irrégulière. C’est un grand soulagement pour de nombreux membres de ma propre famille qui vont bénéficier directement de ce nouveau plan Biden. Néanmoins, nous ne connaissons pas encore clairement les critères pour bénéficier de ces régularisations administratives.

Edwin Carmona Cruz, conseiller légal pour personnes en situation irrégulière en Californie et responsable au sein du « California Collaborative For Immigrant Justice », une coalition d’organisations de défense des migrants (janvier 2021). © Eric de Salve / RFI

Ce mardi, Joe Biden doit annoncer le lancement d’une task force censée notamment réunir plus de 600 enfants toujours séparés de leurs familles par l’administration Trump. Pensez-vous que les États-Unis en ont fini avec le traitement brutal des migrants et des sans-papiers ?

Je pense que cela va continuer. L’ICE [agence fédérale de police douanière et de contrôle des frontières, NDLR], la police anti-immigration a été créée en 2003 avec le Département de la Sécurité intérieure pour répondre à la peur après les attaques du 11-septembre. Ces policiers ont été formés pour arrêter et placer en détention le maximum de personnes. Ils ont été formés pour séparer des milliers de familles et les expulser. Ils vont donc continuer à faire ce travail. Désormais l’administration Biden va sans doute leur demander plus de comptes. Mais je suis sceptique car les républicains s’opposent déjà au plan immigration de Biden dont nous ne connaissons même pas encore le contenu en détail.

Nous savons que ce sera une longue bataille au Congrès et les démocrates ont une faible majorité. Dès son arrivée au pouvoir Joe Biden a décrété un moratoire de 100 jours sur les expulsions mais ce moratoire est actuellement bloqué et contesté devant la justice du Texas. Par ailleurs, l’administration Biden est une chose mais dans le même temps, en Californie par exemple, il y a de nombreux comtés où les élus et les officiels locaux partagent exactement les mêmes opinions que l’administration Trump. Et eux sont toujours en poste. 

Pensez-vous néanmoins que les expulsions, notamment de personnes vivant depuis des années aux États-Unis, vont diminuer avec la nouvelle administration Biden ?

L’administration Biden a l’opportunité de défaire le mal du passé. Mais parmi les gens que j’aide, les membres de ma famille ou mes amis en situation irrégulière, la peur est encore permanente. Que ce soit sous l’administration Trump, Obama ou maintenant Biden, si vous êtes sans-papiers, vous avez toujours une cible dans le dos. L’administration Obama a expulsé un nombre record de personnes. C’est vrai, sous Trump, la consigne prioritaire était d’arrêter et d’expulser tous les immigrés en situation irrégulière mais cela a donné lieu à un travail incroyable de milliers de militants locaux qui sont parvenus à réduire la coopération entre l’ICE et la police locale et donc à limiter le nombre d’arrestations.

Du coup, même si pendant les quatre dernières années, l’administration Trump a été l’une des administrations les plus radicales, sous laquelle tout immigré était en danger, malgré cela, grace au travail des militants à travers tout le pays, le nombre des expulsions n’a pas été aussi élevé que sous l’administration Obama. Ainsi, avec Biden, oui, c’est le soulagement général, les gens sont un peu plus à l’aise. Mais tant qu’il n’y aura pas de régularisations, les personnes en situation irrégulière resteront dans la peur. 

RFI