Donald Trump nomme la juge conservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême
Le président américain Donald Trump a officialisé samedi sa volonté de voir la juge Amy Coney Barrett remplacer Ruth Ginsburg à la Cour suprême des États-Unis. Cette femme, mère de famille nombreuse, coche toutes les cases aux yeux de la droite religieuse américaine. Mais son profil ultra-religieux pourrait aussi servir d’épouvantail pour l’électorat modéré, à six semaines de la présidentielle.
Donald Trump a fait son choix. Le président américain a confirmé samedi 26 septembre son souhait de voir Amy Coney Barrett succéder à Ruth Ginsburg à la Cour suprême des États-Unis, après le décès de cette dernière le 18 septembre. Elle avait été la première des candidates pour ce poste à être reçue par le Président à la Maison Blanche.
« Je me la réserve pour [remplacer] Ruth Ginsburg ». C’est ce que le président américain, Donald Trump, avait confié à ses conseillers à propos de la juge conservatrice dès 2018, la dernière fois qu’un poste à la Cour suprême s’était libéré. Et quand Donald Trump a quelque chose en tête, en général, il le fait.
« Le dogmatisme vous habite profondément »
Pour l’aile la plus conservatrice du parti républicain, l’éventuelle arrivée d’Amy Coney Barrett à la Cour suprême serait le couronnement du long travail de refaçonnage de l’appareil judiciaire sous l’ère Trump. Cette femme de 48 ans coche, en effet, toutes les cases de l’aile droite des conservateurs.
Son CV juridique est inattaquable. Elle est l’une des titulaires les plus respectée de la prestigieuse université de droit de Notre Dame, dans l’Indiana, où elle a été nommée trois fois « enseignante de l’année » depuis 2014. Avant cela, elle avait travaillé pour certains des juristes et juges conservateurs les plus célèbres du pays, comme Antonin Scalia, qui a été le doyen de la Cour suprême américaine.
Depuis son arrivée à la Cour d’appel du 7e circuit (compétente pour l’Illinois, l’Indiana et le Wisconsin) en 2017, elle s’est aussi attirée le respect de ses pairs. Ils lui reconnaissent sa parfaite maîtrise des arcanes du droit et sa capacité à rester dans les clous juridiques sans rien renier, pour autant, de ses profondes convictions religieuses et conservatrices, rappelle le ScotusBlog, un site couvrant l’actualité de la Cour suprême américaine.
Mais au-delà de son pédigrée juridique impeccable, c’est surtout Amy Coney Barrett, la fervente catholique, que les milieux ultrareligieux américains veulent voir succéder à Ruth Ginsburg. Elle est devenue la coqueluche de cet électorat très important aux yeux de Donald Trump.
Son baptême politique en tant qu’égérie de la droite religieuse remonte à 2017, lors son audition pour le poste de juge d’appel, qu’elle occupe toujours. Les démocrates qui n’en voulaient pas à cause de son profil trop anti-avortement, l’avaient alors violemment critiquée, lui reprochant « une histoire personnelle suggérant qu’elle ferait prévaloir ses convictions religieuses sur tout le reste ». La sénatrice californienne Diane Feinstein avait même ajouté : « Le dogmatisme [religieux] vous habite profondément ».
Une déclaration qui a fait d’Amy Coney Barrett, pour les Américains les plus religieux, la victime par excellence de la « bigoterie anti-religieuse » des libéraux américains. Des T-shirts et des mugs ornés de cette phrase avaient même été confectionnés et mis en vente, raconte le New York Times.
« Handsmaid’s Tale »
Il faut dire qu’elle a sa foi chevillée au corps. Celle qui, avec son mari, élève sept enfants, dont deux adoptés à Haïti, porte haut les valeurs familiales si chères à cette frange de la population. Elle participe activement à la vie communautaire de sa ville, South Bend, où elle assiste régulièrement aux matchs de football américain de l’équipe locale.
