Côte d’Ivoire: quel avenir politique pour Laurent Gbagbo?

Côte d’Ivoire: quel avenir politique pour Laurent Gbagbo?

Définitivement acquitté par la Cour pénale internationale le 31 mars dernier, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo rentre à Abidjan ce jeudi 17 juin, après dix années d’absence. Quel rôle compte-t-il jouer ? Quelles implications son retour aura-t-il sur la scène politique ?

Le retour au pays de l’ancien président s’accompagne de messages sur les réseaux sociaux, venant de nostalgiques rêvant à haute voix d’une candidature Gbagbo à la présidentielle de 2025. Au-delà de la possibilité juridique de se présenter, liée à sa situation pénale, ses proches se gardent bien d’employer en public le vocabulaire de la revanche, préférant celui de la réconciliation. « La Côte d’Ivoire va enfin respirer avec ses deux poumons, relativement à la réconciliation », a récemment déclaré l’un d’eux à la presse locale. Impossible, en effet, d’apparaître comme celui qui irait contre la réconciliation au profit de ses ambitions personnelles.

« Laurent Gbagbo reste populaire du fait de sa légitimité comme l’opposant historique d’Houphouët », estime le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut des études de sécurité (ISS). « Il sait que la posture qu’il adoptera en rentrant pourrait fortement conditionner le succès ou non de son retour dans le jeu politique. Mais sa capacité de mobilisation n’est plus la même, il y a une grande inconnue sur ce que pourrait être encore sa base militante. »

Une base militante évanouie

En effet, son parti, le FPI, est aujourd’hui exsangue. Divisé entre la branche dite « légale », qui a joué l’opposition dans les urnes autour de Pascal Affi N’Guessan sans parvenir à mobiliser les troupes (9,29% des voix à la présidentielle de 2015), et les « GOR », « Gbagbo ou rien », les plus loyaux apôtres restés en marge du système électoral jusqu’aux législatives de mars dernier, il lui est difficile de mobiliser.

Revenus avec la plate-forme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), alliés presque partout avec le PDCI, les « GOR » comptent aujourd’hui 17 députés sur 255. Dans la commune de Yopougon, bastion supposé de l’ancien président à Abidjan, la participation n’a ainsi été que de 18%, et la décision emportée de 400 voix face au RHDP, alors que Michel Gbagbo était numéro 2 de la liste EDS-PDCI. Le FPI « légal », lui, n’a fait élire que deux députés et ne compte plus de groupe parlementaire.

Au-delà de sa personne, et s’il veut reconstruire un appareil politique, le premier travail de Laurent Gbagbo sera donc de réunifier son parti. Une évidence pour ses proches qui assurent que « tout le monde viendra s’agenouiller, et tant pis pour ceux qui ne seront pas là ».  Le rapport de force ne plaît pas à Pascal Affi N’Guessan, premier chef de gouvernement de Laurent Gbagbo, qui a démenti dans la presse sa venue à l’aéroport jeudi et préfère rester muet sur la suite des événements.

Inquiétude au RHDP

« Les autorités souhaitent que Laurent Gbagbo se fasse discret », nous dit le politologue Sylvain N’Guessan. C’est pour cela qu’Alassane Ouattara n’a pas encore formellement amnistié son prédécesseur dans l’affaire du « casse de la BCEAO ». Il veut « obtenir son renoncement », ajoute Fahiraman Rodrigue Koné.

Personne n’imagine pourtant Laurent Gbagbo se tenir à l’écart de la vie politique, comme le souhaitent les fédérations de victimes de la crise post-électorale. « Il ne va pas revenir en politique pour la simple raison qu’il ne l’a jamais quittée », commente ainsi son ancien conseiller et ami Bernard Houdin.

Du côté du RHDP, on s’inquiète des « stratégies » de celui que ses adversaires avaient surnommé le « boulanger », pour sa capacité à les rouler dans la farine. « Un doute s’installe dans les cœurs des populations, Gbagbo n’a jamais présenté ses excuses à la nation, on est en droit de douter de sa volonté de réconcilier les Ivoiriens », twittait ainsi ce lundi le compte du parti présidentiel.

La majorité, néanmoins, ne peut se permettre d’apparaître dans la confrontation : « Le président a perdu les deux « pivots » de son pouvoir en quelques mois », rappelle Sylvain N’Guessan, à propos des décès des chefs de gouvernement Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, « son entourage est réduit ». « Ouattara lui-même souhaite se reconstruire l’image du réconciliateur, de l’artisan de la paix et limiter l’échec politique qu’il a subi à travers cette bataille judiciaire à la CPI », analyse Fahiraman Rodrigue Koné. « Le parti au pouvoir est en même temps conscient de la reconfiguration politique que ce retour peut engendrer. À défaut de s’y opposer ou de l’empêcher, il souhaite ainsi « gérer » ce retour à son avantage, en essayant d’en garder l’initiative politique. »

Les partis, des outils au service d’une personne

Pour bon nombre d’Ivoiriens, c’est surtout le spectre d’une nouvelle « bataille des grosses têtes », comme le dit le responsable d’une association de victimes, qui ressurgit. À 87 ans, Henri Konan Bédié est encore la figure tutélaire du PDCI, arbitre les querelles de factions en son sein, s’affiche chaque jour dans la presse du parti, reçoit des délégations de tous les autres courants politiques du pays. Une campagne a même été lancée pour proposer son nom pour le prix Nobel de la paix. Alassane Ouattara a, lui, 79 ans, Laurent Gbagbo, 76. Tous sont potentiellement candidats en 2025. Le problème, selon nos différents interlocuteurs, est que les partis ne sont pas des institutions, mais « des outils construits au service exclusif d’une personne, dont un retrait signifierait un fort risque d’implosion », explique Sylvain N’Guessan.

« Au-delà du rejet de la lutte des ego, et surtout d’une élite gérontocratique ne représentant pas du tout la structure de la population (77,73% de la population a moins de 35 ans), il y a une réévaluation des modalités de la participation politique », estime Fahiraman Rodrigue Koné. « Les jeunes se rendent compte qu’ils sont seulement utilisés comme une force brute, un bras armé des aînés qui les délaissent une fois qu’ils se hissent au pouvoir. Les jeunes veulent finalement se prendre en charge et ne croient plus en la sincérité des politiques à changer leur destin. La participation des jeunes au vote est constamment restée faible depuis 2010. Très peu s’inscrivent sur les listes électorales même s’ils continuent à participer au débat politique, surtout via les réseaux sociaux », conclut le sociologue.

RFI