JO de Tokyo 2021 : l’Italien Lamont Marcell Jacobs, un outsider nouveau roi du 100 mètres

JO de Tokyo 2021 : l’Italien Lamont Marcell Jacobs, un outsider nouveau roi du 100 mètres

Né au Texas d’un père américain et d’une mère italienne, le sprinteur italien de 26 ans a créé la sensation en devenant champion olympique, dimanche 1er août. Il succède à Usain Bolt, triple tenant du titre.

L’épreuve reine de l’athlétisme, le 100 mètres, est-elle devenue un rendez-vous d’outsiders ? Si l’on s’en tient au déroulement de la finale olympique, dimanche 1er août à Tokyo, la course traditionnellement la plus attendue des JO a perdu de son pouvoir d’attraction. Plus que jamais orpheline de son roi, le Jamaïcain Usain Bolt. Où sont les gros bras de la ligne droite, les cadors des pistes, ceux qui remplissent les stades ?

Bien malin celui qui avait pu anticiper le plateau inattendu de finalistes et encore plus bienheureux celui qui aura misé sur le bon sprinteur. Triple tenant du titre, Usain Bolt a pourtant factuellement un successeur : il s’appelle Lamont Marcell Jacobs et sa cote auprès des bookmakers anglais a dû rendre riches certains de leurs clients.

Ronald Pognon, ancien recordman de France du 100 mètres, l’avait un peu anticipé : « Quand j’ai vu sa demi-finale, j’ai dit : “Tiens voilà l’outsider qui risque de gagner cette course.” Cela fait du bien à l’athlétisme européen. » Jacobs est le premier champion olympique européen de la distance depuis le Britannique Linford Christie, en 1992.

« Je ne sais rien de lui. Ça m’a vraiment étonné »

Au cours de cette soirée japonaise irréelle, le sprinteur italien – né au Texas d’un père américain et d’une mère italienne – a battu par deux fois le record d’Europe. Il l’a d’abord amélioré en demi-finales dimanche, en courant en 9 secondes 84, puis en finale en 9 secondes 80. Il a devancé l’Américain Fred Kerley (9 secondes 84) et le Canadien Andre De Grasse (9 secondes 89), déjà troisième à Rio, en 2016.

Son sacre a surpris jusqu’à ses concurrents. A commencer par le médaillé de bronze, qui l’a appelé « the Italian guy » devant les journalistes. « Je ne sais rien de lui. Ça m’a vraiment étonné. Félicitations, a déclaré Andre De Grasse. C’est la première fois que je lui parlais. Je ne sais pas quel est son niveau d’anglais, il est italien, mais on va se parler dans le futur, c’est certain. »

Depuis la retraite de la « Foudre » après les Mondiaux de Londres, en 2017, avant chaque événement, le petit jeu est le même. Désigner – ou plutôt tenter de désigner – un successeur à l’ex-idole jamaïcaine.

A Rio, le prometteur Canadien Andre De Grasse s’était glissé, à 21 ans, dans ce costume avec une médaille de bronze. Fragilisé entre-temps par des blessures, il est parvenu à monter à nouveau sur un podium (3e aux championnats du monde en 2019, à Doha), mais jamais à triompher dans l’épreuve du 100 mètres d’un grand championnat. Son heure n’est pas encore venue.

Comme tous les ans, les regards se sont aussi tournés naturellement vers les Etats-Unis. Le plus rapide des bilans mondiaux s’appelait Trayvon Bromell, 9 secondes 77, et il faisait figure cette saison de favori idéal. Repêché au temps en séries, il n’a pas franchi le cap des demi-finales, dimanche.

Nouvelle star annoncée du sprint, sacré champion du monde du demi-tour de piste il y a deux ans, l’Américain Noah Lyles avait juré qu’il visait le doublé olympique 100 mètres-200 mètres au Japon. Patatras, il a été sorti en juin lors des redoutables sélections américaines. A Tokyo, il devra se contenter d’assurer – a priori – la succession du 200 mètres.

