🇸🇳 Digitalisation du dispositif sécuritaire à l’UCAD : Bons points et failles d’un système

🇸🇳 Digitalisation du dispositif sécuritaire à l’UCAD : Bons points et failles d’un système

Depuis le 04 octobre dernier, le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), sous la supervision du département d’informatique, a donné le ton de la digitalisation du dispositif sécuritaire afin d’éradiquer totalement la violence dans l’espace universitaire. Deux mois plus tard, les étudiants relèvent les failles de ce système qui impacte négativement le business alentour.

L’innovation est de taille et elle en enchante plus d’un. Depuis le 4 octobre dernier, pour entrer à l’Ucad, il faut montrer patte blanche et badge pour accéder au campus universitaire de Dakar. Une mesure prise par le Centre des œuvres universitaires de Dakar pour éradiquer la violence au sein de l’espace universitaire et qui a reçu l’onction du corps estudiantin. Modou Diagne, étudiant en Master 2 en contentieux des affaires en droit maritime à la faculté des sciences juridiques et politiques, applaudit. «Ces mesures sécuritaires viennent à leur heure. Elles rassurent les étudiants et rendent le campus social plus vivable. Le campus social a changé de visage. Par conséquent, les étudiants ont changé de comportement. Parce qu’avant d’entrer dans l’espace universitaire, le système d’enrôlement est mis en place pour obliger les apprenants à se présenter avec leurs cartes d’étudiants qui sont soumises à un contrôle strict par les vigiles.» Des agents de sécurité qui prennent au mot les consignes à eux édictées. Dans ce temple du Savoir, les non étudiants sont obligés de laisser à la porte leur carte d’identité nationale, leur numéro de téléphone, en plus des questions qui leur sont posées. C’est par la suite qu’une carte avec la mention «visiteur», sorte de laissez-passer leur est remise.

Un frein aux multiples agressions

En ce jeudi, le campus social de l’université grouille d’activités. A l’ombre d’un arbre, un groupe de jeunes rappeurs tiennent une Battle. Le public encourage les différents protagonistes dans des applaudissements nourris. Les bancs publics qui longent le couloir menant jusqu’au pavillon A, sont noirs de monde. Dans le hall de ce pavillon, il faut présenter la carte d’étudiant ou la carte visiteur pour accéder aux locaux. Des centaines de cartes sont exposées sur la table. Le décor est le même au pavillon H réservé aux filles. Nafissatou Ndiaye est étudiante à la Faculté de Sciences. Pour la jeune fille, ces mesures sécuritaires sont une bénédiction. «Les scènes de violences de l’année passée avaient mis le campus social sens dessus-dessous. Aujourd’hui, nous ne pouvons que magnifier ces nouvelles mesures qui constituent un remède aux multiples agressions dont sont victimes les étudiantes. Qui, pour la plupart, profitent du calme nocturne pour réviser au campus pédagogique. L’année passée, de nombreuses étudiantes ont été agressées sur le chemin du retour. Parce qu’entre le campus pédagogique et le campus social, il peut se passer beaucoup de choses.»

