Tokyo 2021: les Jeux olympiques divisent toujours à un mois de l’ouverture
À un mois pile de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo, qui aura lieu le 23 juillet, ces JO, déjà historiques en pleine pandémie de coronavirus, divisent encore les Japonais. Les organisateurs ont autorisé le 21 juin la présence de spectateurs locaux, mais à 50% des capacités d’accueil de chaque site et dans une limite maximum de 10 000 personnes. Des questions subsistent encore : Sont-ils suffisamment sûrs ? Ou même auraient-ils dû être carrément annulés ?
Les sondages les plus récents montrent que les Japonais ne sont pas favorables à la tenue des Jeux olympiques sur leur territoire : la crainte d’une résurgence de l’épidémie est dans tous les esprits, d’autant que seuls 7% des Japonais ont reçu deux doses de vaccin à ce jour, et que des athlètes avec leurs entraîneurs et les médias vont rapidement arriver des quatre coins du monde.
« Il sera extrêmement difficile de maîtriser les infections tout au long des Jeux », explique Michael Head, chercheur en santé globale à l’Université de Southampton en Grande Bretagne : « Il sera difficile de garder le nombre de cas de Covid le plus bas possible et d’éviter que les gens ne ramènent le virus dans leurs pays respectifs. »
Selon le chercheur, les Jeux auraient dû être repoussés d’une année supplémentaire : « Nous savons qu’il y a des variants inquiétants qui circulent, et si l’on met ensemble des gens qui viennent de pays différents, ça ne peut qu’accroître les risques de nouveaux variants, et ça pourrait avoir un impact sur la vaccination globale. Même si j’aime le sport, même si j’adore les Jeux olympiques, d’un point de vue de santé publique leur tenue n’est vraiment pas une bonne idée. »
Maintenus car moins de risques
De leur côté, les autorités nippones ont jugé que la tenue des Jeux était moins dangereuse cette année. Cela s’explique par la stratégie de lutte contre le Covid adoptée par le Japon. « Si les Américains et les Européens ont opté pour une stratégie sur le long terme, avec une vaccination massive, Tokyo a voulu maîtriser la propagation au fur et à mesure », développe le docteur Spencer Fox, biologiste et directeur adjoint du Consortium Covid-19 à l’université du Texas d’Austin.
« Il est important de noter que même si le Japon vient de faire face à une nouvelle vague de cas de Covid, si l’on compare les chiffres avec ceux des États-Unis lors de cette dernière vague, même à son pic, le ratio par habitant était toujours plus bas qu’au pire moment de la pandémie aux États-Unis », poursuit le biologiste. « Avec les chiffres actuels, et au regard du déclin de la vague, si 10 000 Japonais – ce qui sera la jauge autorisée dans les stades – se rendent à un événement, selon nos estimations une personne au maximum se trouvant dans la foule serait infectée. Les chiffres sont aussi bas que cela. »
Seuls les Japonais pourront assister aux Jeux puisque les touristes étrangers ne pourront pas se rendre au Japon, une décision prise plus tôt cette année.
Spencer Fox donne l’exemple de « bulles sportives » aux États-Unis : « Beaucoup d’événements sportifs, comme les matches de la NBA (National Basketball Association) ou de football américain, se déroulent sans que les athlètes ne courent de risques. Des tests réguliers leur évitent de contracter le virus. » Selon lui, les efforts sanitaires mis en place par le Comité international olympique (CIO) permettent d’assurer la sûreté des athlètes et de leurs entourages.
Pressions internes et internationales
La pression pour maintenir les Jeux a été exercée à plusieurs échelons. « Pour le gouvernement central c’est sûr qu’il y a une question d’honneur, mais il y a aussi une question d’arbitrage économique : annuler coûterait extrêmement cher », explique Raphaël Languillon-Aussel, enseignant chercheur en géographie et en aménagement à l’Université de Genève, spécialiste du Japon. « Le report a coûté quand même déjà un milliard d’euros au moins, et puis ces Jeux qui étaient censés être peu chers, parce qu’ils réutilisaient beaucoup d’infrastructures, sont devenus encore plus chers que les Jeux de Londres, et quasiment aussi chers que ceux de Sotchi. »
Les Jeux de Tokyo coûteraient de 15 à 20 milliards d’euros. « C’est donc extrêmement délicat de les annuler », poursuit-il. « Au niveau du CIO, il y a eu beaucoup de pression pour que les Jeux se maintiennent, sachant que le CIO finalement a peu d’intérêt à ce qu’il y ait des spectateurs dans le stade. Lui, ce qui l’intéresse, c’est qu’il y ait des téléspectateurs, que le sponsoring et les droits télévisés et les droits dérivés fonctionnent, sinon il est perdant. » Les JO sont pour le CIO l’équivalent d’une marque. « Il les gère donc en tant que telle, en réfléchissant aux retombées économiques. »
Les autorités locales de Tokyo étaient également sous pression pour annuler, mais finalement, explique le chercheur, elles se sont servies des Jeux comme d’un levier dans leurs négociations avec l’État pour les aider à gérer la pandémie.
Spencer Fox souligne également les « implications sociales » de ces Jeux : « En ces temps, après un an et demi de lutte mondiale contre le virus, peut-être est-il justement temps de célébrer le monde entier à travers ces Jeux. »
RFI