Elle est aussi liée à un groupe religieux à la réputation sulfureuse, baptisé les People of Praise. Amy Coney Barrett n’a jamais confirmé être membre de cette communauté catholique, mais son père et celui de son mari en étaient des cadres dirigeants, a révélé le New York Times. Ce groupe, qualifié de sectaire par certains, applique des principes de vie qui ne sont pas sans rappeler ceux dépeints dans l’œuvre dystopique « The Handmaid’s Tale » (La Servante écarlate).
Comme dans la série, les membres doivent jurer obéissance à la communauté, et chacun se voit assigner un tuteur. Ces guides ont une vaste influence sur la vie de leur disciple, puisqu’ils ont un leur mot à dire sur leurs fréquentations amoureuses, leur choix de carrière, le lieu de résidence ou encore la décision d’acheter ou non un bien, raconte le New York Times.
La proximité d’Amy Coney Barrett avec cette communauté est devenue un angle d’attaque privilégié pour les démocrates depuis qu’elle fait partie des candidats sérieux à un poste à la Cour suprême. « C’est sûr que ce genre de groupe peut parfois être tellement envahissant qu’il devient difficile pour un membre de conserver son indépendance d’esprit », résume Sarah Barringer Gordon, professeur d’histoire du droit américain à l’Université de Pennsylvanie, interrogé par le New York Times.
Détricoter le droit à l’avortement ?
La droite religieuse passera probablement l’éponge sur ces liens avec un groupe pour le moins excentrique tant que son agenda politique sera défendu à la Cour suprême par leur championne. À commencer par l’épineuse question du droit à l’avortement. Et Amy Coney Barrett n’a jamais caché qu’elle y était hostile. « Sa voix, en tant que femme, aura sûrement plus de poids en matière que celle d’un homme », souligne le Wall Street Journal. Mais durant sa carrière de juriste, elle a toujours affirmé qu’elle respecterait les précédents de la Cour suprême en la matière. Autrement dit, elle ne compte pas remettre en question le principe même du droit à l’avortement si elle devenait juge à la Cour suprême.
Mais elle pourrait contribuer à la détricoter. Elle a, en effet, écrit des avis divergents à certains jugements en faveur du droit à l’avortement qui indique sa conviction que les États ont une certaine latitude pour restreindre le recours à cette opération, rappelle le Scotusblog.
Elle est aussi très attachée à un autre cheval de bataille des conservateurs : le droit de posséder une arme. Amy Coney Barrett est ce qu’on appelle aux États-Unis une « originaliste », c’est-à-dire qu’elle interprète la Constitution en fonction de ce qu’elle pense être la volonté des pères fondateurs. Elle a appliqué cette doctrine dans un cas, en 2019, qui lui a valu les louanges du lobby des armes à feu. Elle s’était alors désolidarisée du reste de la Cour d’appel qui avait jugé qu’un homme avec un casier judiciaire n’avait pas le droit de détenir une arme. Pour Amy Coney Barrett, si les auteurs de la Constitution ne voulaient certes pas laisser une arme entre les mains d’un homme « dangereux », un casier judiciaire ne signifiait pas automatiquement que la personne était dangereuse avec une arme.
Amy Coney Barrett a donc toutes les qualités pour « faire bouger les lignes de la bataille culturelle », s’enthousiasme The Federalist, un site conservateur qui milite pour sa candidature. Mais il y a aussi un gros hic qui, en cette période de campagne électorale, pourrait lui être fatal. Ses atouts aux yeux des évangélistes pourraient devenir des handicaps pour les électeurs plus modérés dont Donald Trump va avoir besoin s’il veut espérer être réélu. Si elle était nommée, « on ne parlerait plus que d’avortement jusqu’à l’élection, ce qui galvaniserait les démocrates et nous empêcherait d’être audible auprès des électeurs moins sensibles à cette question », craint un cadre du parti républicain qui a préféré gardé l’anonymat, interrogé par le Washington Post.
Source: Seneweb