Ce pays où il est interdit de chanter dans la rue, de klaxonner et de porter certaines couleurs

Ce pays où il est interdit de chanter dans la rue, de klaxonner et de porter certaines couleurs

Le Bélarus est parfois appelé la dernière dictature d’Europe. Mais à quoi ressemble la vie là-bas? Les citoyens y vivent-ils dans la peur de la mort tous les jours? Qu’est-ce qui est autorisé et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Et quelle est la relation du pays avec la Russie? Petit guide sur ce pays qu’on pourrait appeler la Corée du Nord de l’Europe.

Le Bélarus est sous le feu des critiques après avoir détourné un vol Ryanair entre Athènes et Vilnius vers sa capitale, Minsk, ce dimanche 23 mai. Une alerte à la bombe a été mise en scène dans le seul but d’arrêter le militant d’opposition bélarusse Roman Protassevitch. Mais que se passe-t-il réellement au Bélarus? Si le pays se situe en Europe, peu de gens savent grand-chose à son sujet. C’est l’une des destinations les moins visitées du continent européen, et pour cause.

Un manifestant brandit les portraits du journaliste biélorusse Roman Protasevich et de sa petite amie Sofia Sapega lors d’une marche de protestation à Riga, en Lettonie. © EPA

Tout d’abord, quelques informations de base. Le Bélarus (ou Biélorussie) est situé en Europe de l’Est et partage ses frontières avec la Russie, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine. Avec la Russie, le pays était l’une des premières républiques soviétiques. Depuis 1991 – après l’effondrement de l’Union soviétique – il est devenu une république indépendante dotée d’un président. Le pays ne fait pas partie de l’Union européenne. Avec environ 9,5 millions d’habitants, la Biélorussie est moins peuplée que la Belgique, bien qu’elle soit presque sept fois plus grande, et sa population diminue depuis des années. 

Musique et klaxons interdits

Le président Aleksandr Lukashenko (66 ans) est à la tête du pays depuis 1994. Le 9 août 2020, il a été élu pour la sixième fois pour une période de cinq ans. Une élection qui aurait, pour beaucoup, été une nouvelle fois falsifiée, comme ça a déjà été le cas par le passé. 

Bien que le Bélarus soit une république dotée d’un président, il présente de nombreuses caractéristiques d’un régime dictatorial. Les critiques à l’égard du président sont punies et les citoyens font l’objet de nombreuses restrictions. “Il n’y a pas la moindre liberté d’expression”, explique Christophe Brackx, spécialiste du Bélarus. En tant que réalisateur, M. Brackx s’est souvent rendu dans le pays et a récemment publié un livre, “La révolte contre Loukachenko: le dernier dictateur d’Europe”. “En tant que citoyen, par exemple, vous n’avez pas le droit d’être au chômage. Pire encore, le chômage est sanctionné et vous devez payer l’État. Le libre exercice d’une profession n’est pas non plus autorisé. Dans 90 % des cas, vous signez un contrat avec l’État en tant qu’employé. Les samedis et dimanches, certaines professions – comme les enseignants et les médecins – sont obligées de travailler gratuitement. Leur salaire de fin de semaine est ensuite versé à l’État. Tout temps libre est tout simplement réduit. En gros, c’est une forme organisée d’esclavage”. 

Mais ce n’est pas tout: “Depuis les élections truquées, applaudir ou klaxonner dans la rue n’est plus autorisé, pas plus que faire de la musique ou chanter. Récemment, par exemple, il y a eu une petite manifestation dans la rue avec dix musiciens. Le batteur a été arrêté et condamné à six ans de prison simplement pour avoir joué de la batterie. Ce sont des lois draconiennes dégoûtantes”, ajoute M. Brackx. 

Les gens osent à peine sortir dans la rue et vivent dans une peur constante. Tout le monde connaît quelqu’un qui est en prison. Pas étonnant, quand on sait que pas moins d’un habitant sur 150 est arrêté.

Christophe Brackx, Spécialiste du Bélarus

Couleurs interdites

“Les gens osent à peine sortir dans la rue et vivent dans une peur constante. Tout le monde connaît déjà quelqu’un qui est en prison. Pas étonnant, quand on sait que pas moins d’un Biélorusse sur 150 est arrêté”, poursuit l’écrivain. Autre exemple: toute personne se promenant avec des vêtements rouges et blancs – les couleurs de l’opposition – risque l’arrestation. “La semaine dernière, une jeune fille de 16 ans a été ‘attrapée’ avec un autocollant blanc-rouge sur son ordinateur portable. Elle a été condamnée à une amende de 1.200 euros et à une peine de 14 jours de prison. Surréaliste que quelque chose comme ça existe à trois heures de vol de Bruxelles”.

