🌍 « D’ici l’été, l’OTAN telle que nous la connaissons n’existera plus », selon le nouveau chancelier allemand: est-ce crédible?

🌍 « D’ici l’été, l’OTAN telle que nous la connaissons n’existera plus », selon le nouveau chancelier allemand: est-ce crédible?

Le probable nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, a mis en garde ses partenaires européens contre une possible disparition de l’OTAN sous sa forme actuelle, et ce, dès l’été prochain, alors que Donald Trump semble prêt à abandonner l’Ancien monde. Merz plaide pour “une capacité de défense européenne indépendante”, mais que veut-il dire par là? Et est-ce seulement crédible? Le colonel à la retraite et expert militaire Roger Housen nous confie ses analyses pour l’avenir.

Le parti conservateur CDU/CSU de Friedrich Merz – anciennement le parti d’Angela Merkel – a remporté dimanche les élections en Allemagne. Le soir-même, lors d’un débat sur la chaîne publique ARD, Merz posait explicitement la question de la pérennité de l’OTAN, telle que nous la connaissons aujourd’hui, jusqu’au prochain sommet de l’Alliance atlantique en juin prochain.

Faut-il craindre que les États-Unis quittent l’Alliance ou qu’ils ne respectent plus l’article 5 de l’OTAN – qui stipule qu’une attaque contre un allié est une attaque contre tous?

“Merz part du principe que nous ne pourrons bientôt plus compter à 100 % sur la présence américaine au sein de l’OTAN telle que nous l’avons connue jusqu’à présent. Soit avec les Américains intégrés dans la structure de commandement et de contrôle de l’OTAN et avec leurs soldats stationnés dans d’autres pays membres, notamment en Europe”, explicite l’ancien colonel Roger Housen. “Ensuite, selon Merz, il n’est plus certain que nous puissions compter sur le soutien des États-Unis de la même manière en cas de crise, ce qui touche directement à l’article 5 sans le mentionner explicitement.”

Par ailleurs, l’OTAN fonctionne aussi avec des “coalitions de volontaires”, des partenariats internationaux temporaires. Merz estime que ces coalitions se formeront désormais sans les Américains, ou avec une participation américaine réduite.”

Puisque ces contributi­ons américai­nes ne sont plus garanties, Merz considère qu’il est indispensa­ble que les Européens réfléchis­sent à une nouvelle architectu­re sécuritai­re pour l’EuropeRoger Housen

“Puisque ces contributions ne sont plus garanties, Merz considère qu’il est indispensable que nous, Européens, commencions à réfléchir à une nouvelle architecture sécuritaire pour l’Europe. ‘Nous, Allemands, en prendrons la direction’, affirme-t-il. C’est une rupture avec la politique allemande des dernières décennies, qui s’est toujours inscrite dans un cadre multinational et a contribué au renforcement de l’axe franco-allemand en matière de défense. Merz s’écarte désormais de ce cadre et veut que l’Allemagne prenne un rôle de leader.”

Pensez-vous qu’un retrait total des États-Unis de l’OTAN reste improbable?

“Il y a deux semaines, j’aurais répondu oui sans hésiter, mais aujourd’hui, j’ai des doutes. Cette incertitude est née après les déclarations du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, affirmant que la présence des troupes américaines en Europe n’est pas éternelle, que l’Europe devra déployer ses propres forces pour surveiller un éventuel cessez-le-feu en Ukraine et que les États-Unis n’y enverront pas de troupes au sol. Cela marque une rupture avec la posture américaine traditionnelle au sein de l’OTAN.”

“De plus, Trump exige unilatéralement que les États membres de l’OTAN investissent 5 % de leur PIB dans la défense (la Belgique dépense actuellement 1,3 % de son PIB, et le gouvernement De Wever prévoit d’atteindre 2 % d’ici 2029, NDLR), ce qui est un autre signe que les États-Unis pourraient tourner le dos à l’OTAN. Par ailleurs, Hegseth et le vice-président JD Vance ont déclaré lors de la conférence de sécurité de Munich que les États-Unis se concentrent désormais sur la Chine et que l’Europe doit se débrouiller seule. C’est un message clair: l’OTAN, créée pour assurer la sécurité en Europe, n’est plus une priorité pour Washington.”