Le ver est dans la…carte 

Cependant, même si sa mise en place est bien appréciée par les étudiants, le dispositif présente des failles. Certains étudiants véreux, soucieux de passer entre les mailles du filet, usent d’artifices pour faciliter l’entrée à certains de leurs amis, non détenteurs de cartes. Comment ? En trafiquant les numéros de cartes d’étudiants pour contourner le dispositif. Pour ces étudiants, le deal consiste à communiquer son numéro d’étudiant à un camarade. Il suffit juste à ce dernier de mémoriser les chiffres de la carte pour pouvoir accéder à l’espace universitaire. Car les numéros sont fichés dans la base de données intégrée au scanner. Et par ce subterfuge, les étudiants passent, sans être inquiétés, les radars des vigiles.  La digitalisation du dispositif sécuritaire, régi par le département d’informatique de l’université, montre ainsi ses premières limites. Là où les vigiles préposés au contrôle n’y voient que du feu. M. Ngom, vigile bodybuildé, s’est fait rouler comme un débutant. Concentré sur son smartphone, le bonhomme ne prête attention qu’au léger bip émis par le scanner. Le signal qui ouvre l’accès au campus pour l’étudiant en règle. Il dit : «La digitalisation du système de contrôle nous facilite le travail. Il suffit que l’appareil de contrôle sonne pour prouver que l’étudiant est en règle. Cependant, les étudiants sont très nombreux, et de ce fait, je ne peux pas passer mon temps à dévisager et identifier tous ceux qui passent.» Assis sur un banc public en face du pavillon D, El hadji Diagne, étudiant au département de philosophie, souligne avec insistance les failles du système de contrôle. «Les étudiants ont compris que les vigiles se contentent tout simplement de scanner les cartes. Ils ne prennent pas le temps de dévisager les étudiants. Et certains étudiants profitent de ce manquement pour passer leurs numéros de carte d’étudiant à leurs camarades qui ont oublié leur carte chez eux. D’autres passent leurs numéros à des amis ou à des visiteurs. Les gens peuvent emprunter des cartes et facilement ils entrent dans l’espace universitaire». Face aux entourloupes de certains étudiants, l’administration recommande aux vigiles d’être plus regardants, tout en évitant toute épreuve de force. M. Ngom, vigile : «L’administration nous a demandé d’éviter les rapports de force avec les étudiants afin de préserver notre boulot. C’est vraiment difficile, car très souvent, les étudiants se rebellent contre ce mode de contrôle surtout de 12 H à 14 h. La pression que nous subissons est énorme.». Autre bémol, les vols. Malgré les nouvelles mesures, les étudiants continuent de se plaindre de larcins et de l’occupation de certaines chambres par les non ayants droit. Pape Abdoulaye Touré : «Le campus est rempli de non ayants droit qui continuent à occuper illégalement des chambres. Il faut plus de rigueur dans le contrôle.» Pour ne pas donner l’impression que ces mesures ne s’appliquent qu’à l’entrée. 

MOUSSA THIOMBANE, CHEF DU DEPARTEMENT INFORMATIQUE DU COUD : «Depuis la mise en place du dispositif, 500 étudiants ont été pris en faute»

«Nous reconnaissons qu’il existe des choses à améliorer afin de rendre le système de contrôle plus performant. Mais le grand problème que rencontrent les vigiles, c’est le nombre de visiteurs, car nous pouvons recevoir jusqu’à 5 000 visiteurs par jour. Souvent, il arrive que les étudiants oublient leur carte. Mais dans ce cas de figure, nous demandons aux étudiants de donner leurs numéros, car nous avons toutes les informations. Malheureusement, certains étudiants s’adonnent au trafic de numéros de carte. Certains échappent à notre vigilance, la plupart sont pris et depuis octobre, quelque 500 étudiants ont été pris en faute. Dans ces cas, aucune sanction n’est encore prévue. Nous nous contentons de les renvoyer chez eux. Des mises à jour sont en cours, car aucun système de contrôle n’est parfait. Mais de manière générale, nous pouvons dire que nous sommes satisfaits à 95%.»

REPERCUSSION DU NOUVEAU DISPOSITIF : L’activité économique tire la langue 

Même s’il engrange de bons points, ce nouveau dispositif sécuritaire ne fait pas que des heureux. Du côté du petit commerce établi à l’intérieur du campus, on tire la langue. Les commerçants qui ont leur échoppe au sein du campus, déplorent la baisse drastique de leur chiffre d’affaires. Nestor, un jeune commerçant, évoluant dans la photocopie des documents, commence à subir les contrecoups de ce dispositif. «Je comptais une clientèle qui venait aussi bien du campus que des lycées comme Maurice Delafosse ou Lamine Gueye. Ils venaient faire la photocopie de leurs documents, mémoires et fascicules, car la page leur revenait moins chère, ici. Mais avec ces nouvelles mesures, ils ne peuvent plus accéder librement au campus et notre business en pâtit. Je pouvais tirer jusqu’à 4 000 copies par jour pour un montant de 60 000 FCfa. Mais là, difficile de rentrer avec 20 000 Fcfa. Même les commerçants qui venaient pour leurs factures se font rares car les véhicules non affiliés au Coud sont interdits d’entrée.» Même rengaine du côté des gargotières établies à l’entrée de l’Ucad. Kiné Diop a vu son chiffre d’affaires dégringoler. «Avec les contrôles intempestifs, les étudiants qui constituaient le gros de notre clientèle, ont la flemme de sortir pour venir se restaurer et donc, cela se ressent sur notre chiffre d’affaires. Là, nous nous contentons des chauffeurs et coxeurs et ils sont infimes.»

Maxime DIASSY