Une grande homogénéité entre sprinteurs

Rapide sur la piste, même si sa personnalité ne fera jamais de lui une vedette, l’Américain Christian Coleman pensait peut-être entamer un règne ou du moins un mandat honnête lorsqu’il a remporté la médaille d’or mondiale au Qatar.

Mais s’il avait échappé, avant ce titre et ce grâce à la célérité de ses avocats, à une suspension pour trois manquements aux obligations de localisation dans le cadre des contrôles antidopage, il n’a pas échappé une deuxième fois à la sentence, prononcée en octobre 2020. Suspendu d’abord pour deux ans, puis pour dix-huit mois par le TAS, le Tribunal arbitral du sport, il a pris des vacances forcées.

Les impatients essayeront sans doute de faire du jeune prodige américain Erriyon Knighton, qualifié à seulement 17 ans pour le 200 mètres, le prochain Bolt. Ce serait oublier que le Jamaïcain lui-même avait mis quelques années à lancer sa domination, alors qu’il était attendu comme le nouveau souverain du sprint dès 2004.

Cette saison, ils étaient 21 sprinteurs à avoir couru un 100 mètres sous les 10 secondes ; sept sous les 9 secondes et 90 centièmes avant les JO. Et deux de plus après ce soir : le Chinois Su Bingtian (9 secondes 83 en demi-finales) et, donc, le nouveau champion olympique, Lamont Marcell Jacobs. Une incroyable homogénéité entre sprinteurs, sans qu’aucun domine vraiment.

« Chez les hommes, on ne sait pas qui peut gagner. Les huit finalistes le peuvent. On n’avait pas vu ça depuis les Jeux de 1992 peut-être, expliquait, avant la course dimanche, Pierre-Jean Vazel, ancien entraîneur de la sprinteuse française Christine Arron. Chaque année, on présente le nouveau Bolt, mais il n’y en aura pas un de sitôt. Personne dans l’histoire n’avait gagné avec une telle marge. »

Andre De Grasse y voyait, lui, un atout : « Ça montre que notre sport va dans la bonne direction, parce que personne ne sait qui va gagner. Chacun d’entre nous le pouvait ce soir. » Pour d’autres, comme Pognon, c’est plus contrasté : « Ça fait perdre un peu d’éclat au 100 mètres. C’était un peu le désert cette année. »

Domination jamaïcaine chez les femmes

Le contraste est saisissant avec le 100 mètres féminin, où la Jamaïcaine Elaine Thompson-Herah a martyrisé la concurrence, samedi, en battant le record olympique en 10 secondes et 61 centièmes, deuxième meilleure performance de tous les temps. Derrière elle, ses deux compatriotes n’ont pas démérité, avec des temps canons : Shelly-Ann Fraser-Pryce (10 secondes 74) et Shericka Jackson (10 secondes 76).

« Avant cette finale, les deux premières étaient déjà chacune double championne olympique. Elles ont un niveau extraordinaire depuis des années et sont déjà des athlètes mythiques », relève Pierre-Jean Vazel.

Mardi 3 août, la revanche dans l’épreuve du 200 mètres chez les femmes sera l’un des temps forts des épreuves d’athlétisme. Le record de la controversée sprinteuse américaine Florence Griffith-Joyner, 21 secondes et 34 centièmes, qui tient toujours depuis le 29 septembre 1988, est en danger.

Une nouvelle génération de chaussures adoptées par les sprinteuses – technologie venue du demi-fond et du fond – qui permettraient de gagner « presque 1 dixième sur 100 mètres », selon Pierre-Jean Vazel.

Les sprinteurs en sont, eux aussi, en majorité équipés. Pourtant, ils restent malgré tout à des années-lumière des records de leur écrasant prédécesseur, Usain Bolt. Sans rien retirer à sa médaille d’or, Lamont Marcell Jacobs n’est sans doute qu’un successeur ponctuel.

Le Monde