Lors de la conférence internationale sur la sécurité qui s’est tenue à Munich, le vice-président des États-Unis, JD Vance, a balayé les illusions des Européens. © AFP

Le nouveau chancelier allemand pourrait-il imposer la création d’une armée européenne?

“Cela n’arrivera jamais avant une dizaine d’années. Il y aurait encore trop d’obstacles, tant politiques que pratiques. Une armée est l’ultime symbole de la souveraineté nationale, et les mentalités ne sont pas encore prêtes à l’abandonner au profit d’une force commune. Il y a aussi des intérêts économiques nationaux: chaque grand État membre de l’UE cherche à privilégier sa propre industrie de défense, ce qui conduit à une mosaïque de systèmes d’armement incompatibles. Pour rendre l’UE militairement autonome, il faudrait un investissement de 800 milliards d’euros dans des capacités militaires dont seuls les États-Unis disposent actuellement. À cela s’ajouterait un coût annuel récurrent d’environ 300 milliards d’euros. Vu la situation économique fragile de plusieurs États membres, je ne vois pas l’UE rassembler ces fonds. Certes, l’Union dispose de fonds de cohésion destinés à soutenir les régions en difficulté, et une partie pourrait être réorientée vers la défense, mais cela se ferait au détriment des infrastructures et des subventions agricoles, des sujets politiquement sensibles.”

Bart De Wever souhaite que l’OTAN reste un cadre dans lequel l’UE serait un pilier solide, tandis que Merz la voit indépendan­te de l’AllianceRoger Housen

“En revanche, un processus de coopération renforcée sur l’achat de matériel militaire, sa standardisation et la formation à son usage va certainement s’enclencher. Mais on est encore loin de la véritable armée européenne que Merz voudrait mettre sur les rails. D’ailleurs, il voit aussi dans ce projet une opportunité économique pour son pays. Une telle impulsion serait la bienvenue à un moment où le secteur automobile allemand traverse une période difficile.”

Quelles pourraient être les conséquences de cette évolution pour la Belgique ?

“À court terme, l’armée belge pourra à peine se maintenir à flot. Dans les années à venir, de nombreux équipements neufs arriveront, des F-35 américains aux blindés français, en passant par de nouveaux chasseurs de mines et de nouvelles frégates. Mais encore faut-il du personnel pour les utiliser, ce qui signifie qu’il faudra augmenter les effectifs. De Wever a récemment déclaré qu’il voulait renforcer le pilier européen au sein de l’OTAN, ce qui est compatible avec la vision de Merz. Cependant, si ce dernier envisage réellement la fin de l’OTAN, alors il diverge par rapport à notre Premier ministre. Ce dernier souhaite conserver l’OTAN comme cadre au sein duquel l’UE deviendrait un pilier solide, tandis que Merz veut s’affranchir totalement de l’Alliance.”

Notre pays a commandé 34 avions F-35, fabriqués par Lockheed Martin. © BELGA_HANDOUT

Le plan du ministre de la Défense Theo Francken d’inviter tous les jeunes de 18 ans à une année de service militaire volontaire portera-t-il ses fruits ?

“Il y a de l’intérêt pour cette initiative, mais je doute que nous attirions chaque année des dizaines de milliers de candidats, comme c’est le cas dans certains pays scandinaves. Il faut aussi que cela soit réalisable en pratique: il faut des infrastructures pour loger ces jeunes, des instructeurs, du matériel et des armes. De plus, les modalités ne sont pas encore claires: recevront-ils un salaire complet, ou une petite solde avec des défraiements? À court terme, la Défense va devoir redoubler d’efforts. Mais si rien n’est fait, rien ne changera et nous resterons confrontés à un grave problème de sous-effectif.”

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