Vaccins contre le Covid-19 : le mauvais procès fait à AstraZeneca

Vaccins contre le Covid-19 : le mauvais procès fait à AstraZeneca

Les décisions prises par plusieurs États, depuis mercredi, de suspendre le recours au vaccin contre le Covid-19 d’AstraZeneca sont liées à une trentaine de cas de thromboses chez des individus récemment vaccinés. Mais rien ne prouve que ces cas relèvent d’un effet secondaire du vaccin.

Mauvaise passe pour le vaccin contre le Covid-19 d’AstraZeneca-Oxford. Le Danemark, la Norvège, l’Islande ont temporairement arrêté de l’administrer. L’Italie a annoncé, jeudi 11 mars, que certains lots ne seraient plus utilisés, tandis que la Thaïlande a décidé de retarder la vaccination « par précaution ». 

En cause : plusieurs patients ayant reçu une première injection du vaccin d’AstraZeneca ont développé des problèmes de coagulation sanguine. Au Danemark, une personne est décédée, et deux autres en Sicile. « On ne sait pas précisément ce qui s’est passé, mais il y a eu des cas de thrombose, c’est-à-dire que des caillots sanguins ont bloqué le passage du sang dans les veines », souligne Jonathan Gibbins, directeur de l’institut de recherche cardiovasculaire à l’université de Reading, contacté par France 24. Les thromboses peuvent, dans les cas les plus graves, être à l’origine d’arrêts cardiaques ou d’embolie pulmonaire.

Ce serait un effet secondaire inédit

De quoi éveiller les soupçons de certains pays qui ont préféré appliquer le principe de précaution à la molécule développée par Oxford. D’autres, comme la France et la Grande-Bretagne, ont maintenu leur confiance dans ce vaccin. 

La position de Paris et de Londres est plus en phase avec le sentiment d’une grande majorité de la communauté scientifique. D’abord, rien n’indique à l’heure actuelle que le vaccin soit à l’origine des thromboses. « Je serais très surpris si c’était lié. A priori, le phénomène d’immunité provoqué par les vaccins n’a rien à voir avec la coagulation », souligne Pierre Saliou, professeur agrégée du Val-de-Grâce et spécialiste des questions de vaccination. 

« Je n’ai connaissance d’aucun vaccin qui provoque des maladies thromboemboliques. Les médicaments dont on sait qu’ils peuvent avoir ce genre d’effets secondaires sont, par exemple, certains traitements hormonaux, des pilules contraceptives et des thérapies hormonales pour la ménopause », ajoute Stephen Evans, chercheur en pharmaco-épidémiologie à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, contacté par France 24.

Alors, certes, « mener une enquête pour savoir ce qu’il en est vraiment, comme cela est fait actuellement, est logique et important », reconnaît Pierre Saliou. Mais en l’état actuel du nombre de cas recensés, « il me semble très difficile d’établir s’il s’agit d’une coïncidence ou s’il y a un vrai lien de cause à effet », affirme Jonathan Gibbins, directeur de l’institut de recherche cardiovasculaire à l’université de Reading, contacté par France 24. 

Il faudrait d’abord démontrer qu’il y a une augmentation des cas de thromboses depuis le début de la campagne de vaccination par rapport à une période normale. Pour l’heure, on en est loin. L’Agence européenne du médicament a, officiellement, recensé 30 cas de thrombose parmi les quelque 5 millions de personnes ayant reçu une injection du vaccin d’AstraZeneca. D’après ce que l’on sait sur la fréquence des thromboses chez les personnes âgées, actuellement vaccinées en priorité, « on pourrait s’attendre statistiquement, pour chaque million de patients ayant reçu une injection, à ce qu’il y en ait environ 1 097 entre 70 et 79 ans, 645 entre 60 et 69 ans et 425 entre 50 et 59 ans développent naturellement une maladie thromboembolique un mois après l’injection, sans que cela soit lié au vaccin », détaille Paul Hunter, professeur de médecine à l’université East Anglia de Norwich, contacté par France 24. 

Les dangers du principe de précaution

La piste de la malheureuse coïncidence semble ainsi plus prometteuse. A fortiori quand on compare à ce qui se passe avec d’autres vaccins contre le Covid-19. Ainsi, en Grande-Bretagne, où les médecins remontent les soucis de santé survenus après la vaccination, « il y a environ le même nombre d’embolies pulmonaires dues à une thrombose chez des patients ayant reçu une injection du vaccin de Pfizer que chez ceux traités avec la molécule d’AstraZeneca », souligne Paul Hunter. Personne, pourtant, ne semble suggérer que le vaccin de Pfizer cause des thromboses…

Même si, après enquête, un lien de cause à effet était établi, il ne faudrait pas condamner le traitement d’AstraZeneca pour autant. « Ce serait une question d’évaluation du rapport risque-bénéfice », note Jonathan Gibbins. Le nombre de cas graves semblent être très faible, « alors que l’on sait de manière sûre qu’une personne atteinte par le Covid-19, surtout si elle est âgée, a un risque élevée de développer des complications sanguines comme des thromboses », rappelle le directeur de l’institut de recherche cardiovasculaire à l’université de Reading.

Il souligne aussi que ce ne sera probablement pas la dernière fois que les autorités se pencheront sur d’éventuels effets secondaires des différents vaccins contre le Covid-19. « C’est très habituel en vaccinologie, et d’habitude, cela passe relativement inaperçu. Mais avec le Covid-19, tout est monté en épingle », surenchérit Pierre Saliou. 

Une tendance à réagir à la moindre alerte qui n’est, d’ailleurs, pas non plus sans risques. « Le principe de précaution, c’est très bien, mais en l’occurrence, il peut avoir des conséquences néfastes », prévient Paul Hunter. Arrêter d’utiliser un vaccin signifie, potentiellement, que certaines personnes vont devoir attendre pour être immunisées. « Ce qui implique qu’il peut y avoir des cas supplémentaires de Covid-19 et peut-être de décès », assure le chercheur de l’université d’East Anglia.

C’est aussi un signal qui peut altérer la perception que la population a d’un vaccin, dont l’efficacité n’a par ailleurs pas été remise en cause. « Il est beaucoup plus facile de soulever d’hypothétiques problèmes et d’instiller le doute que de rétablir ensuite la confiance, même si on a des arguments scientifiques solides », regrette Paul Hunter.

Par France 24