Des restrictions sont également en place concernant les médias. Les journalistes ne sont autorisés à écrire que pour les journaux d’État, ce que n’a pas fait le journaliste arrêté Roman Protasevich. “Et il n’est pas un cas isolé”, poursuit Brackx. “Tant de journalistes et d’opposants ont soudainement disparu, sont allés en prison ou ont été tués. Les gens l’ignorent. La semaine dernière encore, un Belge de Saint-Nicolas a été arrêté. Il est journaliste pour Belsat TV et se rend régulièrement dans son pays natal. Sur son passeport, il avait un emblème avec les armoiries de l’ancien royaume biélorusse – qui faisait alors partie du Grand-duché de Lituanie – qui était détesté par la dictature. Il a été condamné à 10 jours de prison”.

De son côté, Christophe n’a plus l’autorisation d’entrer dans le pays depuis qu’il a publié son livre, car il pourrait être arrêté et torturé. “La réalité dépasse la fiction, c’est dire à quel point cette société est absurde. Et ce qui rend la chose particulièrement horrible, c’est que ce sont des compatriotes européens du 21e siècle”.

Salaire moyen de 200 euros

En allant en Biélorussie, on a l’impression de voyager dans le temps. L’architecture stalinienne néoclassique et l’atmosphère dans les rues en témoignent. Autrefois pays le plus riche de l’Union soviétique, il en est aujourd’hui le plus pauvre. La pauvreté et l’alcoolisme y font rage. Le Bélarus est d’ailleurs connu pour sa production de vodka – à peu près le seul produit qui soit encore abordable. Dans les “night shops”, une bouteille s’y vend pour moins d’un euro. “Le pays est économiquement dévasté”, poursuit Christophe Brackx. “Le salaire actuel au Bélarus est d’environ 200 euros par mois, soit moins qu’au Nigeria ou au Maroc, par exemple. Et pourtant, la vie n’y est pas bon marché. La location d’une maison coûte 300 à 400 euros et manger dans un restaurant coûte presque autant qu’en Belgique. Seuls les militaires et les policiers sont bien payés, car ce sont des gens qui pratiquent la torture, et qui font donc ce que le régime demande”. 

(la suite ci-dessous)

Une femme brandit un drapeau biélorusse lors de manifestations à Minsk en août dernier. © AP

Arrêt brutal de la modernisation

Ces dernières années, la capitale Minsk s’est pourtant modernisée. “La ville était en train de revivre depuis trois ans”, explique encore l’écrivain. “Des bars branchés, des restaurants et des clubs de classe ont vu le jour, et l’un des plus grands festivals d’art mural d’Europe s’y est tenu. Cela a immédiatement attiré un noyau de jeunes alternatifs et de touristes étrangers”. Des hôtels occidentaux ou encore des restaurants KFC et McDonald y ont vu le jour. “Il y avait même des bars où la communauté LGBTQI+ pouvait être ouvertement elle-même. On peut être ouvertement gay à Minsk, mais les humiliations verbales et les agressions de la police et de l’extrême droite sont dures.” Mais depuis l’été dernier, la modernisation s’est brusquement arrêtée, car dans tous ces endroits se rassemblaient surtout des gens de la résistance, et des soulèvements contre la dictature y avaient parfois lieu. “Beaucoup de ces bars branchés ont été détruits et les propriétaires ont fui. Par conséquent, Minsk est mort pour l’instant”. Pendant ce temps, l’Europe a fermé son espace aérien aux avions biélorusses.

Poutine ne veut pas que Loukachen­ko tombe, car si l’opposition biélorusse évince le leader, il craint que la même chose se produise un jour dans son pays”.

Christophe Brackx, Spécialiste du Bélarus

L’ère soviétique a également laissé des traces. Il suffit de regarder les relations de la Biélorussie avec la Russie voisine. Le pays fournit au Bélarus du pétrole et du gaz bon marché en échange de l’utilisation des pipelines bélarussiens. “Une relation d’amour-haine prévaut entre la Russie et le Bélarus”, affirme l’expert. “Les Russes voient les Biélorusses comme leurs petits frères. La population russe éprouve de la sympathie pour la population bélarussienne et vice versa, mais dans la relation politique, cela va de travers. La Russie paie pour la dictature de Minsk depuis 30 ans. Poutine ne cesse de donner des milliards d’aide – il suffit de penser à ces contrats pétroliers ou téléphoniques – mais en réalité, le Bélarus est en faillite. M. Loukachenko a ensuite vendu le pétrole à l’Ukraine et à l’UE à un prix beaucoup plus élevé. Les Russes en ont assez de ce jeu. Mais Poutine ne veut pas que Loukachenko tombe, car si l’opposition biélorusse évince le leader, il craint que la même chose se produise un jour dans son pays”.

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine en février 2019 à Sotchi, en Russie. © photo_news
Le militant d’opposition bélarusse Roman Protassevitch en mars 2012. © AFP

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